Crise de l’eau à Mayotte : comment en est-on arrivé là ?
Mayotte est à sec et, visiblement, ce sont toujours les mêmes qui trinquent. Privés d’eau potable deux jours sur trois depuis le 4 septembre, les Mahorais traversent une crise gravissime. Oublié des politiques publiques depuis plusieurs années, le département le plus pauvre de France est, en revanche, en première ligne du changement climatique.
La pire sécheresse depuis 1997
Selon Météo-France, l’archipel de l’océan Indien vit actuellement sa pire sécheresse depuis 1997. La saison des pluies 2022-2023 a affiché un déficit de près de 24 %, empêchant les deux retenues collinaires de l’île de se recharger suffisamment. La situation est d’autant plus alarmante que ce sont elles qui, avec les rivières, fournissent aux Mahorais près de 80 % de leur ressource en eau. À ce jour, les réserves hydriques de l’île sont presque intégralement épuisées, et la date de retour de la saison des pluies est incertaine. Sans cesse repoussée en raison du dérèglement climatique, elle pourrait redémarrer au mieux en novembre, au pire, en début d’année prochaine. Pour ne rien arranger, la hausse des températures accélère également l’évaporation des eaux qui alimentent les habitants en eau courante et les précipitations seront à l’avenir, de plus en plus inégales.
Les grosses lacunes structurelles du traitement de l’eau
Si le déficit pluvial affaiblit de nouveau les réserves en eau de l’île aux parfums, la pression sur son or bleu, en plus d’être multifactorielle, ne date pas d’hier. D’après OXFAM, la crise aurait même pu être évitée. « Cela fait 20 ans que le gouvernement promet des investissements et ne tient pas ses promesses », alerte Estelle Youssouffa, députée Libertés, indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT) de Mayotte sur Franceinfo. Tandis qu’une troisième retenue collinaire est désespérément attendue, le 101e département français fait figure de grand oublié des politiques publiques. En l’absence de mesures et d’investissements adéquats, la pénurie d’eau s’aggrave.
Des infrastructures insuffisantes et fragiles
Alors que la croissance économique et démographique de l’île croît rapidement, les infrastructures de production et d’approvisionnement d’eau potable ne suffisent pas à subvenir aux besoins en eau du territoire. À cause des fuites, un tiers de l’eau collectée serait par ailleurs perdue.
Une mauvaise gestion du réseau de distribution
En charge du réseau de distribution de l’eau, le Syndicat intercommunal des eaux a été mis en cause par la Cour des comptes en 2020, pour sa gestion catastrophique mais aussi, son implication dans des affaires de corruption. « Il y a une enquête qui est en cours pour délit de favoritisme, détournement de fonds publics et prise illégale d’intérêt avec de nombreuses irrégularités qui ont été détectées et forcément ça impacte, en termes de gestion de projet, l’évolution des infrastructures » expliquait Matthieu Guyot, ancien directeur-adjoint du Centre Hospitalier de Mayotte et expert à l’ANAP, au micro de France Culture le 4 septembre dernier. Le Syndicat est désormais sous enquête du parquet national financier.
Des masses d’eau dans un état écologique critique
En plus de venir à manquer, la qualité de l’eau n’est pas non plus au rendez-vous. Une grande partie des masses hydriques du territoire se trouvent dans un état écologique qualifié de « mauvais » ou « médiocre ». Un document public référence, le Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) attribue ce résultat aux pollutions multiples dont est victime l’île, en particulier liées aux déchets.
L’accélération de la déforestation sur le territoire
Dans la lutte climatique, la forêt est une alliée de taille. Sur la question de l’eau, aussi. Grâce à son réseau racinaire, elle permet à l’eau de s’infiltrer dans les sols et de recharger les nappes phréatiques tout en participant à l’équilibre général du cycle. Cependant, Mayotte détient le triste record du département présentant le plus fort taux de déforestation en France. 300 hectares d’arbres disparaissent chaque année au profit de nouvelles habitations et surfaces agricoles. « La préservation du couvert forestier est pourtant une solution naturelle au problème des ressources en eau. Si on n’arrive pas à préserver au moins les forêts publiques, l’île court à la catastrophe » prévenait déjà Michel Charpentier, le président mahorais de l’association des Naturalistes, lors d’un événement qu’il organisait en 2021. L’actualité lui donne tristement raison.