Gaz fossile : comment l’industrie et l’État organisent la fabrique de la dépendance, d’après les Amis de la Terre

Par Charlotte Combret , le 4 avril 2024 - 5 minutes de lecture
Station de compression de GRTgaz à Morelmaison en France

Station de compression de GRTgaz à Morelmaison en France. Crédit : Sébastien BOZON / AFP

Dans un rapport accablant, rendu public le mercredi 3 avril avec le soutien de cinq organisations, les Amis de la Terre décryptent la fabrique de la dépendance qui s’est tissée autour du gaz fossile en France. D’après l’association, alors que cette énergie fossile est présentée à tort comme moins préjudiciable que le pétrole ou le charbon, elle bénéficie d’un « laisser passer dans les politiques climatique et énergétique » du pays.

Y a de l’eau dans le gaz. S’il fait moins parler de lui que son homologue couleur ébène, le gaz fossile n’en demeure pas moins considérablement impactant pour le climat, en raison notamment des fuites de méthane – un gaz à effet de serre avec un effet réchauffant 84 fois supérieur au CO₂. C’est ce que rappelle l’ONG Les Amis de la Terre, soutenue par Beyond Fossil Fuels, Food and water action Europe, Razom We Stand, Reclaim Finance et Réseau Action Climat dans son dernier rapport. Avec des cours instables et vulnérables aux chocs géopolitiques, le gaz fossile présente également un coût économique et social considérable, tout en entraînant des effets néfastes sur la santé (cancers près des sites d’extraction, asthme des enfants associé à l’utilisation de gazinières…). 

Une affaire de choix politiques

Pourtant, la France en est encore fortement dépendante. Le pays est même le troisième plus grand consommateur de gaz fossile et le premier importateur de GNL (gaz naturel liquéfié) de l’Union européenne. Au contraire, précisent les Amis de la Terre dans un communiqué, les politiques énergétiques passées et le discours actuel le présentent comme une « énergie de transition ». Alors que le GNL serait un moyen de se passer de gaz russe suite à la guerre en Ukraine, le rapport explique que l’État français, les entreprises et les banques étaient impliqués depuis des années dans son développement. En France, six projets portés par GRTGaz ont discrètement émergé, en plus du terminal flottant du Havre mis en service en octobre 2023. Ces initiatives pourraient augmenter la capacité d’importation française de GNL de 75 % par rapport à 2021. 

D’après les Amis de la Terre, cela fait des années que l’État français entretient ainsi la dépendance du pays au gaz, par le biais : d’une politique énergétique défaillante qui retarde la sortie du gaz fossile ; d’un jeu trouble au niveau européen afin de soutenir le gaz et le nucléaire quitte à amoindrir le Pacte vert (Green Deal) ; d’un soutien protéiforme aux entreprises et banques qui développent des projets gaziers à l’international (Russie, Mozambique, États-Unis) ; d’un État actionnaire d’Engie qui ferme les yeux sur la politique expansionniste du groupe ; ou encore de la poursuite des financements publics dans le gaz.

« Ces phénomènes à l’œuvre depuis 2022 font écho à d’autres ces dernières années. Ils mettent en évidence que la dépendance au gaz fossile n’est pas inéluctable, mais fabriquée : elle est issue de choix politiques, influencés par les intérêts de l’industrie fossile » alerte Anna-Lena Rebaud, chargée de campagne Gaz fossile et Transition juste aux Amis de la Terre. 

Une autre voie est possible

Le moment est décisif. « Il est encore temps de refuser de s’enfermer dans cette dépendance délétère pour le climat, les droits humains et l’économie en choisissant une autre voie » plaident les Amis de la Terre alors que la troisième Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) devant définir la trajectoire énergétique de la France pour la prochaine décennie est attendue cette année. Comment ? L’association formule 17 recommandations à appliquer d’urgence pour changer de direction.  

Outre la mise en arrêt du déploiement de nouvelles infrastructures gazières, cela passe par la réduction ou la fin des usages du gaz, notamment non nécessaires en transformant par exemple, les systèmes agricoles pour se passer d’engrais chimiques, et en réduisant l’usage du plastique et les flux de transport de marchandises. En parallèle, la rénovation énergétique doit permettre de réduire l’usage du gaz dans le résidentiel et le tertiaire, mais aussi le coût du chauffage pour les ménages alors que 5,2 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique en France, rappelle l’ONG. 

Autre volet indispensable de la transition énergétique d’après le rapport : le développement d’un système électrique 100% renouvelable, en veillant à ne pas reproduire les travers de l’industrie fossile (centralisation, priorité aux profits, au détriment des écosystèmes et au mépris des droits des communautés) et en assurant un réel contrôle démocratique. Pour cela, « l’État doit jouer un rôle proactif pour planifier et mettre en œuvre une politique cohérente, démocratique et juste de sortie du gaz fossile ». 

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Charlotte Combret

Issue d’une grande école de commerce, Charlotte délaisse rapidement les open spaces parisiens pour s’engager dans la voie de l’indépendance. Son désir de lier pédagogie et poésie la conduit à devenir journaliste rédactrice, dans les Landes, pour des entreprises et médias engagés. Ses passions : le cinéma animalier, les voyages en train, les lectures féministes et les jeux de mots en tout genre.

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