Sailcoop : des traversées à la voile qui mettent le cap vers l’émerveillement
Des milliers de kilomètres parcourus en quelques heures… L’avion nous a fait perdre la notion de l’espace et du temps. Sailcoop s’est donné pour mission de la retrouver, en passant par la mer. Pendant toute la saison estivale, la coopérative propose à ses sociétaires des navigations entre le continent et la Corse, sur des voiliers endormis dans les ports. Ce qui aurait pu être un trajet devient alors un voyage, sur les eaux claires de la mer Méditerranée. Son fondateur, Maxime de Rostolan, lève le voile sur le projet.
Comment est né le projet Sailcoop ?
Je suis entrepreneur dans l’écologie depuis presque 20 ans maintenant. Je ne prends plus l’avion depuis une dizaine d’années pour être en cohérence avec ce que je raconte dans mes conférences ou ailleurs, et surtout, pour être en cohérence avec ce que j’ai compris du monde. En fait, j’en ai eu marre de juste dire « ne prenez pas l’avion ». Je me suis dit, « les gens n’arrêtent pas de voyager, il faut trouver une alternative ». Il se trouve que j’avais fait un tour du monde en 2005. J’étais rentré à la voile et ça avait été une expérience folle. Je me suis alors dit, « pourquoi est-ce qu’on n’utiliserait pas les bateaux qui traînent dans les ports pour transporter des passagers et les emmener soit en Corse, soit en Grèce, soit outre-Atlantique, carrément ».
J’en ai parlé sur les réseaux à la veille de mes 40 ans. Ça a pas mal réagi. Tant et si bien qu’avec un premier noyau de deux ou trois personnes, on a monté un petit questionnaire pour prendre la température. On a eu 2 000 réponses en 48 heures. On a compris qu’il y avait une vraie appétence et que les gens attendaient une alternative comme celle-ci, qu’ils aimaient la perspective de renouer avec le temps du voyage et aussi, de pouvoir déculpabiliser. On a demandé aux personnes qui avaient répondu « Si jamais le projet voit le jour, est-ce que vous seriez motivés pour en être et rejoindre l’équipe ? ». On a eu pas mal de profils qui se sont manifestés et on a monté une équipe en novembre 2021. Depuis, c’est cette même équipe qui mène la barque.
Pour le moment, vos itinéraires rejoignent la Corse, mais aussi les Antilles, en voilier ?
Oui, on a sauté dans le bain avec un premier propriétaire de bateau qui était prêt à mettre son voilier à disposition et on a ouvert la ligne en Corse. Puis le bateau est parti aux Antilles avec cinq passagers à bord. Il a fait quelques trajets là-bas, puis il est revenu en France au printemps. Ça, c’est notre première saison. Pendant que le bateau était aux Antilles, nous, on a trouvé un second propriétaire. Ce qui fait qu’on a désormais deux bateaux dans notre flotte, qui aujourd’hui se posent sur la Corse. Là, on est plutôt sur des moyennes et longues distances. La Corse, c’est 24 heures et la Transat’, c’est 30 jours.
Depuis le départ, on sait qu’il y a un autre gros enjeu, c’est la courte distance. C’est ce qu’on appelle le « marché des vedettes à voile ». C’est toutes les îles côtières avec l’île de Groix, Belle-île, Porquerolles, etc. Pour la France, mais partout dans le monde, il y a des îles qui sont desservies par des navettes ou des vedettes à moteur. On sait qu’il va falloir remplacer tout ce parc de bateaux à moteur par des bateaux propres. C’est pour ça qu’on a imaginé une navette à voile, qu’on a dessinée avec VPLP, qui est un gros cabinet d’architectes navals qui dessinent des bateaux très véliques, c’est-à-dire des bateaux qui vont vite au vent. Dès qu’il y a une petite brise, ils savent naviguer à la voile. Et ça, c’est un gros enjeu. On a lancé la construction d’un bateau, on a mis 1,6 million sur la table et donc on va faire sortir notre navette à voile l’année prochaine pour desservir des îles côtières.
En termes d’impact environnemental, en quoi le voilier est une bonne alternative à l’avion ou au ferry ?
C’est une alternative qui décarbone à 95 %. On est sur une niche, on ne remplacera jamais les Corsica ferries. Il y a 9 millions de personnes qui sont transportées par l’ensemble de cette compagnie et nous, on va avoir environ 1 000 personnes cet été. En revanche, on est sur une solution qui est radicalement décarbonée. C’est intéressant d’avoir en tête que quand on parle de la rénovation thermique des bâtiments en France par exemple, ce sont des opérations qui font économiser 30 % d’énergie. Donc ce n’est pas fou. Par contre, comme c’est sur 20 millions de logements, c’est énorme. Nous, c’est le contraire. C’est peu en nombre, en valeur absolue. Par contre, la décarbonation qu’on propose est radicale. C’est 95 %.
Le voyage en avion nous apprend finalement peu de choses, quels enseignements le voyage en mer peut-il nous apporter ?
Déjà, ça reconnecte à la nature. Ça veut dire que s’il fallait ramer, s’il fallait nager, s’il fallait y aller à pied, on prendrait du temps et l’avion a totalement déconnecté l’être humain de cette réalité-là. Enfin, l’être humain, les 20 % d’humains sur la Terre qui prennent l’avion, parce qu’il ne faut pas oublier que 80 % des gens ne prendront jamais l’avion de leur vie. Donc, quelque part, c’est un des artefacts que la société a trouvé pour contenter son besoin de croissance. Et puis, très concrètement, l’expérience n’est pas du tout la même. Dans un reportage réalisé par France 2 sur la traversée, un des passagers dit à la fin « ça n’a rien à voir, ce n’est pas la même chose ». Ce n’est pas la même chose de dormir sur un bout de moquette sur un ferry qui pollue et sur lequel on est à 40 mètres de haut au-dessus de la mer, que de quasiment pouvoir toucher la mer de ses mains et de voir des dauphins, des baleines. Parce que c’est le cas, 80 % des passagers voient des dauphins, 50 % voient des baleines. C’est un moment hors de temps, il n’y a pas de portable… Le voyage reprend tout son sens.
Est-ce qu’à titre personnel, la mer continue de vous surprendre et vous apprendre de nouvelles choses ?
Oui. Sachant que moi, je ne navigue pas, mais je vois pas mal de choses passer, des anecdotes rigolotes, etc. Ce qui est assez courant, c’est que les gens sont surpris par leur « non-mal de mer ». Il y a plein de personnes qui disent, « je croyais que j’avais le mal de mer et en fait, je suis laissé happer par le voyage ». Bon, je ne dis pas que personne n’a le mal de mer, mais pas mal de gens qui pensaient l’avoir, finalement, ne l’avaient pas ! Après, le terme qui me vient, qui est loin du champs sémantique du ferry, c’est l’émerveillement. Et Dieu sait qu’on en a besoin.
En plus de s’émerveiller, que fait-on sur un bateau pendant plusieurs heures ?
On participe à la vie. Déjà, on découvre ce que sont les manœuvres à bord. Selon les conditions et le capitaine, on peut prendre part aux manœuvres. En tout cas, donner un coup de main. En fait, ça passe très vite. Parce qu’on part à 14 heures, il y a le départ où on observe la côte s’éloigner. Après, on découvre un peu l’intérieur, la cabine. Puis on ressort pour le coucher de soleil. À un moment, on rentre pour préparer, pour réchauffer les bocaux. Il faut passer un petit peu derrière les fourneaux, mais sans pression. Enfin, il y a le dîner, l’observation des étoiles et on se couche. Le lendemain, on est déjà quasiment en vue des côtes. C’est finalement assez rapide.
Est-ce qu’on pourrait – et voudrait – imaginer un monde où les ports deviennent les nouveaux aéroports ?
Dans tous les cas, il va falloir ralentir sur tout. Ralentir sur notre consommation, ralentir sur nos envies frénétiques de voyages… Donc il va falloir décroître, baisser en intensité. Quoi qu’il arrive, structurellement, opérationnellement, on ne pourra jamais transporter autant de personnes à la voile que ce qui se fait dans les airs. Mais il y a une certitude, c’est que dans 30 ans, les avions auront beaucoup moins de latitude pour voler. Parce que le kérosène va être beaucoup plus cher, le carburant durable, on n’y croit pas une seconde, l’avion électrique non plus, donc globalement, ça va être un ralentissement contraint. Et ce ralentissement, il est souhaitable !
Peut-on espérer un jour rejoindre d’autres continents à la voile ?
Bien sûr. Nous, on va le proposer dès l’année prochaine, dès 2024, avec des cargos voiliers qui font du fret de marchandise, qui se mettent à la voile et qui disposent de cabines pour les passagers.
Selon vous, qu’est-ce qui pourrait convaincre les voyageurs de préférer le voilier à l’avion, la voiture ou le ferry ?
L’aventure, la découverte, l’expérience. C’est une expérience que 75 % des passagers qui ont embarqué cette année n’avaient jamais vécu. Ils n’avaient jamais dormi sur un voilier. On est leur première fois à tous. La dimension écolo’, c’est la motivation principale qu’on n’a pas besoin de rappeler aux gens, parce qu’en fait, beaucoup d’entre eux cherchent des alternatives. Ce qui les convainc, tout simplement, une fois ce préalable constaté, c’est l’aventure. On a plus de réseau, on a un ciel étoilé comme jamais dans notre vie. Il y a des dauphins qui font des traînées phosphorescentes dans la nuit à côté du bateau. C’est autant d’histoires dans ce trajet qui le transforme en voyage. On passe du trajet au voyage, du trajet à l’aventure.
Est-ce que choisir le modèle de la coopérative est aussi un moyen de vous engager ?
Oui, tout à fait. Nous, on est très convaincus. Moi, à chaque fois que je fais quelque chose, je suis convaincu que dans 30 ans, le projet existera encore. Donc ça, c’est une première chose. La deuxième chose, c’est qu’il faut que ce soit un projet collectif. C’est une manière d’inclure tous ceux qui ont envie de participer à ça, parce qu’une de mes grosses marottes, c’est de dire « Comment est-ce qu’on crée un cadre appréciable, en tout cas enviable, pour que les gens s’engagent ? ». Parce qu’il y a plein de gens qui veulent s’engager, mais qui ne savent pas comment. Là, on leur offre la possibilité de le faire. On a beaucoup de sociétaires qui sont engagés. On les appelle pour certains, les sociétaires militants, qui nous poussent dans nos retranchements, qui organisent des réunions, des groupes de travail, etc. C’est la première vocation. La deuxième vocation, c’est de pouvoir associer des parties prenantes. Participer à la gouvernance pour des parties prenantes, on trouve que c’est quelque chose de légitime. Enfin, c’est un garde-fou tout à fait strict en termes financiers. On est à capital variable, ça veut dire que les gens sont tous dilués très fort dans cette aventure, donc ils ne font pas ça pour l’argent.
Sans mauvais jeu de mots, êtes-vous optimiste pour la suite ?
Mon dernier bouquin, il s’appelle « En avant » et le sous-titre, c’est « L’optimisme pour Cap ». Pour moi, l’optimisme est un préalable à la mise en place de solutions. Je ne peux pas imaginer que le monde de demain, le monde d’après, soit structuré et mis en œuvre par des gens qui soit n’y croient pas ou qui sont dans la colère. L’optimisme est un prérequis, en tout cas, c’est un bon allié. J’essaie de l’avoir toujours comme tel avec moi. Après, je suis lucide sur la situation. J’ai peu d’espoir qu’il reste un milliard d’habitants sur cette planète en 2100, mais je sais que ce qu’on fait a du sens, que ce qu’on fait peut marcher, que si jamais plein de gens ont des ambitions de ce type-là sur le plastique, sur l’alimentation, sur la tech, sur tout ça, et qu’ils y croient et qu’ils y avancent comme ça, peut-être qu’on va réussir à déjouer les pronostics. Mais en tout cas, je n’ai qu’une vie, la vie est magnifique, je suis émerveillé à chaque jour de la beauté de la nature et de la résilience de l’être humain !