Volte-face de l’industrie pétro-gazière ou le rétropédalage du siècle

De TotalEnergies en passant par BP, depuis quelques années, les « supermajors » du pétrole et du gaz n’ont cessé de brandir le drapeau vert, promptes à déclarer à la face du monde que le climat, elles prenaient ça au sérieux ! « Neutralité carbone » par-ci, « baisse des émissions de CO2 » et évidemment, « énergies renouvelables » par là, les mots clés à la sauce greenwashing ont fusé de tous côtés chez les géants pétro-gaziers européens. Mais comme toutes les belles choses, ces douces résolutions semblent bel et bien toucher à leur fin. À en croire l’AFP, les industriels des énergies fossiles semblent désormais bien décidés à dire non à la transition énergétique, pour revenir à leurs premières amours : les hydrocarbures !
Anatomie d’un changement de cap
Ce n’est plus un secret pour personne : dans les années à venir, la demande en électricité devrait augmenter plus vite que la production mondiale. Face à ce boom des besoins électriques, le déploiement des sources renouvelables est désormais sur toutes les lèvres. Y compris celles des géants du pétrole et du gaz. Du moins, c’est ce que l’on croyait… Parce que – naïf·ve·s – nous nous en tenions aux banderoles affichées fièrement sur les sites Internet de ces multinationales, bordées de photos d’éoliennes et de couchers de soleil. En sous-texte ? « en route vers un avenir radieux et tout doux pour la planète ». En effet, pas d’équivoque, les objectifs semblaient clairs : soutenir le déploiement des EnR pour répondre aux besoins du plus grand nombre. Jusque-là, de quoi se réjouir, donc.
Seulement, à en croire l’AFP, pas de doute, les compagnies pétro-gazières européennes ont depuis fait machine arrière et mis un coup de scalpel dans leurs objectifs d’énergies renouvelables, pour doper leur rentabilité. C’est vrai qu’on ne s’attendait à rien, mais sur ce coup… On est quand même déçu·e·s. 🥲
Pourtant, en signant l’Accord de Paris, les pays concernés se sont engagés à limiter l’augmentation de la température moyenne à 2 °C, et si possible 1,5 °C. Et pour ça, conformément aux recommandations du GIEC, ils se sont également embarqués tête baissée dans le projet « neutralité carbone » au cours de la deuxième moitié du 21ᵉ siècle (👏). Et évidemment, le meilleur chemin pour y parvenir est de viser un horizon « 100 % énergies renouvelables » d’ici à 2050. Et c’est là que le bât blesse, puisque le secteur pétro-gazier ne l’entend visiblement pas de cette oreille et « estime que l’essor des énergies renouvelables ou bas-carbone n’est pas assez rapide et qu’il faudra encore du pétrole, et surtout du gaz, pendant de longues années pour répondre à la demande d’énergie en hausse, principalement dans les pays émergents et en développement ». La belle affaire, quand on sait que les pays les plus pauvres peinent d’ores et déjà à assumer le coût d’une crise climatique qu’ils ne peuvent pas se permettre.
À en croire l’AFP, les prévisions sur la demande de pétrole en particulier font aujourd’hui débat. « Si l’Agence internationale de l’énergie (AIE) envisage un pic de la demande pétrolière mondiale d’ici à la fin de la décennie, d’autres scénarios comme celui du trader Vitol précisent qu’elle ne diminuera pas avant 2040 au moins, et pas avant 2030 voire 2035 selon TotalEnergies, tandis que l’Opep prévoit une progression au moins jusqu’à 2050 ».
Enel, BP, Shell, TotalEnergies : le fossile a la cote
Face à ces prévisions, certaines compagnies n’ont pas tardé à réviser les ambitions affichées en commençant, dès 2023, à ralentir le rythme de leur transition pour remettre le paquet sur les hydrocarbures, à l’image d’Enel. En effet, dans son nouveau plan stratégique, publié en novembre 2023, l’Italien a revu à la baisse son budget d’environ 5 milliards d’euros en faveur des énergies renouvelables pour la période 2024-2026.
Du côté du britannique BP, même son de cloche. Ce dernier a annoncé en décembre 2024 son intention de réduire « de manière significative » ses investissements dans les EnR jusqu’à 2030, en basculant ses actifs dans l’éolien Offshore dans un joint-venture avec le japonais Jera, spécialiste de la production thermique.
Du côté de la marque au coquillage, Shell a annoncé son intention de ne plus développer de nouveaux projets d’éolien en mer. La raison ? « Pas d’avantage concurrentiel, par exemple, par rapport aux développeurs d’énergies renouvelables en termes de rendement ».
Contrairement à la concurrence, le Français TotalEnergies assure « garder le cap », pour atteindre 100 GW de capacités de production d’électricité renouvelable (installées ou à venir) promises pour 2030, et il en compte 90 GW à date. Un tiers de ses investissements devrait être consacré à ce qu’il appelle les « énergies bas-carbone » : biocarburants, biogaz, stockage d’électricité, électricité à partir d’éolien et solaire mais aussi… à partir de centrales électriques à gaz. On ne le rappellera jamais assez, mais le gaz, c’est une énergie fossile.
Et surtout, parallèlement à ces résolutions, pourtant enthousiasmantes, la supermajor tricolore ne compte pas réduire sa production de pétrole et de gaz dans les années à venir : en octobre dernier, elle a d’ailleurs rehaussé et prolongé sa prévision de croissance de la production d’hydrocarbures à environ 3 % par an jusqu’en 2030 (contre +2 à 3 % jusqu’en 2028), principalement du gaz, sa priorité.
Et hors Europe : ça dit quoi ?
Si l’Europe a rapidement affiché ses projets « greens » (aussitôt abandonnés), les compagnies américaines ont quant à elles fait preuve de davantage de timidité en la matière, avant de changer d’avis et d’afficher, elles aussi, de sérieuses ambitions en matière de réduction d’émissions de GES. Conservant toutefois un peu plus de retenue que leurs homologues du Vieux Continent.
Peu tournées vers les EnR, contrairement à leurs concurrentes européennes, les compagnies américaines, comme ExxonMobil et Chevron, restent en effet concentrées sur la production de pétrole et de gaz.
Quoi qu’il en soit, ce sont sur ces majors européennes et américaines que se concentre l’essentiel de l’attention au cœur du débat climatique. Pourtant, souligne l’AIE, « elles détiennent moins de 13% de la production et des réserves mondiales de pétrole et de gaz », loin devant les « NOC », les compagnies pétrogazières nationales (National Oil Companies). Celles-ci contrôlent « plus de la moitié de la production mondiale et près de 60 % des réserves » et portent de ce fait une large part de la contribution de l’industrie fossile au changement climatique.
Or, contrairement aux majors occidentales, soumises à des obligations de transparence pour leurs actionnaires, très peu de NOC ont annoncé des objectifs climatiques, hormis les plus grandes d’entre elles, comme Aramco, Adnoc, PetroChina ou Petrobras, qui visent la neutralité carbone de leurs opérations en 2045 ou 2050.
Alors, l’industrie du pétrole et du gaz finira-t-elle par revenir à la raison en matière d’objectifs environnementaux ? Rien n’est moins sûr.
Pour reprendre les mots Michael Olabisi, professeur à l’Université du Michigan, « si les entreprises [privées] convergeaient toutes vers l’action climatique, le secteur […] américain à lui seul pourrait, en principe, financer 15 fois la transition vers les énergies renouvelables au niveau mondial. »
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