Les « mégacamions » : feu vert pour le Parlement européen, feu rouge pour la planète 

Par Charlotte Combret , le 13 mars 2024 - 6 minutes de lecture
Les « mégacamions » obtiennent le feu vert du Parlement

Les « mégacamions » obtiennent le feu vert du Parlement. Crédit : Dominika Zarzycka / NurPhoto / AFP

Les députés européens ont voté mardi 12 mars en faveur de la circulation des « mégacamions » – ces mastodontes pouvant peser jusqu’à 60 tonnes – dans l’Union européenne. Un « contre-sens climatique » pour les écologistes. 

Une décision qui pèse lourd, très lourd, dans la balance. Avec 330 voix pour et 207 voix contre, le Parlement européen a adopté en première lecture la directive de la Commission européenne « Poids et dimension ». Le texte prévoit d’une part, d’augmenter le poids maximal des camions circulant dans l’enceinte de l’UE de 40 à 44 tonnes et d’autre part, de faciliter la circulation des « mégacamions ». Pouvant mesurer 25,25 mètres de long et peser jusqu’à 60 tonnes, ces camions géants – jusqu’ici interdits en France – pourraient bientôt sillonner les routes du territoire. À l’écoute du verdict, la présidente de la commission transports et tourisme du Parlement européen Karima Delli a dénoncé sur X un « contresens climatique et pour notre sécurité sur la route », qualifiant ce vote d’« irresponsable ».

Un terrain de tennis

25,25 mètres de long. C’est l’équivalent d’un terrain de tennis. Ces camions à rallonge, composés d’un conteneur auquel s’ajoute une remorque, existent déjà dans une poignée de pays (Suède, Finlande, Pays-Bas, Allemagne…), mais ce texte, adopté en séance plénière avant des négociations avec les États membres, pourrait bien doper leur développement. 

Surtout, la circulation de ces « mégacamions » – aussi appelés « gigaliners » – serait automatiquement autorisée entre États voisins consentants, sur la base de leurs réglementations nationales. L’intérêt affiché par les porteurs de la directive ? Économiser consommation de carburant et émissions carbone en transportant davantage en moins de trajets. Une logique hasardeuse pour les écologistes, dont l’ensemble des amendements ont été rejetés lors du vote.

Verdir les poids lourds ?

Si cette révision législative a été mise à l’ordre du jour, c’est d’abord pour favoriser l’essor des poids lourds électriques ou à hydrogène. En raison de la batterie électrique, ces technologies sont plus lourdes et plus volumineuses. Cependant, la mesure n’est pas sélective. Les véhicules diesel bénéficieraient également de ce relèvement à 44 tonnes jusqu’en 2034. In fine, sous couvert d’une volonté de décarboner le transport routier, l’initiative pourraient bien donner un coup d’accélérateur au secteur.  

« Le vote d’aujourd’hui va à l’encontre des objectifs fixés par le Green Deal de décarbonation de nos transports. Qui peut sérieusement imaginer que des mégacamions diesel de 60 tonnes nous permettront de réduire les émissions de CO2 des poids lourds de 90% d’ici 2050 ? », a réagi l’eurodéputée écologiste Karima Delli dans un communiqué. « Comment peut-on justifier d’augmenter le poids maximum des camions de quatre tonnes sous prétexte de verdir les poids lourds ? C’est totalement contradictoire » a-t-elle abondé.

Un frein au développement du rail 

En parallèle, le grand perdant dans cette initiative : c’est le rail. Cette compétitivité accrue fragilisera immanquablement le développement du ferroviaire, l’objectif européen étant pourtant de doubler sa part dans le transport de marchandises d’ici 2030. « Cela engorgera nos routes déjà encombrées, mettra sous pression les ponts… L’impact anéantira les gains environnementaux, en encourageant la route même quand le rail est plus efficace et écologique », a déploré devant la presse en Sigrid Nikutta, patronne de DB Cargo, géant du fret ferroviaire. 

« Le rail est sept fois plus économe en énergie que la route », a de son côté rappelé Frédéric Delorme, président de Rail Logistics Europe (SNCF). Selon un rapport de l’Agence européenne pour l’environnement, le transport était responsable d’environ un quart des émissions totales de CO2 de l’UE en 2019, dont 71,7 % provenaient directement du transport routier. Mme Delli redoute ainsi l’arrivée de « dix millions de camions en plus sur les routes en Europe », qui émettraient « six millions de tonnes de CO2 par an » supplémentaires, analyse-t-elle au micro de France inter. 

Un enjeu de sécurité routière

Et l’empreinte carbone du secteur du transport routier n’est pas la seule ombre au tableau. Plus de camions sur les routes, c’est plus de risques pour les usagers. « La distance de freinage de ces engins est beaucoup plus importante, ce qui pourrait augmenter les risques d’accident routiers de 80%, ce qui est énorme » prévient Mme Delli.

En outre, l’alourdissement des camions impactera les chaussées et les ponts. « En France, le problème que nous avons, c’est que nous n’avons pas du tout des routes adaptées à ces mégacamions », a-t-elle encore regretté. Le cabinet D-Fine prédit 1,15 milliard d’euros de dépenses publiques additionnelles par an pour l’entretien des infrastructures routières, avec « des détériorations disproportionnées : dix camions de 44 tonnes font plus de dommages que quinze de 40 tonnes ».

« La balle est dans le camp de la France »

Pour l’heure, la circulation des « mégacamions » sur les routes européennes dépend de l’approbation finale du Conseil européen. Le texte doit désormais faire l’objet d’une négociation en trilogue avec la Commission et le Parlement organisée après les élections européennes de juin prochain. Les conditions d’application seront notamment discutées lors de cette réunion. Chaque État membre pourra ensuite refuser le passage de ces « mégacamions » sur son territoire. 

« Ce texte est une honte, mais il ne contraint pas la France à accepter ces mégacamions » rappelle sur X le député européen David Cormand. La question est désormais la suivante : « Est-ce que la France va autoriser ces camions géants sur son sol ? »

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Charlotte Combret

Issue d’une grande école de commerce, Charlotte délaisse rapidement les open spaces parisiens pour s’engager dans la voie de l’indépendance. Son désir de lier pédagogie et poésie la conduit à devenir journaliste rédactrice, dans les Landes, pour des entreprises et médias engagés. Ses passions : le cinéma animalier, les voyages en train, les lectures féministes et les jeux de mots en tout genre.

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