Déchets nucléaires : les Sages valident le projet d’enfouissement tout en consacrant le droit des générations futures
Le Conseil constitutionnel a validé le controversé projet Cigéo tout en consacrant le droit des générations futures à vivre dans un environnement sain. On fait le point sur les détails de cette décision et ses implications pour l’enfouissement des déchets nucléaires.
Le Conseil constitutionnel consacre le droit des générations futures
Le Conseil constitutionnel a consacré vendredi 27 octobre l’obligation de préserver le droit des générations futures à vivre « dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », tout en validant le projet controversé de centre d’enfouissement Cigéo des déchets hautement radioactifs à Bure (Meuse), entouré selon lui de suffisamment de « garanties ».
Trois ans après avoir jugé que la protection de l’environnement ne s’arrêtait pas aux frontières, les Sages sont allés plus loin, en affirmant « en termes inédits » que « le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».
Cette partie de la décision a été saluée comme « historique » par le collectif de riverains et de militants anti-nucléaire (14 associations locales, 7 nationales dont Attac, Sortir du Nucléaire, France Nature Environnement, Greenpeace), à l’origine de la saisine du Conseil constitutionnel.
« Cette décision ne signifie absolument pas que le projet Cigéo, dans sa globalité, est autorisé », estime le collectif, qui reste « optimiste » et déterminé à contester la déclaration d’utilité publique (DUP) accordée par le gouvernement en 2022 à ce projet d’enfouissement jugé « titanesque et extrêmement dangereux ».
Avec l’affirmation de ce nouveau principe, les neuf membres du Conseil constitutionnel s’inscrivent dans le sillage d’autres juridictions à l’étranger, « en Allemagne, Colombie et certains États des Etats-Unis », observe l’avocat spécialisé Vincent Brenot, associé du cabinet August Debouzy.
« Le principe du droit des générations futures est posé mais très encadré. On peut y déroger si on peut justifier d’un intérêt général, et sa vérification ne commence que lorsqu’on a des atteintes graves et durables à l’environnement », ajoute-t-il.
Lui-même n’est pas partie au dossier Cigéo et défend d’ordinaire des industriels: « Pour les projets non nucléaires, cela ne facilite ni ne complique la tâche mais fournit une grille de lecture qui s’impose à l’État et aux politiques sur l’équilibre à trouver entre développement industriel et prise en compte de l’environnement ». « Ce droit des générations futures est une application très mesurée par le Conseil constitutionnel de l’adage amérindien disant qu’on n’est pas propriétaire de sa terre mais qu’on en est juste le gardien pour ses enfants », résume-t-il.
Le projet Cigéo obtient la validation malgré les contestations
Comparable au dépôt conçu par la Finlande sur l’île d’Olkiluoto pour abriter le combustible usé des cinq réacteurs nationaux, le projet Cigéo pourrait accueillir au moins 83 000 m3 de déchets les plus radioactifs ceux à haute intensité et à vie longue, dans le sous-sol argileux de Bure d’ici 2035-2040. Il est contesté depuis plus de 20 ans.
Le Conseil constitutionnel en a examiné le processus, étape par étape, tel que prévu par la loi et notamment les verrous posés pour respecter le principe de réversibilité imposé dans le code de l’environnement : durant 100 ans au moins, il faut pouvoir changer de méthode ou récupérer les déchets.
Il en conclut qu’il y a suffisamment de « garanties » : dès lors, les dispositions du projet « ne méconnaissent pas » le droit des générations future, et sont « conformes à la Constitution ».
L’autorisation de mise en service, dont l’instruction vient de débuter et prendra trois ans, sera limitée à une phase pilote « qui doit permettre de conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l’installation, notamment par un programme d’essais in situ », souligne le Conseil constitutionnel.
« Tous les colis de déchets doivent rester aisément récupérables durant cette phase, qui comprend des essais de récupération », dit-il. Quant à la fermeture définitive du site qui empêchera tout retour en arrière, seule une loi pourra l’autoriser, relève-t-il.
Au contraire, soutiennent les opposants, le délai considérable, jusqu’à des centaines de milliers d’années, durant lequel les déchets les plus toxiques doivent être conservés avant que les radiations ne retombent à des niveaux sûrs excède largement 100 ans et hypothèque le droit des générations futures.
Ils soulignent une « atteinte irrémédiable à l’environnement, et en particulier à la ressource en eau ».
La décision du Conseil constitutionnel était très attendue en pleine relance de l’atome voulue par l’exécutif. Ce dernier a fait ce choix, plutôt que de miser exclusivement sur l’éolien ou le solaire, afin de produire davantage d’électricité et remplacer d’autres énergies, émettrices de gaz à effet de serre.
Pour l’heure, le site meusien de l’Andra (Agence nationale pour la gestion de déchets radioactifs) n’accueille qu’un laboratoire scientifique, aucun déchet radioactif n’y est entreposé.
Le 2 septembre, plusieurs centaines de personnes ont encore manifesté pour dénoncer le « passage en force » de l’État.
(Avec AFP)
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