De Billie Eilish à ExxonMobil : l’étrange Top 100 du « Time » des leaders les plus influents sur le climat 

Par Charlotte Combret , le 22 novembre 2023 - 5 minutes de lecture
Dan Ammann, alors PDG de General Motors avec Carlos Tavares et Karl-Thomas Neumann au Salon international de l'automobile

Dan Ammann, alors PDG de General Motors avec Carlos Tavares et Karl-Thomas Neumann au Salon international de l’automobile. Crédit : Alain Grosclaude / AFP

Jeudi 16 novembre, le célèbre hebdomadaire nord-américain révèle pour la première fois son classement des 100 personnalités les plus influentes de 2023 sur les questions climatiques. Si les scientifiques en sont les grands absents, les têtes d’affiche des industries les plus polluantes de la planète sont quant à elles étrangement présentes. 

L’emblématique Top 100 du Time se verdit. En voilà une bonne occasion de mettre en lumière ceux qui agissent, souvent dans l’ombre, en faveur de la transition écologique. En parcourant cette longue liste, de beaux noms attirent rapidement le regard. Les artistes Billie Eilish, Coldplay, James Cameron ou encore Sebastião Salgado apparaissent tout sourire dans la catégorie « catalyseurs » du classement. Un peu plus bas, une Frenchie ! Lucie Pinson, cette militante française qui a persuadé quelques-unes des plus grandes banques et compagnies d’assurance du pays de cesser de financer le charbon avant de fonder l’ONG Reclaim Finance pour mettre les marchés au service du climat.

TIME100 Climate
TIME100 Climate. Crédit : Illustration by Eiko Ojala for TIME

Des ombres au tableau

Mais selon le magazine, influence n’est pas exemplarité. Parce qu’en y regardant de plus près, d’autres noms piquent plutôt les yeux. Des hauts responsables des GAFA comme Amazon ou Apple, côtoient ceux de l’industrie automobile comme Tesla ou Volvo, ceux de la grande distribution comme Unilever ou Walmart et même, ceux de géants pétroliers comme Exxonmobil. Parmi les leaders cités figure également Jennifer Wilcox, sous-secrétaire adjointe à l’énergie fossile et au carbone au ministère de l’énergie des États-Unis. Alors qu’elles se sont infiltrées à la COP 28 qui débutera la semaine prochaine à Dubaï, voilà que les énergies fossiles se hissent également en tête d’un prestigieux classement sur le climat. En haut du tableau, une figure commune : Sultan al jaber, président de la prochaine Conférence climat de l’ONU et PDG de la compagnie pétrolière nationale d’Abou Dhabi. 

Cette consécration n’a pas manqué de faire réagir l’association Quota Climat qui œuvre pour mettre le climat à l’agenda des médias. « Le média sert donc ouvertement les intérêts réputationnels d’un dirigeant pétrolier » assène-t-elle sur Linkedin. « Nommer Al Jaber leader du climat, c’est un peu comme considérer Bayer-Monsanto leader du cancer : il s’agit de récompenser les détracteurs de la cause. C’est incompréhensible. » Au-delà d’un manque cruel de bon sens, ce qui inquiète l’ONG, c’est l’impact d’un tel classement sur le maintien du statu quo à échelle internationale. « Un signal est envoyé aux acteurs de l’industrie fossile : vous pouvez continuer à verdir votre image tout en extrayant du pétrole (contrairement aux constats scientifiques de l’incompatibilité avec nos objectifs climatiques), ça fonctionne » déplore-t-elle.

« Think Big » même pour le climat

Il est vrai qu’à mesure que l’on parcourt les portraits figés des représentants de ces mastodontes, les questions se bousculent. « Il est temps d’adopter des principes et d’être pragmatique » déclare Dan Ammann, Président de la division « Low Carbon Solutions » chez ExxonMobil, avant d’ajouter « Nous sommes tous dans le même bateau et ce n’est pas en restant dans l’idéologie que nous parviendrons à l’objectif ‘zéro énergie‘ ». Selon lui, comme le font les Etats-Unis, les gouvernements doivent « promouvoir l’investissement et l’innovation dans les technologies émergentes », à l’image du captage et stockage du carbone (CSC) pour réduire les émissions de CO2 des industries. 

Cette foi en la technologie, Kara Hurst, responsable du développement durable chez Amazon, la partage avec son compatriote. Interrogée par le Time sur les lois qui pourraient être adoptées en 2024 pour le climat, elle évoque des projets « qui soutiennent le développement et le déploiement de nouvelles technologies, telles que les matériaux circulaires, les batteries ou les carburants durables pour l’aviation ». Chez Amazon, poursuit-elle, « nous demandons à nos employés de ‘voir grand’ (« Think big ») et de ‘plonger en profondeur’ simultanément, c’est-à-dire qu’« il faut regarder au-delà de l’horizon et inventer des choses qui semblent aujourd’hui impossibles à réaliser à grande échelle, comme de nouvelles technologies d’informatique en nuage plus efficaces ».  

« Greenwashing » ou « greenhushing » ?

Mais pourquoi le Time a-t-il recruté de tels lauréats ? Quota Climat y voit là « le symptôme d’un actionnariat partisan, aux intérêts économiques bien identifiés ». L’ONG rappelle que depuis 2017, le magazine appartient au groupe Meredith grâce au soutien « du fonds d’investissement des frères Charles et David Koch », deux milliardaires ultraconservateurs et ouvertement climatosceptiques à la tête d’un grand groupe pétrolier. De son côté, le magazine livre sa version des faits. Face à l’ampleur de la tâche à réaliser, « les activistes et les organisateurs peuvent amplifier la conversation ; mais les entreprises sont souvent les mieux placées pour déployer des solutions sur le terrain, à grande échelle » explique-t-il. 

Dans ses recherches, le Time confie s’être heurté à du « greenhushing » de la part des entreprises, cette posture qui consiste à refuser de communiquer sur ses engagements environnementaux par peur d’un rappel à l’ordre public. Selon ses dires, pour identifier «les véritables acteurs du changement », les rédacteurs ont passé des mois avec des experts climatiques internes au média. En fin de compte, « la liste inaugurale TIME100 Climate n’a pas produit un seul exemple parfait d’action climatique complète, mais une multitude d’individus réalisant des progrès significatifs dans la lutte contre le changement climatique en créant de la valeur pour l’entreprise ». Dans cette logique, est-ce que les entreprises qui semblent avancer le plus ne seraient-elles pas en fait, celles qui ont le plus de choses à se reprocher ? 

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Charlotte Combret

Issue d’une grande école de commerce, Charlotte délaisse rapidement les open spaces parisiens pour s’engager dans la voie de l’indépendance. Son désir de lier pédagogie et poésie la conduit à devenir journaliste rédactrice, dans les Landes, pour des entreprises et médias engagés. Ses passions : le cinéma animalier, les voyages en train, les lectures féministes et les jeux de mots en tout genre.

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