Comprendre le scandale des déchets transfrontaliers en procès à Lille

Par La rédaction de Deklic , le 20 décembre 2023 - 6 minutes de lecture
Amas de déchets à Rédane, Crédit JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Amas de déchets à Rédane, Crédit JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

« C’est dégueulasse » : à l’entrée de Rédange (Moselle), à la frontière luxembourgeoise, 250 tonnes de déchets polluent les sols depuis quatre ans, résultat d’un vaste trafic en provenance de Belgique, pour lequel dix prévenus sont jugés à partir depuis lundi 18 décembre à Lille.

Des tonnes de déchets déversés illégalement

Daniel Cimarelli, maire de Rédange, se souvient : « C’était des camions entiers de 35 tonnes qui ont été déversés », en octobre 2019, sur un terrain privé de sa commune. 

Depuis, l’amas de débris, tant ménagers qu’industriels, se dégrade, sent mauvais en été et, selon des riverains, ruisselle dans des étangs en contrebas. Il trône sur un ancien site sidérurgique, dans cette commune frontalière du Luxembourg également située à quelques kilomètres de la Belgique.

« C’est dégueulasse », souffle Jessica Dautruche, du collectif « J’aime ma forêt ». « On essaie d’interpeller un peu tout le monde depuis quatre ans, mais malheureusement les réponses qu’on a eues sont assez minces ».

Au cours de l’instruction ayant abouti au renvoi de dix personnes devant la Juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Lille, les enquêteurs ont mis au jour un système organisé de collecte, transport et déversement de déchets belges dans l’est et le nord de la France.
« Chacun se renvoie la balle et ce n’est pas facile de savoir qui est responsable », abonde M. Cimarelli, même si selon les textes, c’est « à la société belge » responsable de ces dépôts illégaux « de venir les chercher ». D’autres sites ont été depuis nettoyés.

Une escroquerie organisée : faux documents et usurpation d’identité

Dans ce premier dossier portant sur un trafic de déchets, une escroquerie à l’encontre de centres de retraitement français a été mise en lumière.
« Les suspects prenaient l’apparence de gestionnaires de déchets présentant toutes les autorisations en bonne et due forme pour récolter, traiter et déposer les déchets dans des endroits dédiés », résume Olivier Hurault, avocat de la communauté d’agglomération de Longwy, où selon lui des rebuts « extrêmement dangereux » ont été déversés.
« Sous cette apparence, une fois qu’ils avaient récupéré les déchets et qu’ils avaient été rémunérés, ils les déposaient sur des terrains de collectivités ou de particuliers et s’en débarrassaient comme ça, ni plus ni moins ».

L’enquête a également permis d’établir qu’une organisation unique avait été à l’origine de ces dépôts sauvages. Elle aurait d’abord effectué des dépôts dans des centres de retraitement, en France, dont certains ont déposé plainte pour escroquerie : faux documents, usurpation d’identité commerciale, factures non honorées… 
Le préjudice est estimé à plus de 1,5 million d’euros, pour près de 10.000 tonnes de déchets.
 
L’un des principaux prévenus, Johnny Demeter, se dit négociant et courtier de déchets. Il aurait organisé ces transports, sans les autorisations obligatoires, entre 2018 et 2021. 
Interrogé par France 2 en 2020, il disait être lui-même victime d’un autre intermédiaire.
Selon l’enquête, l’équipe est principalement structurée autour de la famille Demeter, avec des faits qui se sont déroulés jusqu’aux interpellations en juin 2021. La circonstance aggravante de « bande organisée » a été retenue.

Persistance des déchets : une « honte absolue » et des interrogations sur la gestion de la pollution

Parmi les parties civiles, des communes, des sociétés, mais aussi des associations écologistes. Leurs attentes ? « Une condamnation à la remise en état des sites » voire une dépollution, selon Laure Derson, juriste à l’association Lorraine Nature Environnement.
Selon un document consulté par l’AFP, « cette pénétration de la criminalité organisée dans le domaine du déchet est également facilitée par le fait que les pouvoirs publics européens peinent à trouver des solutions à la hauteur des enjeux écologiques », alors que ces pays « produisent plus de déchets qu’ils ne peuvent en retraiter ».
« Avant, c’était une atteinte à l’esthétique », retrace le sous-préfet de Thionville (Moselle), Philippe Deschamps. « Or, l’essentiel est ailleurs », sur le plan environnemental, avec des déchets qui « entrent dans les nappes phréatiques ». 

D’ailleurs, au cours du procès en cours, le tribunal de Lille s’est intéressé mardi 19 décembre aux conséquences environnementales du déversement illégal de déchets belges.

« Les déchets fermentent et dégagent du gaz, du méthane, et des phénomènes d’autocombustion peuvent se former », entraînant des risques d’incendie, a indiqué à la barre Erwan Pinvidic, expert et responsable au sein du Pôle français des transferts transfrontaliers de déchets, organisme chargé d’autoriser ces transferts.

Ce phénomène a notamment été observé à Hautcourt-Moulaine (Meurthe-et-Moselle), l’un des quatre sites de dépôt « illicite » expertisés par ce pôle en 2020, près de la frontière luxembourgeoise. Trois de ces terrains ont depuis été débarrassés de leurs ordures par les propriétaires abusés, qui ont dû débourser 126.000 euros, selon ce témoin.
Sur le quatrième site, à Rédange (Moselle), 200 tonnes d’ordures gisent encore, quatre ans après les faits, la petite commune mosellane propriétaire des lieux n’ayant pas pu prendre en charge le nettoyage coûteux.
Cartons, plastiques, textiles, métaux… Le danger provient de la nature des détritus entassés : un mélange de déchets ménagers, industriels et de gravats provenant du bâtiment, non triés.

Que ces déchets soient encore à même le sol est « une honte absolue », s’indigne auprès de l’AFP Muriel Ruef, avocate de plusieurs associations de défense de l’environnement, qui pointe par ailleurs « une certaine défaillance » de l’Etat français « dans la gestion de cette pollution ». 
« Dans l’attente de la reprise (des déchets), les autorités sont normalement tenues d’assurer leur conservation dans des conditions sûres », a-t-elle précisé, citant des textes européens.

A l’ouverture du procès, l’avocate avait évoqué un « scandale » écologique « à la mesure des territoires » impactés, inquiète notamment que certains dépôts aient eu lieu à proximité d’une rivière. 

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