Pauline du Collectif Minuit 12 : « Le but, c’est de créer un lien sensible, émotionnel » pour connecter le public aux questions écologiques
Dans « spectacle vivant », il y a « vivant ». Et le collectif Minuit 12 danse pour rappeler à tous les publics qu’ils le sont. Pour Pauline Lida, artiste et cofondatrice, la création se présente comme un outil de lutte capable de « toucher les gens autrement, en passant par le sensible ». De performances organiques où danse et musique se mêlent, naissent des mises en mouvement. Elle nous raconte toute l’essence de ce collectif artistique et activiste que l’on n’est pas prêt d’arrêter.
Le collectif Minuit 12 c’est qui, c’est quoi ?
Le collectif Minuit 12 a été fondé il y a environ un an et demi. On est trois cofondatrices : moi-même, Pauline Lida, Justine Sène et Jade Verda. En fait, à la base, on est toutes les trois danseuses. On a également d’autres cordes à nos arcs et c’est pour cela qu’on avait envie, non pas de monter une compagnie de danse, mais un collectif artistique qui puisse rassembler plein d’arts différents. Il y a des plasticiens, compositeurs, réalisateurs, scénographes… Le but, c’était de pouvoir faire un collectif ouvert.
Tout est né avec un spectacle qui s’appelle « Écume ». C’est un spectacle que j’ai écrit il y a deux ans et autour duquel j’ai rassemblé ces danseurs. C’est un conte environnemental qui explore notre relation à l’eau. On s’est ensuite rendu compte qu’on avait envie de créer d’autres projets qui liaient justement création artistique et préoccupations environnementales/questions écologiques. Et ce qui nous a poussé à continuer, ce sont surtout les réactions du public. On a vu qu’on arrivait à toucher les gens autrement, en passant par le sensible, en passant par l’art. On arrive à parler de thématiques qui ne sont pas du tout abordées dans certains cercles ou qui ne sont pas perçues de la même manière, parce qu’on nous bombarde de plein de chiffres, de plein de réalités qui peuvent parfois sembler très froides et très lointaines. Le but, c’est de créer un lien sensible, émotionnel, pour rapprocher ces thématiques du public.
Pourquoi a-t-on besoin de beau dans cette lutte contre le changement climatique et pour le vivant ?
Je pense que c’est un besoin de connexion. C’est pour cela que c’est intéressant de passer par la danse, par le mouvement, parce qu’on peut incarner ce propos et le rapprocher des gens. Il y a beaucoup de choses qui peuvent sembler intangibles ou lointaines. Quand on arrive à passer par l’émotion, parfois, ça crée un petit déclic, une petite étincelle. Les gens vont ensuite se renseigner, vont nous poser des questions, vont carrément décider de s’engager. Une spectatrice nous a envoyé un message après une représentation, en nous disant que c’était le déclic dont elle avait besoin. Elle revenait de sa première transat et ça l’avait poussé à se lancer et à aller à la rencontre de son environnement. C’est aussi une question de rencontres. Nous, on danse également en extérieur, en dehors des lieux de représentation classiques. Parce que le but, c’est de pouvoir justement amener ces créations artistiques dans des cercles différents, mais aussi se connecter à notre environnement en allant danser dans des milieux naturels.
L’environnement, le cadre, les éléments font entièrement partie de vos performances. Quel serait le prochain avec lequel vous aimeriez composer ?
Parfois, c’est notre environnement qui est notre source d’inspiration. C’est le cas pour des créations longues comme « Écume ». Parfois, on propose des créations qui sont beaucoup plus coups de poings pour donner du souffle à des luttes activistes. Par exemple, comme c’était le cas contre le projet EACOP de Total, on a juste quelques jours et il faut monter une action pour montrer qu’il y a des gens qui se mobilisent, qui mettent leur corps en action contre ce projet.
En ce moment, on travaille sur une création qui explore la désobéissance civile et ses différentes formes : comment est-ce qu’on peut lutter contre des projets en tant qu’individu ? Comment est-ce qu’en s’alliant, on peut réussir à trouver des forces et de la motivation ? Quand on parle de ces luttes-là, on perd parfois un peu espoir, on se dit que c’est dur. On pense toujours aussi à une lutte « contre », alors que ce qui est beau aussi, c’est de trouver une lutte « pour ». Il y a énormément de personnes qui, par exemple, ont du mal avec ces thématiques, mais vont rentrer dans ces sujets-là par le beau, par le fait de se dire qu’on peut aussi militer dans l’énergie, dans la joie pour un futur autre et pour un monde plus viable.
Suite à cette action que vous avez menée contre la construction du pipeline EACOP ou encore celle que vous avez initiée en mai dernier lors de l’assemblée générale de Total Énergies, ressentez-vous que l’activisme culturel « fonctionne » ?
Je dirais que la force de l’art, et surtout de la danse, parce que la danse, ça circule énormément, c’est qu’il y a un fort pouvoir, ça peut vite devenir viral. Cela se partage énormément sur les réseaux sociaux. Il y a des vidéos de danse partout. Pour reprendre l’exemple d’EACOP, la première fois que l’on a monté l’action devant le siège de Total, j’ai retrouvé cette vidéo partagée par plein de personnes qui ne sont jamais intéressées plus que ça à ces questions-là et ne connaissaient pas le projet EACOP. Mais parce qu’elles ont vu cette vidéo, elles se sont intéressées au sujet en se demandant : pourquoi est-ce qu’ils font ça ? Quel est le projet derrière ? Quels sont les risques ? Pourquoi est-ce qu’ils se sont motivés à monter cette action-là ? Avec cette première vidéo, c’est là où je me suis rendu compte que c’était possible de réussir à toucher d’autres publics et de réussir à toucher des personnes différemment en se disant : il y a déjà plein d’activistes qui font un boulot incroyable. Nous, on va essayer de faire du bruit aussi, mais en passant par ce qu’on sait faire de mieux, c’est-à-dire danser, rassembler nos corps et projeter cette énergie-là.
C’est la même chose quand il y a eu l’AG de Total. Cette fois-ci, on n’était juste pas les trois cofondatrices. On a fait quelque chose qui semblait petit devant cette AG, où l’on s’est fait gazer en même temps qu’on dansait. Mais il se trouve que vu que la danse interpelle et crée des petites bulles un peu hors du temps, ça a été repris par des médias et par pas mal de personnes différentes. Cela a permis de parler de cette journée, alors qu’autrement, plein de personnes seraient passées à côté de cette information.
Pouvez-vous nous parler de vos projets artistiques de cette rentrée ?
L’année dernière, on a fini le plus gros projet du collectif entièrement monté en interne qui s’appelle « La Magma ». Le but, c’était d’engager les communautés artistiques davantage sur ces thématiques-là. Il y avait un court-métrage, un festival, une déambulation artistique dans Paris. C’était beaucoup d’organisation et de logistique. Pour cette rentrée, on se recentre sur la création artistique en elle-même, on prend le temps de développer des pièces. On travaille sur un nouveau duo qui s’appelle « Les Racines du ciel » et qui part de l’œuvre de Romain Gary. Le but, c’est de creuser l’aspect artistique, de toujours le lier à des dates qui sont importantes pour des projets qu’il faut stopper comme EACOP, mais aussi de prendre le temps de faire évoluer nos créations et de les diffuser pour qu’elles rencontrent des publics différents.
Prochainement, on va danser des extraits d’« Écume » au Luxembourg. Ensuite, il y a d’autres dates qui arrivent à Paris et ce qui est important pour nous, c’est toujours de pouvoir multiplier le type de lieu, le type de scène. C’est également la raison pour laquelle à l’intérieur du collectif, il y a plein de styles de danse différents. Si l’on reste centré sur un seul style de danse, on va s’adresser à un seul public. Du coup, on a aussi bien de l’électro, du contempo, du hip-hop, du classique… Et c’est la même chose pour les scènes. C’est important de pouvoir ramener une bulle artistique dans des événements et des festivals qui abordent généralement ces thématiques sous forme de conférences ou de discussions. On avait fait ça en dansant dans un festival à Belleville, au cœur de la ville. Parfois, il y a des gens qui tombent sur de la danse, sont surpris, ne s’y attendent pas. Ils nous envoient ensuite des messages pour comprendre un peu ce qu’on fait, quel est le but du collectif.
Dans peu de temps, on organise une nocturne à l’intérieur du Musée d’Orsay. Ça va être une nouvelle création du collectif qui va représenter ce mélange des styles et cette nécessité de ramener aussi les questions écologiques, environnementales et toutes les préoccupations autour de la crise climatique à l’intérieur des lieux culturels français dont le Musée d’Orsay est l’un des emblèmes !
En quoi la danse peut nous relier, nous connecter à la planète et au vivant en tant que spectateur ?
Je pense qu’il y a quelque chose qui est propre à la scène. Quand on voit des spectacles sur scène, on plonge dans un univers. C’est physique, parce qu’on voit les performeurs en face de nous. Je trouve qu’en termes d’émotions, il y a quelque chose de très fort qui se passe parce qu’on peut réussir à créer des mondes et qu’on voit les gens en direct, qui sont juste devant nous. Mais la différence, avec le théâtre par exemple, c’est que la danse est accessible à tout le monde. Il n’y a pas de mots, pas de termes simples ou compliqués, pas de langage. Ça passe exclusivement par le mouvement. Chacun peut en faire son interprétation, ce qui permet aussi de parler à tous les âges et tous les publics, peu importe les langues parlées.
En travaillant avec les corps, on arrive à créer une sorte d’émotion qui est donnée par l’alliance de la danse et de la musique. Il y a vraiment cette alliance des deux. Ce sont les spectateurs qui nous poussent à voir comment on peut creuser ce lien. C’est pour cela que l’une de nos danseuses, qui s’appelle Inès, son nom de beatmakeuse c’est Arabic Flavor Music, est la compositrice du collectif. Tous les sons de nos performances sont entièrement créés par elle. C’est une co-création. Le son et la musique avancent ensemble et c’est vraiment un dialogue permanent. Le but, c’est de créer une alchimie entre les deux pour porter au mieux le propos et pour pouvoir venir toucher le spectateur sur scène.
« On n’arrête pas un peuple qui danse », c’est le titre de votre dernier court-métrage, pensez-vous qu’une révolution éco-culturelle est en marche ?
Je pense qu’à la fois, c’est en marche et à la fois, c’est nécessaire. Si on veut se projeter dans un futur qui est autre et se dire que des changements profonds sont possibles, on a besoin de la force des imaginaires, on a besoin de nombreux récits, on a besoin de se dire que les contours de ce monde sont possibles justement. Et surtout, quand on a été habitué à un même fonctionnement pendant des générations, on va essayer d’améliorer et de carrément changer des éléments qui structurent nos sociétés actuelles. On a besoin d’artistes pour nous dire que c’est possible, qu’on va le dessiner ensemble, qu’on va le construire ensemble, parce qu’on a besoin d’être créatifs pour imaginer quelque chose de nouveau. On a besoin de toutes les imaginations, de toutes les créativités. Donc, je pense que c’est extrêmement nécessaire. De l’autre côté, quand on a fait le projet « Magma » et toute la programmation, on a travaillé avec des artistes en école d’art. On a fait des workshops avec eux et ils ont fait une exposition à la fin.
On a fait toute la programmation pour « La Magma », du coup, en rassemblant plein d’artistes. Ça nous a fait découvrir un panel d’artistes et de jeunes artistes encore en formation qui ont ces questions-là chevillées au corps et se disent que les questions écologiques vont amplifier plein de problèmes que l’on connaît déjà actuellement : en termes d’inégalité, de droits des femmes, de droits sociaux… Pour plein de gens, c’est extrêmement important de se mobiliser et d’utiliser ce qu’ils ont et ce qu’ils savent faire, c’est-à-dire leur art, leurs créations. Il y a des gens qui sont prêts à utiliser leur musique, leurs créations textile, leur art vidéo… Et à se motiver pour ça. Pour nous, c’était vraiment une bouffée d’air frais. On était vraiment en train de vivre à un moment où des communautés artistiques se mobilisent et je trouve ça hyper fort !
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