Kevin, ambassadeur de l’agriculture urbaine, du vélo et des énergies vertes : « chacun fait à la hauteur de ses moyens »
Si en 2020, le confinement a mis le monde à l’arrêt, c’est à ce moment-là que Kevin, jeune parisien de 29 ans, s’est mis en marche. À mesure qu’il sème des graines en terre normande, d’autres prennent racine dans son esprit. À son retour sur la capitale, il crée son entreprise avec l’envie de démocratiser l’agriculture en ville. En parallèle, ce grand amateur de vélo se forme en mécanique et se met à retaper d’anciens bolides bas-carbone pour en faire profiter ses proches. Tous les matins, c’est désormais du côté du 19e arrondissement qu’il gare le sien. Depuis mars, Kevin revêt une troisième casquette : celle de responsable commercial chez Ekwateur. Selon lui, l’engagement est avant tout une quête personnelle à mener avec ses propres armes. Dans cet entretien, ce multi-engagé nous présente les siennes.
Tu te souviens du moment où tu as commencé à prendre conscience de la crise climatique et de l’ampleur des dégâts ?
Je pense que je me suis posé des questions pendant le confinement, avec le Covid. Quand on apprend les origines de cette catastrophe, on se dit « effectivement, il y a peut-être quelque chose qui nous dépasse et sur lequel on pourrait agir davantage ». Après, je ne pense pas avoir eu de moment vraiment particulier. J’ai l’impression de baigner là-dedans depuis longtemps. J’ai toujours été engagé pour l’écologie au sens large. Donc pas forcément de déclic, mais plutôt davantage de responsabilités prises vis-à-vis du sujet en grandissant.
Comment se traduit ton engagement au quotidien ?
Sur des différentes verticales. Il y a d’abord le côté mobilité. J’adore le vélo. Je me déplace énormément comme ça pour aller au travail ou pour voyager. J’aime beaucoup partir à l’aventure à vélo, ça me procure une grande sensation de liberté. Écologiquement, c’est beaucoup plus intéressant que de prendre la voiture, l’avion ou autre. J’ai d’ailleurs suivi une formation de mécanicien vélo pour être indépendant et pouvoir subvenir à mes réparations lors de mes voyages (et ne pas rester sur le bord de la route à attendre le dépannage), et aussi pour pouvoir faire des vélos. J’adore pouvoir retaper des vélos sur mon temps libre et les offrir aux personnes qui souhaiteraient également se déplacer de cette façon.
Pour la partie vêtements, par exemple, je me tourne beaucoup vers le circuit-court. Je vais privilégier la friperie ou des applications qui proposent des vêtements de seconde main. Côté nourriture, je ne mange pas trop de viande. Je n’en achète pas chez moi, mais je ne me prive pas d’en manger dehors. Sinon, pour la partie agriculture, j’ai fondé une société qui s’appelle « On sème en ville » pendant le confinement.
Peux-tu nous en parler ?
Pendant la période Covid, j’ai eu la chance de pouvoir me confiner chez la mère de ma copine qui habite en Normandie. Pour des choix assez logiques : j’avais un 15 mètres carrés à Paris et elle avait un hectare de terrain là-bas, un « grand jardin » disons. Pendant cette période, j’ai commencé à jardiner et je me suis pris de passion pour cette activité. Avant, j’avais un peu la même excuse que tout le monde : « je n’ai pas la main verte, je tue mes plantes etc ». En Normandie, on travaillait la terre. Donc, c’était chouette. Puis, à la fin du premier confinement, on a dû retourner à Paris et le jardinage m’a manqué. Je me suis renseigné pour savoir si je pouvais continuer à Paris et on m’a suggéré de m’inscrire dans des jardins partagés. Sauf que la liste d’attente était très, très longue. Je me suis alors dit que pour jardiner, il fallait simplement un extérieur et moi, j’avais un rebord de fenêtre. Donc j’ai commencé comme cela. Quand je suis reparti en Normandie, pendant le deuxième confinement, j’ai décidé de monter une boîte autour de ça.
Quel est ton objectif avec « On sème en ville » ?
L’objectif, c’était de donner la chance à chacun de pouvoir cultiver son petit coin vert sur un bord de fenêtre, une terrasse ou un espace un peu plus grand. Je ne promets pas l’abondance ni l’autosuffisance sur ces petites surfaces, mais en tout cas, c’est un moyen d’aborder d’autres problématiques. Comme comprendre le fonctionnement du cycle de vie des fruits et légumes. Une salade à un euro, finalement, ce n’est pas si cher quand on voit à quel point c’est compliqué et chronophage de faire pousser des légumes. Peut-être qu’on pourrait revaloriser un petit peu le travail des agriculteurs, cet aspect-là me tenait à cœur. En me renseignant, je suis tombé sur une étude qui disait que, dans une école marseillaise, 87% des enfants ne savaient pas reconnaître une betterave. Parce que les légumes, on les voit juste travaillés, découpés en dés à la cantine. Ça me chagrinait un peu. Je me suis dit qu’il fallait montrer que ça ne poussait pas sur la table d’un magasin. En plus, mettre les mains dans la terre, c’est aussi une activité ludique qui permet de sortir la tête des écrans.
Qu’est-ce que tu proposes comme graines ?
Ce sont essentiellement des aromates, des légumes et des fleurs. L’idée, c’est de proposer une box prête à l’emploi avec tout le nécessaire pour débuter le jardinage sur des petites surfaces. On fournit des pots biodégradables issus de matériaux qui sont tous sourcés en France. Il y en a plein qui sont faits à partir de fibres de coco. Pour moi, c’était hors de question d’utiliser ça, donc j’ai fait appel à des producteurs des Vosges qui font des fibres de bois d’épicéa. J’ai fait ça pour chacun des produits. En gros, dans chacun des kits, il y a cinq variétés de graines, trois légumes, une fleur et un aromate. Tous comestibles. Il y a des petites carottes qu’on peut faire pousser en jardinière, des petites laitues, des petits radis, des petites tomates, tout est petit du coup !
Ce mois-ci, qu’est-ce que tu fais pousser ?
Là, avec le temps qu’on a, je suis encore sur ma récolte d’été, ce qui n’est pas normal du tout. On devrait déjà être passé aux courges. J’ai encore des tomates, des micro-aubergines, des aromates. Normalement, à cette période, je n’ai plus de basilic, plus rien, mais tout est encore en pleine forme. Bon, j’ai quand même les premières cucurbitacées qui pointent le bout de leur nez. D’ailleurs, ça me fait penser à une chose, c’est qu’en plantant des fruits et légumes, on se rend mieux compte de la saisonnalité et du fait qu’on ne peut pas manger de tout, n’importe quand. Essaie de faire pousser des tomates sur ton balcon au mois de février, tu verras que ça ne marchera pas (sauf si tu habites au sud de l’Espagne ou que tu as une serre). Et quand bien même tu peux en manger parce que le supermarché t’en fournit, ça n’a pas le même goût. Alors que ceux que tu plantes toi-même, je ne sais pas si c’est parce que l’on y a mis un peu d’amour ou quoi que ce soit, mais en tout cas, je crois qu’il y a un goût démultiplié et bien meilleur !
Ce projet-là m’a aussi amené à avoir des bureaux, parce qu’il fallait bien que je dispose d’un espace pour stocker tout mon matériel et pour travailler. Ça m’a donné l’idée de proposer ces services aux entreprises à travers des activités de team-building. Ça peut être de la sensibilisation ou des activités organisées chez le client directement ou dans mes bureaux à Nanterre. On a un énorme espace de jeu, de jardinage ! En fonction des saisons, on propose soit de travailler la terre, soit de planter, soit de récolter. C’est une activité ludique parce que dès qu’on met un peu les mains dans la terre, nous, les Parisiens, on se sent un peu fermiers.
Ce sont des graines bio et reproductibles, c’est bien ça ?
Exactement. L’idée, c’est pouvoir les troquer après. Il y a même des gens qui font des grainothèques. Pour prendre un exemple, si on plante un radis et qu’on le laisse en terre un peu plus longtemps que prévu, le radis va faire des fleurs et sur les fleurs, on va pouvoir récupérer les pépins, les graines, les faire sécher et les réutiliser. Toute l’année, parce que les radis, on peut les planter quasiment toute l’année. C’est pareil pour chacune des variétés. Ce sont des variétés qui sont françaises, bio et reproductibles. Tout à l’heure, je parlais de produits qui étaient sourcés en fonction des valeurs qu’on voulait donner à cette boîte. Ça en fait partie. D’ailleurs, je dis « on » parce qu’on est deux. C’est ma copine qui est graphiste qui fait toutes les illustrations qu’on peut retrouver sur le site et les packagings. C’est hyper important parce qu’on voulait avoir des jolies fiches, qui ne soient pas jetées après une première utilisation. Sinon, pour la production, on travaille avec un ESAT qui est à Paris et qui est formidable. Pareil, avec nos fournisseurs, on essaie d’éviter un maximum de gaspillage. C’est zéro déchet.
Tu as passé quelques mois en Normandie avant de retourner à Paris, est-ce que tu arrives à concilier « écologie » et « vie citadine » ?
Je crois. À Paris, c’est plus compliqué qu’ailleurs, forcément. En tout cas, j’adore faire du vélo. Je pars en voyage à vélo. Je pense qu’il y a de plus en plus d’initiatives qui nous facilitent ces « choix de vie ». J’adore, par exemple, partir en train de nuit parce que c’est un voyage dans le voyage. Plutôt que de prendre l’avion où cela consiste juste à attendre, faire la queue pour checker nos bagages, etc. Là, on peut potentiellement voir de beaux paysages. Ça peut aussi être très pénible si on tombe sur des voisins qui ronflent ! Là, je suis en train de regarder pour aller à Vienne. Il y a une nouvelle ligne qui a ouvert il y a quelques semaines. Il y en a une autre qui va ouvrir en décembre pour aller à Berlin. Sinon, je suis allé à Briançon. J’ai récemment fait Paris-Amsterdam à vélo. Pour les gens qui débutent, j’ai aussi fait la Loire à vélo sur la route des vins !
On présente souvent l’engagement écologique sous le prisme de la punition, de la contrainte, qu’est-ce que l’engagement t’a apporté de positif et de joyeux ?
Je ne me prive pas, je ne pense pas qu’il faille se priver. Il faut simplement faire avec ses armes. Quand je parlais de la nourriture, moi qui mange peu de viande, ce serait effectivement me priver que de ne pas en manger. Pour autant, je pense que je fais ma part et qu’au contraire, ça permet de découvrir davantage de choses. En mangeant de saison, par exemple, on découvre une tonne de plats auxquels on ne pense pas forcément. Sinon, par définition, on mange toujours les mêmes choses et c’est assez dommage. Pour les voyages, ça permet de découvrir de nouvelles façons de se déplacer. Le vélo, c’est extraordinaire. Qu’on débute ou pas, on commence par des distances qui sont adaptées à ses compétences. Puis, au fur et à mesure, on y prend goût, on va de plus en plus loin et on peut faire le tour du monde à vélo ! Rien que le fait d’aller au travail à vélo : on arrive joyeux, on fait un peu de sport, on ne passe pas sa vie sous terre, on dépense moins d’argent. Je vois plus de bénéfices que de contraintes dans le fait d’avoir un comportement plus adapté à la sauvegarde de la planète.
En parlant de travail, est-ce que tu sens que tu as de l’impact dans le tien ?
Pour « On sème en ville », un impact oui, mais limité pour l’instant, à mon échelle. Mais ça me fait plaisir. Le vélo, j’en suis un ambassadeur. Là où j’ai le plus d’impact, c’est aujourd’hui chez Ekwateur. Je suis responsable commercial dans la partie B2B. On fait des offres sur mesure pour les entreprises et les collectivités. Concrètement, on leur propose des offres d’énergie renouvelable, que ce soit l’électricité ou du gaz, pour qu’ils délaissent les énergies fossiles. Je pense que c’est hyper important de commencer à changer ces choses-là. On touche beaucoup de gens et on voit vraiment un impact direct.
Es-tu éco-anxieux ou arrives-tu à rester optimiste ?
Honnêtement, j’essaie de ne pas trop me mettre de pression par rapport à ça. Je me dis que je fais ce que je peux avec les moyens que j’ai. Je pense que ce sont des choses qui me dépassent, ce sont des choix qui sont politiques et je ne suis pas engagé dans la politique. Je vais voter comme tout le monde et ça s’arrête là. J’ai mes gestes au quotidien qui me donnent « bonne conscience » et qui font que je suis droit dans mes bottes. Je ne suis pas éco-anxieux, par contre, ça me fait de la peine de voir la situation actuelle : les séismes, les inondations, les feux de forêt, etc. Cela fait mal au cœur, d’autant plus qu’on sait que ça va s’intensifier. Oui, il faut agir, mais ce n’est pas mon anxiété qui fera avancer les choses. Je pense que chacun fait à la hauteur de ses moyens, en fonction de ses valeurs. C’est bien de pouvoir être aussi l’ambassadeur de ça, de pouvoir en discuter sans contraindre ni être moralisateur. C’est un équilibre à trouver. Je pense qu’il faut le faire pour soi et pas pour prouver des choses.
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