Énergie solaire : pourquoi la France est à la traîne ?
Manque de vision sur le long terme, complexité administrative, absence de politique structurante en matière de compétences et de formation… Les freins au développement de l’énergie solaire en France sont clairement identifiés. Pourtant, les solutions peinent à émerger et le pays reste désespérément en retard, tant sur le déploiement du photovoltaïque que sur les parcs solaires thermiques.
Si la France possède l’un des mix énergétiques les plus décarbonés d’Europe, elle le doit surtout à sa production d’énergie nucléaire. Grande championne dans ce domaine, dont elle est à la fois – et de loin – le plus gros producteur européen et le pays avec la part la plus importante dans sa production d’électricité, la France est plutôt en queue de peloton en matière d’énergies renouvelables. Elle a d’ailleurs été épinglée à Bruxelles comme la seule à ne pas avoir atteint ses objectifs en matière de développement des énergies renouvelables pour 2020. L’énergie solaire pourrait-elle être une locomotive pour le renouvelable français ?
C’est ce que l’on pourrait être tenté de croire en découvrant le dernier rapport de France Territoire Solaire. « Le marché solaire français atteint un record sans précédent en franchissant la barre des 3 GW raccordés sur un an, grâce à un 4ème trimestre 2023 très dynamique », peut-on lire dans leur observatoire. Le think-tank, qui fait référence en matière de données de marché du secteur solaire photovoltaïque en France, souligne le « très haut niveau d’autoconsommation », avec notamment des hausses sur les grandes installations, et même un record de volume raccordé sur les grandes toitures. « Depuis que l’énergie solaire photovoltaïque a commencé à se déployer en France à la fin des années 2000, jamais la capacité des nouvelles installations raccordées n’avait atteint un tel volume : près de 3,2 GW en une seule année, un chiffre remarquable lorsqu’on le compare au volume annuel moyen raccordé sur la décennie 2011-2020 (de l’ordre de 900 MW/an) », explique Antoine Huard, président de France Territoire Solaire.
Mais il tempère fortement ces résultats au regard de ceux du reste de l’Europe. « Cette performance ne doit pas inciter à l’euphorie, quand on la met en perspective avec le rythme de déploiement annuel de nos voisins, qu’il s’agisse de l’Allemagne (14,1 GW en 2023), des Pays-Bas (4,1 GW) ou de l’Espagne (8,2 GW). Face à des besoins croissants et massifs d’électricité sous l’effet combiné de la réindustrialisation et de l’électrification des usages, la montée en puissance des nouvelles capacités renouvelables en général et solaires en particulier, devient une nécessité absolue – et un rythme de 3 GW par an ne suffira pas. »
Même son de cloche côté capteurs solaires thermiques, secteur dans lequel la France n’a que la sixième surface installée sur le continent, et la 18e production ramenée au nombre d’habitants…
Un manque de vision sur le long terme
Trois freins semblent limiter le déploiement de l’énergie solaire en France à un rythme plus élevé.
D’abord, un manque de vision sur le long terme. Le dernier rapport du Haut Conseil pour le Climat souligne que « la transition du système électrique français manque de visibilité, du fait de l’absence d’une vision partagée permettant une planification sur le long terme ». Le HCC note que « la trajectoire de baisse des émissions de la France et le besoin croissant d’énergie décarbonée impose un déploiement accéléré des énergies renouvelables à court terme, indépendamment des développements envisagés sur la capacité nucléaire de la France, qui n’apporteront une contribution significative que bien après 2030, voire 2040 ». Parmi les leviers essentiels à activer selon le Haut Conseil pour le Climat : la maîtrise de la demande (efficacité et sobriété) et le développement du photovoltaïque.
Autre frein identifié : la complexité du système administratif. Études, mise en compatibilité avec les documents d’urbanisme, respect des critères d’éligibilité des appels d’offres de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), instruction de la demande de permis de construire, enquête publique, et le cas échéant dérogation de destruction d’espèces protégées, autorisation Loi sur l’eau, autorisation de défrichement… Les étapes à franchir avant de réaliser un projet de parc solaire au sol sont nombreuses. « Le développement d’un projet de centrale solaire au sol requiert aujourd’hui une durée de quatre ans en France, contre à peine plus d’un an en Allemagne », déplore France Territoire Solaire. Effy, entreprise spécialisée dans les travaux de rénovation énergétique pour les particuliers, note pour sa part que « le décret qui autorise l’autoconsommation solaire n’est paru qu’en mai 2017. Sans compter que les démarches auprès de la mairie sont très contraignantes et que le marché reste très opaque ». Autant de « lourdeurs administratives » qui expliquent que « le marché ne décolle toujours pas », selon Antoine Huard.
Enfin, le Haut Conseil pour le Climat pointe également « les défis auxquels font face les entreprises concernant par exemple la disponibilité des salariés et de compétences ». Alors que le secteur alerte sur le manque de main d’œuvre, les solutions mises en place (créations d’écoles, ateliers pôle emploi pour trouver des candidats…) ressemblent à du bricolage. « À l’instar des autres secteurs, l’identification des transformations nécessaires sur le marché de l’emploi ne font pas l’objet de mesures de politiques publiques structurantes », note le HCC. Pourtant, le secteur des énergies renouvelables a un très fort potentiel en termes de création d’emplois : 100 000 postes sont nécessaires d’ici 2030 pour répondre aux besoins. Sans parler de la rénovation énergétique des bâtiments, pour laquelle le gouvernement estime devoir mettre en place plus de 200 000 recrutements sur la même période.
Alors que les freins sont clairement identifiés, reste à savoir si la France est capable d’activer de nouveaux leviers pour combler son retard et se positionner dans un rapport long-termiste à la question de l’énergie solaire. Un pas de côté indispensable pour mettre les actions au niveau des discours.
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