Biosphère du désert : atteindre l’autonomie grâce aux Low Tech
Corentin de Chatelperron est le référent en matière de « Low Tech », ou « basses technologies », des technologies ou techniques utiles, accessibles et durables. Le contraire des « high-tech » en somme. Après avoir créé, il y a environ dix ans, le « Low Tech Lab », une plateforme participative pour partager les savoir-faire en matière de Low Tech et voyagé autour du monde à la recherche d’idées inspirantes, Corentin de Chatelperron a testé, en ce début d’année, l’expérience de création d’une « biosphère » 100 % Low Tech, où il a vécu en autonomie, pendant quatre mois, en milieu désertique, accompagné de Caroline Pultz, une autre exploratrice du Low Tech Lab. Une web-série diffusée sur Arte retrace leur expérience. Le point avec Corentin de Chatelperron.
Peux-tu nous en dire plus sur ce que sont les Low Tech ?
En résumé, ce sont toutes les technologies ou savoirs-faires utiles, accessibles – financièrement ou qui peuvent être fabriqués ou réparés un peu partout dans le monde – et durables, c’est-à-dire respectueux des humains et de la planète. Ils répondent à des besoins de base : l’accès à l’eau, à la nourriture, à l’énergie… J’ai commencé à travailler là-dedans il y a une dizaine d’années en créant le Low Tech Lab. J’ai surtout passé du temps sur le bateau « Nomade des mers », un catamaran avec lequel on a fait le tour du monde pendant six ans pour trouver des Low Tech, les documenter, et les diffuser via la plateforme internet du Low Tech Lab. On y a mis de nombreux tutoriels pour que les gens puissent répliquer toutes ces Low Tech. J’ai passé des années à étudier, tester et à rencontrer des gens qui fabriquaient des trucs qui permettent d’économiser de l’eau, de produire de l’électricité, de transformer des biodéchets en ressource… On a testé des choses dans plein de domaines. C’est un peu comme ça qu’est née l’idée de Biosphère : toutes ces innovations on les a trouvées à des endroits un peu partout autour du monde : est-ce qu’on ne pourrait pas combiner toutes ces innovations et réinventer la manière de vivre sur la planète ?
Comment avez-vous imaginé cette biosphère ?
J’avais fait une première expérience de biosphère en 2018 sur une plateforme flottante. C’était une bonne expérience mais ce n’était pas encore parfait. Là, avec Caroline Pultz, qui est designer et qui était équipière du bateau aussi pendant plusieurs années, on a décidé de faire une nouvelle expérience dans le désert, en Basse Californie, dans l’ouest du Mexique. C’est une zone très aride parce qu’il ne pleut pas et qu’il n’y a pas de source d’eau. Mais on a choisi un désert près de la mer, donc on pouvait dessaler de l’eau de mer. On a créé une sorte de tente de 60 m2 dans laquelle on a mis une vingtaine de Low Tech. On produisait de la nourriture – pas à 100 % parce qu’on importait des céréales, des légumineuses et de l’huile, ça coûtait 1 euro 60 par jour et par personne. Mais on produisait tout le reste. On produisait de la spiruline, une microalgue hyper nutritive, plein de légumes différents, des légumes-feuille, des grillons (que l’on mangeait), des champignons… On avait plusieurs techniques de conservation de la nourriture, comme la fermentation pour faire des pickles. Donc au final, la nourriture était plutôt diversifiée et équilibrée. Pour surveiller ça, on a suivi un protocole scientifique. On était suivis notamment par un nutritionniste. Grâce à une prise de sang faite au début de l’expérience et une prise de sang faite à la fin, on a vu qu’on n’avait pas développé de carence, donc que le régime alimentaire était suffisamment équilibré.
Il fallait aussi cultiver ces légumes avec très peu d’eau ?
Il y avait tout un système pour économiser l’eau parce qu’effectivement, ce qui était le plus consommateur d’eau, c’est la nourriture que l’on faisait pousser. On avait besoin d’environ 27 litres par jour d’eau, principalement pour faire pousser les plantes. En plus on n’’avait pas de bonne terre, donc on faisait pousser les plantes dans des billes d’argile que l’on mélange à l’eau qui tourne en circuit fermé. On intégrait un engrais fait dans un bio-filtre : des bactéries transformaient l’urine en nutriments pour les plantes. Ca permettait aux plantes de pousser et en même temps, ça recyclait nos eaux usées.
Cette fois, l’expérience a plutôt été un succès ? Qu’avez-vous vous avez retenu de ces quatre mois ?
Ça a franchement bien marché. Il y aurait plein de choses à améliorer, mais on a atteint nos objectifs parce qu’on est ressorti en bonne santé. Sur les quatre mois, on a mis deux mois à vraiment roder l’écosystème, parce que c’est assez complexe de gérer toutes ces espèces vivantes et ces Low Tech ensemble ; Puis après les deux premiers mois, on a pu vraiment profiter de ce mode de vie qui nous semble hyper sain mais aussi hyper sympa, parce qu’un fois rodé, ça ne prend qu’une heure par jour de s’occuper de tout l’écosystème, et le reste du temps tu fais ce que tu veux. C’est quelque chose d’accessible financièrement, qui peut être fait dans des zones hyper hostiles et arides comme ce désert-là et il n’y a rien de compliqué. Ce n’est pas des technologies High Tech, c’est vraiment choses réparables qu’on peut trouver un peu partout dans le monde. Avec toutes ces années à faire des recherches sur les Low Tech, on s’est rendu compte que si on voulait imaginer le futur version Low Tech, ce sera un futur où les humains s’associent beaucoup plus que maintenant à la nature, à des espèces vivantes. Que ce soit pour recycler nos déchets ou produire de l’énergie. Cette expérience de biosphère a permis de nous en convaincre encore plus. Ce sont par exemple des larves de mouche qui transformaient nos déchets organiques en compost, qui pouvait être utilisé pour faire pousser les plantes. Et ces larves-là, on les donnait aux grillons que l’on pouvait ensuite manger. On a finalement utilisé assez peu de technologies, mais on a les remplaces par des associations avec d’autres espèces vivantes. Ça nous a convaincu qu’il fallait développer ce type de synergie avec d’autres espèces vivantes à plus grande échelle dans le futur.
Peux-tu nous donner d’autres exemples d’outils Low Tech utilisés dans la biosphère ?
Pour le recyclage des déchets organiques, il y avait donc ces larves de mouches, qui sont des mouches soldat noir, on s’est aussi arrangé pour être zéro déchet en n’ayant pas de plastique jetable, et on a veillé pendant la conception à n’utiliser que des matériaux biosourcés. Pour l’énergie, on a beaucoup joué avec le soleil comme on était dans le désert : pour la cuisson des aliments, on utilisait une parabole solaire, pour les dessalinisateurs d’eau de mer, c’était aussi des dessalinisateurs solaires. On avait un petit panneau solaire pour l’électricité et quand il y avait des nuages ou la nuit on pouvait quand même générer de l’électricité avec un rameur. Puis tout était conçu pour consommer le moins d’énergie possible.
Tout ce que vous avez utilisé, ce sont des Low Tech que vous avez découvert en faisant le tour du monde avec le « Nomade des Mers » ?
Tous les exemples que j’ai donnés viennent de partout dans le monde, de chaque continent. C’était six années hyper riches. On s’est arrêté dans 25 pays très différents, autant des pays riches que des pays pauvres, parfois en campagne, parfois en ville ; A New York par exemple on a découvert des gens qui font de la culture de spiruline. Et on a aussi vu de la culture de spiruline mais au fin fond de la campagne à Madagascar. On a observé plein de manières de répondre à ses besoins dans plein de cultures différentes. Au début, on partait dans l’idée d’essayer de trouver des initiatives Low Tech qui permettent aux personnes qui vivent sous contrainte de pouvoir répondre à leurs besoins. Mais on s’est vite rendu compte qu’avec cette démarche Low Tech, il fallait vraiment qu’on s’adresse à tous, que ce soit des pays pauvres ou des pays riches. Au fil des six années, ça a pas mal évolué. On a même étudié des domaines qu’on ne pensait pas étudier à la base, comme l’Internet low tech. C’était à Cuba. Comme ça coûte assez cher de se connecter à Internet, il y a un internet local. Les gens se connectent à un WIFI et peuvent échanger des informations entre eux, mais sans être connectés à l’internet global. Notre expérience s’est transformée plus dans une démarche de faire mieux avec moins, d’étudier ses besoins et voir comment on peut y répondre de la manière la plus astucieuse.
Comment as-tu commencé à t’intéresser à ces sujets-là ?
J’étais diplômé d’une école d’ingénieur et peu de temps après, je suis allé travailler au Bangladesh, sur un chantier naval qui faisaient des bateaux en fibre de verre. Je me suis vite demandé s’ils pouvaient remplacer la fibre de verre par de la fibre de jute, une fibre naturelle qui pousse au Bangladesh dans le Delta du Gange et j’ai commencé à faire quelques tests. J’ai fait un premier bateau avec 40 % de fibre de jute et 60 % de fibre de verre et je suis rentré en France à la voile avec pour tester le matériau. Ça a tenu bon, donc je suis reparti au Bangladesh pour monter un laboratoire de recherche sur ce matériau. Avec une équipe on a travaillé deux ans dessus et on a construit un deuxième bateau qui s’appelait « Gold of Bengale ». Avec ce bateau, je suis aussi parti naviguer six mois, mais je suis resté dans le golfe du Bengale, pour tester le bateau mais aussi parce que je commençais à m’intéresser aux technologies Low Tech. Ca faisait quatre ans que je vivais au Bangladesh et je m’étais rendu compte que dans des endroits comme ça où les gens vivent vraiment sous contrainte, ils inventent plein de systèmes Low Tech hyper utiles et faits avec les moyens du bord. J’ai commencé à me dire que ce serait génial qu’on arrive à rassembler tous ces savoirs-faires, ces supers idées autour du monde et les diffuser via internet en accès libre pour que n’importe qui puisse les répliquer. C’est comme ça qu’on a créé le Low Tech Lab, cette plateforme qui est une sorte de Wikipedia pour les Low Tech. Il y a 150 tutoriels maintenant sur la plateforme. Et ça grandit. Chaque année, environ un demi-million de personnes se connectent sur la plateforme, et ils sont issus de plus de 10 000 villes dans le monde. On sent qu’il y a vraiment une utilité à diffuser ces informations-là. D’ailleurs, d’autres Low Tech Lab se sont créés en France et dans d’autres pays.
Quels sont tes projets à venir ?
Je travaille sur une nouvelle expérience de biosphère , cette fois en milieu urbain. Il y a pas mal de gens qui vivent dans des appartements, en ville, qui sont convaincus par les Low Tech, qui ont envie d’avoir un mode de vie plus écolo, de manger bio, de ne pas générer de déchets, de dépenser moins d’énergie, et qui ne savent pas comment faire. Nous, on a plein d’idées ! Donc avec une équipe on va faire une biosphère en milieu urbain, en région parisienne, une des régions les plus denses du monde. On commence à travailler dessus, l’expérience commencera l’été prochain.
La web-série est accessible ici.
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