Comprendre : le captage et stockage de CO₂ sous terre, une fausse bonne solution ?

Par Charlotte Combret , le 11 octobre 2023 - 10 minutes de lecture
La plateforme pétrolière Enping, le premier projet offshore de stockage de carbone de la Chine

La plateforme pétrolière Enping, le premier projet offshore de stockage de carbone de la Chine. Crédit : Chine Nouvelle / SIPA

Miracle technologique au service de la transition écologique ou levier d’inaction climatique en faveur des industries fossiles ? Le Captage et Stockage géologique de CO2 (CSC) séduit les uns autant qu’il divise les autres. Cette technologie propose d’emprisonner le dioxyde de carbone sous terre pour éviter qu’il ne se retrouve dans l’air. Alors qu’elle s’est frayée un chemin dans la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) de la France, cette solution n’en semble pas vraiment une à bien des égards. 

Le Captage et Stockage géologique de CO2 (CSC), c’est quoi ?

Nous sommes en 1996 quand le premier site de Captage et Stockage géologique de CO2 (CSC) voit le jour en pleine mer du Nord, au large de la Norvège. Il s’agit du projet Sleipner et le procédé qu’il expérimente semble pour le moins révolutionnaire. Au moyen d’un large éventail de technologies, le CSC ou CCS (Carbon Capture and Storage) en anglais, consiste à capturer le dioxyde de carbone directement à la source dans les fumées des sites industriels (centrales électriques, thermiques, hydrauliques, raffineries, cimenteries, exploitations de pétrole ou de gaz) avant qu’il ne soit rejeté dans l’atmosphère. Une fois récupéré, le CO2 est comprimé puis transporté dans les profondeurs de la terre (onshore) ou de l’océan (offshore). Il est alors piégé et stocké au creux de formations géologiques naturelles sélectionnées pour leurs caractéristiques particulières : des aquifères salins profonds, des veines de charbon non-exploitables ou encore des gisements de pétrole ou de gaz en voie d’épuisement.

Schéma des différentes options de stockage géologique du CO2
Schéma des différentes options de stockage géologique du CO2. Crédit : BRGM – BLCom

Quels sont les intérêts présentés par cette solution ? 

Alors que la France doit atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, les émissions de gaz à effet de serre du pays s’élevaient encore à près de 414,8 millions de tonnes équivalent CO2 en 2021. Pour espérer réaliser cet objectif, la réduction drastique des émissions de CO2 est urgente et nécessaire. La priorité, répétée encore et encore par les scientifiques : généraliser les comportements de sobriété, utiliser les énergies renouvelables et améliorer les rendements énergétiques. Cependant, le temps presse et certains secteurs émettent en l’état une quantité de CO2 incompressible en dépit des avancées technologiques. C’est le cas, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), de l’agriculture, de l’aviation, du transport maritime et encore des processus industriels. Face à cela, le Captage et Stockage géologique de CO2 se présente comme une solution crédible, capable de décarboner partiellement les moyens de production existants sans les transformer. 

La plus grande usine de captage de carbone au monde ouvre ses portes en Islande en 2021
La plus grande usine de captage de carbone au monde ouvre ses portes en Islande en 2021. Crédit : Climeworks / Cover Images /SIPA

Celle-ci prend d’ailleurs de plus en plus d’ampleur. D’après un rapport proposé par le cercle de réflexion Global CCS Institute, en 2022, le nombre de projets de CSC dans le monde a grimpé de 44 % en l’espace de douze mois. On en compte désormais près de 200, concentrés pour la plupart en Europe du Nord (Islande, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni), mais aussi aux Etats-Unis et en Australie. Pour autant, le volume stocké au niveau mondial reste à ce jour, encore anecdotique. Sur la base des projets en cours, la capacité de stockage de CO2 pourrait atteindre plus de 420 millions de tonnes de CO2 par an d’ici 2030, loin des quelque 1,2 milliard de tonnes prévues dans le scénario de neutralité carbone, comme le soulève  l’Agence internationale de l’énergie.

Quelles sont les limites du Captage et Stockage géologique de CO2 ?

Comme souvent, si la théorie semble bonne, la pratique s’annonce un peu plus compliquée. Tandis que le GIEC précise dans son rapport de synthèse « Climate change 2023 » que « certaines émissions résiduelles de GES difficiles à réduire subsistent et devraient être contrebalancées par le déploiement de méthodes d’élimination du dioxyde de carbone (EDC) pour parvenir à des émissions nettes de CO2 ou de GES nulles », la technologie CSC ne fait pas moins l’objet de nombreuses controverses. 

1. Une solution de dernier recours 

Pour certains, la présence de cette solution « miracle » dans le viseur des industriels arrive tel un argument favorable au maintien de l’utilisation des combustibles fossiles. Ce qui devait être une solution devient un frein à une transformation globale de leurs pratiques. Dans un avis publié en 2020 intitulé « Le captage et stockage géologique de CO2 (CSC) en France : un potentiel limité pour réduire les émissions industrielles publié en 2020 », l’ADEME rappelle que « La mise en œuvre du CCS pour atteindre la neutralité carbone est à envisager en tant que dernière étape dans une stratégie de décarbonation commençant par les actions plus matures et performantes (l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables), et il reste un pari risqué ». Tout comme les méthodes d’élimination du carbone anthropique (EDC), dont le recours est considéré par le GIEC comme étant « inévitable », elle ne représente en aucun cas une alternative à la réduction des émissions et doit être uniquement réservée à l’absorption d’émissions résiduelles. « Il ne s’agit toutefois pas de dire qu’on peut continuer d’émettre des gaz à effet de serre. Plus les émissions résiduelles sont faibles, moins on a besoin d’émissions négatives pour les compenser », prévenait Céline Guivarch, directrice de recherche au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement et coautrice du groupe 3 du GIEC, au micro de Franceinfo en avril 2022.

2. Une sécurité de stockage non garantie dans le temps

Pour qu’un projet CSC puisse être viable, celui-ci doit durer sur des échelles de temps géologiques. Selon l’ADEME, un réservoir de stockage dans lequel est confiné le CO2 sous terre peut être utilisé pendant une vingtaine d’années. Cependant, une telle durabilité dans un contexte sismique aussi volatile, est loin d’être garantie. Dans un rapport publié en Juin 2023, l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis (IEEFA), ONG états-unienne qui œuvre pour une transition vers une économie énergétique diversifiée, durable et rentable, tire la sonnette d’alarme. Deux sites de stockage de carbone présentés comme des modèles, celui de Sleipner et de Snøhvit en Norvège, présentent des défaillances. « Des développements inattendus de la géologie de subsurface remettent en question les ambitions mondiales en matière de stockage offshore du CO2 » titre la synthèse. À Sleipner par exemple, en mer du Nord, le gaz a migré d’environ 300 mètres vers la surface pour atteindre une couche géologique jusqu’alors non-identifiée. La formation rocheuse épaisse s’est heureusement montrée étanche, mais sa résistance sur le long terme reste à ce jour méconnue.

La plateforme gazière Sleipner en Norvège
La plateforme gazière Sleipner en Norvège. Crédit : Ole Berg-Rusten / AP / SIPA

L’équipe d’experts de l’IEEFA explique que chaque site de stockage doit faire l’objet d’une surveillance continue puisque tous disposent d’une géologie unique. Or les gouvernements ne sont, a priori, pas suffisamment équipés. « Sleipner et Snøhvit font douter que le monde dispose des prouesses techniques, de la force de la surveillance réglementaire et de l’engagement inébranlable sur plusieurs décennies de capitaux et de ressources nécessaires pour maintenir le dioxyde de carbone séquestré sous la mer – comme en a besoin la Terre – de manière permanente ». Les risques matériels présentés par les sites norvégiens pourraient en fin de compte « annuler une partie ou la totalité des avantages qu’ils cherchent à créer ». Dans le cas où le CO2 s’échapperait des réservoirs géologiques, les nappes phréatiques, les sols et l’air seraient susceptibles d’être contaminés, ce qui entraînerait de graves problèmes sanitaires et environnementaux. Sans compter que l’étape du transport présente également, des risques de fuites.

3. Des coûts d’installation et d’exploitation élevés 

Le déploiement du CSC est, en outre, extrêmement coûteux. Des infrastructures complexes doivent être développées, en particulier lors de la première étape du captage du CO2. Une fois en fonctionnement, il nécessite des coûts d’exploitation et d’entretien continus, comprenant, comme évoqué, la surveillance à long terme des installations pour garantir leur sécurité. Résultat, la technologie est loin d’être compétitive. L’ADEME estime qu’une tonne de CO2 évitée sur les sites émetteurs coûte entre 100 à 150 € contre 20 à 25 € pour les technologies les moins chères dans le secteur industriel. Comble de l’histoire, cette variabilité du prix sera plus favorable aux industries dont les rejets industriels concentrent une forte part de CO2, puisque celui-ci sera plus facile à récupérer. Dans le cas de la France, qui compte seulement trois sites potentiellement exploitables sur son territoire (Dunkerque, Le Havre et Lacq), l’Agence de la transition écologique explique que « Même en optimisant les technologies de captage (très consommatrices d’énergie), le CSC restera une solution coûteuse car elle n’est adaptée qu’aux sites très fortement émetteurs, en nombre limité, et nécessite des adaptations au cas par cas. Elle ne verra donc pas ses coûts réduits drastiquement par un effet d’échelle ». Certains y voient par ailleurs, une fuite des investissements financiers au profit de l’industrie du pétrole, et au détriment de celle de la transition énergétique.

4. Une technologie énergivore au potentiel limité

Alors le jeu en vaut-il la chandelle ? Rien n’est moins sûr. Dans un article du Financial Times, Julian Allwood, coauteur du cinquième rapport du GIEC, précise que « la technologie ne résoudra pas le changement climatique, parce qu’elle ne peut pas être déployée à l’échelle suffisante dans les temps ». Ce n’est pas Jean-Marc Jancovici, fondateur du cabinet de conseil Carbone 4 et membre du Haut Conseil pour le Climat, qui dira le contraire. « Si nous voulions reprendre dans l’air la totalité de nos émissions de CO2, il faudrait y consacrer toute la production d’électricité mondiale et que celle-ci soit décarbonée » expliquait-il à propos de la capture de CO2 sur Franceinfo, fin 2021. En outre, cette technologie embryonnaire est extrêmement énergivore et nécessite une quantité de chaleur « supérieure à celle dégagée par l’ensemble du pétrole mondial ». À l’image du titre du rapport de l’avis technique de l’ADEME précédemment cité, en plus d’incarner un « pari risqué », le CSC semble présenter « un potentiel limité pour la réduction des émissions industrielles ».

La première centrale électrique au lignite au monde avec séparation du dioxyde de carbone grâce à la technologie CCS en Allemagne
La première centrale électrique au lignite au monde avec séparation du dioxyde de carbone grâce à la technologie CCS en Allemagne. Crédit : Classen Bernhard / SIPA

Pendant ce temps, les capacités des puits de carbone naturels tels que les forêts, les sols et les océans étouffent sous la pression qui leur est imposée. Pourtant, ils représentent des alliés de taille dans la lutte contre le changement climatique. À titre d’exemple, selon le CNRS, l’océan séquestre à lui seul, près de 30 % du CO2 émis par les humains. Le rapport commun du GIEC et de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) publié en juin 2021 ne nous le rappelle que trop bien : « La protection et la restauration des écosystèmes riches en carbone constituent la priorité absolue dans une perspective conjointe d’atténuation du changement climatique et de protection de la biodiversité ». 

Charlotte Combret

Issue d’une grande école de commerce, Charlotte délaisse rapidement les open spaces parisiens pour s’engager dans la voie de l’indépendance. Son désir de lier pédagogie et poésie la conduit à devenir journaliste rédactrice, dans les Landes, pour des entreprises et médias engagés. Ses passions : le cinéma animalier, les voyages en train, les lectures féministes et les jeux de mots en tout genre.

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