Assises de l’économie de la mer à Nantes : qu’en retenir ?

Par Charlotte Combret , le 29 novembre 2023 - 9 minutes de lecture
Emmanuel Macron lors de la conférence française sur l'économie maritime à Nantes, le 28 novembre

Emmanuel Macron lors de la conférence française sur l’économie maritime à Nantes, le 28 novembre. Crédit : Damien Meyer / AFP

Les 28 et 29 novembre se tient à Nantes la 18e édition des « Assises de l’économie de la mer ». Essor massif de l’éolien en mer, aide à la pêche, « décarbonation » des ports… Lors de cette première journée, Emmanuel Macron a balayé large, liant transition énergétique et « souveraineté maritime française ». Voici ce dans quoi il s’est embarqué.     

Pêcheurs, constructeurs navals, armateurs, élus locaux et associations se sont réunis mardi 28 novembre à proximité du premier parc français d’éoliennes en mer, au large de Saint-Nazaire, pour assister au rendez-vous annuel de la communauté maritime française. Devant eux, le président de la République. « La mer est au cœur de cette problématique de la souveraineté (…) C’est la souveraineté énergétique, alimentaire et d’infrastructure », a-t-il lancé d’entrée. La veille, le chef de l’Etat avait déjà vanté la mer comme un lieu « de puissance », lors de l’inauguration du Musée rénové de la marine à Paris. En deux jours, il a ainsi redessiné sa vision de la « souveraineté maritime française » dans un pays qui conserve, avec ses territoires ultramarins, le deuxième espace maritime au monde derrière les États-Unis. 

Le capitaine défend son « cap » malgré « les orages »

« Quand on écoute l’actualité, on devrait se demander s’il faut désespérer », s’est ensuite exaspéré Emmanuel Macron, déplorant que « les gens » se demandent « tous les matins ‘est-ce qu’il a un cap ?’». « Je vais vous le dire, il se trouve que je suis là où je suis, à la barre, depuis un peu plus de six ans et demi », a-t-il répondu, visiblement piqué au vif par la petite musique qui refait surface, jusque dans son propre camp, sur un manque de perspectives pour la suite du quinquennat. « Le cap a toujours été le même : de regarder notre avenir sans défaitisme, d’avoir avec un optimisme lucide une idée claire des défauts et des faiblesses de la France et de chercher ensemble à les corriger, mais surtout de regarder notre avenir en face et de se dire qu’il n’y a aucune fatalité. » 

Le président a défendu son bilan en matière de réindustrialisation verte, de progrès « à la fois économique, climatique et social » et a assuré être « en train de gagner cette bataille du plein emploi », même s’il « faut redoubler d’efforts ». Ces résultats, a-t-il plaidé, « c’est à force de volonté et de courage, comme les marins en ont ». « Et quand j’entends chaque jour le défaitisme ou les gens qui m’expliqueraient qu’il faudrait être du côté de la terre ou… Non ! On vient des fleuves, on va à la mer et on va au grand large. C’est ça l’Histoire de la France. C’est ça le combat que nous menons », a-t-il martelé, face aux acteurs de l’économie maritime. « C’est ça le cap que nous tenons depuis un peu plus de six ans et que, jusqu’au dernier centimètre, je continuerai de tenir parce qu’il faut un cap clair, même quand il y a des orages et surtout quand il y a des orages », a-t-il insisté, avant d’appeler à être « des optimistes déterminés » car « il n’y a pas d’autre moyen de rentrer au port ».

Quels objectifs présentés aux Assises de l’économie de la mer ?

Faire de l’éolien en mer la première source d’énergies renouvelables en France d’ici à 2050

« En 2025, on va déjà lancer dix gigawatts (GW), c’est-à-dire une dizaine de parcs qui entreront en vigueur en 2030-2035 », a annoncé Emmanuel Macron. Une production de 10 GW est équivalente à la consommation annuelle électrique de dix millions de foyers. À ce stade, la France compte 8 GW de parcs offshore installés ou en projet. L’objectif est d’atteindre 45 GW en 2050, ce qui fera de l’éolien en mer la deuxième source de production d’électricité après le nucléaire. « Donc on aura déjà de la visibilité », « c’est la première étape » avec 18 GW installés en « 2035 », « et puis la suite jusqu’en 2050 », a-t-il précisé.

Cet appel d’offres de 10 GW sera lancé à l’issue du grand débat national qui s’est ouvert le 20 novembre et qui se poursuivra jusqu’au 26 avril. Destiné à identifier les sites sur lesquels seront installés une cinquantaine de parcs, celui-ci permettra d’établir des zones précises d’implantation aussi bien en Méditerranée qu’en Atlantique, dans la Manche et dans la mer du Nord. Emmanuel Macron mise sur ce débat public pour répondre aux polémiques récurrentes sur l’éolien : « On met toutes les cartes sur la table, on s’engueule une bonne fois pour toutes, de manière franche, et on évite de le faire au bout de cinq ans ou dix ans de projets ».

Le président de la République a insisté sur la nécessité d’éviter d’importer des éoliennes produites depuis « l’autre bout du monde », notamment en Chine et en Asie, au nom de la « souveraineté industrielle ». « Il faut qu’on puisse développer de l’éolien en mer, fixe ou flottant, qui soit produit chez nous. Il y a une bonne règle, une bonne façon de faire pour cela, c’est prendre en compte les critères environnementaux » et « de sécurité », « de contrôle des données et de cyber », a-t-il affirmé. « On va mettre ces critères sur toute la filière de l’éolien. »

Décarboner le secteur maritime

Le président prévoit également « d’accompagner » le transport maritime, y compris les ports, vers la sortie des énergies fossiles à l’horizon 2050. « C’est toute la stratégie de décarbonation de nos ports que nous sommes en train de déployer », a-t-il avancé. Parmi les points évoqués : l’électrification, des raccordements d’hydrogène ou encore des infrastructures de stockage du carbone. En septembre à Nice, le secrétaire d’Etat chargé de la mer Hervé Berville avait déjà annoncé un « plan de transition énergétique de la flotte », avec notamment le « verdissement du carburant maritime » et « l’adaptation des infrastructures portuaires », sans calendrier précis.

Moderniser la pêche française 

Emmanuel Macron a réaffirmé sa volonté de doter le secteur de la pêche française d’une « stratégie de modernisation » pour porter secours à « une flotte vieillissante et polluante, qui a perdu plus d’un quart de ses navires en 20 ans ». « Parce qu’il en est de notre pêche comme de notre agriculture, le même défi : ça ne sert à rien d’être de plus en plus exigeants avec les producteurs si derrière on laisse de plus en plus importer des produits de la pêche et de la mer qui viennent de puissances qui ne respectent pas ces règles », a-t-il expliqué. En France, 80% du poisson consommé est importé. De fait, le saumon ou la crevette venus d’ailleurs sont majoritairement préférés au lieu noir, baudroie, sole ou merlu locaux. Rappelant le lancement « entre maintenant et l’été prochain » d’un « vrai contrat de transformation de la pêche française », il a évoqué « plusieurs chantiers ». Parmi eux : la question du prix du poisson, l’absence de prix rémunérateur rendant les jeunes « réticents » à embrasser la filière, a-t-il cité, évoquant également une meilleure répartition de la valeur des marges.

Le chef de l’État souhaite également « moderniser les criées », car aujourd’hui « ça coûte moins cher de débarquer en Écosse ou en Irlande et d’acheminer les captures par camions en France ». « Du coup, on a un bilan carbone qui est désastreux, on a un bilan économique qui n’est pas le bon », a-t-il regretté, souhaitant également revoir « la gouvernance de la filière », aujourd’hui « trop complexe ». Toutes ces problématiques seront donc discutées pour décider de la bonne utilisation des aides et des investissements.

Quel budget accordé aux « sujets de la mer » ?

La France va consacrer quelque 800 millions d’euros du programme d’investissements France 2030 à des projets de décarbonation du secteur maritime, dont 500 millions dans le cadre d’un fonds public-privé de 1,5 milliard d’euros, a indiqué Emmanuel Macron. Ces fonds « vont permettre de financer plusieurs projets de recherche, de décarbonation de ports, d’infrastructures portuaires, de zones industrielles portuaires dont on prépare la décarbonation », a-t-il expliqué. Il a aussi évoqué « près de 200 millions d’euros » d’investissements pour que la France « soit un des leaders dans l’éolien flottant » et évite d’importer des éoliennes de Chine.

Le président a affirmé que l’éolien en mer allait également générer des « milliers d’emplois » pendant la construction. Selon ses estimations, le secteur devrait rapporter 2,5 milliards d’euros de recettes « entre 2023 et 2035 », lesquels permettront de « financer nos priorités ». « Un tiers ira pour la pêche et donc je le dis pour nos pêcheurs : l’éolien en mer va nous permettre de financer 700 millions d’euros pour la pêche », a-t-il promis. Il a en outre évoqué le lancement rapide, au cap de la Hague dans la Manche, d’un « projet pilote pour essayer de repartir sur la bataille de l’hydrolien », « avec un soutien inédit de l’Etat de 65 millions d’euros ». Pour rappel, l’hydrolien consiste à utiliser les courants marins pour produire de l’énergie.

Quelles mesures concrètes pour mettre en application cette nouvelle « vision maritime » ?

Une mesure : la prolongation de l’aide au carburant. À court terme, les pêcheurs français bénéficieront de la prolongation européenne jusqu’au 30 juin 2024 de l’aide de 20 centimes par litre de carburant, liée à la flambée des prix de l’énergie dans le contexte de la guerre en Ukraine. Cette mesure, qui expirait le 31 décembre, s’appliquera jusqu’à un plafond de 335.000 euros par entreprise. « Ces 20 centimes seront cumulés avec les aides qu’on a obtenues auprès de plusieurs grands groupes, Total et autres, ce qui fait qu’on aura une aide exceptionnelle que nos pêcheurs n’auront jamais eue », a assuré le président. Selon le comité national des pêches, le gazole grève jusqu’à 40% du chiffre d’affaires des patrons de pêche.

Et la suite ? 

Emmanuel Macron interviendra sur la protection de la mer lors de la COP28 vendredi et samedi à Dubaï, dans la perspective de la grande conférence des Nations unies sur l’océan prévue en 2025 à Nice. Celle-ci sera précédée d’une « année de la mer » riche en initiatives partout en France (Journées du patrimoine, Loto de la biodiversité, etc), a-t-il promis. À l’heure où le bateau prend l’eau, cela sera-t-il suffisant ? 

(Avec AFP)

À lire aussi :

Tout savoir sur le secteur de la filière éolienne française

Éolien en France : Un retard préoccupant révélé par la cour des comptes   

Décryptage : comment fonctionne une éolienne ?

Charlotte Combret

Issue d’une grande école de commerce, Charlotte délaisse rapidement les open spaces parisiens pour s’engager dans la voie de l’indépendance. Son désir de lier pédagogie et poésie la conduit à devenir journaliste rédactrice, dans les Landes, pour des entreprises et médias engagés. Ses passions : le cinéma animalier, les voyages en train, les lectures féministes et les jeux de mots en tout genre.

Voir les publications de l'auteur