Nucléaire : les tensions franco-allemandes paralysent la réforme du marché européen de l’électricité

Par La rédaction de Deklic , le 18 octobre 2023 — Transition Écologique - 9 minutes de lecture
La centrale nucléaire du Bugey, Crédit ROMAIN DOUCELIN/SIPA

La centrale nucléaire du Bugey, Crédit ROMAIN DOUCELIN/SIPA

Les négociations pour réformer le marché européen de l’électricité sont paralysées par les divergences franco-allemandes sur le soutien au nucléaire. Enjeux, tensions, et implications pour l’industrie… on fait le point.

Les 27 membres de l’UE à la recherche d’un accord sur la réforme énergétique

Les Vingt-Sept cherchent ce mardi 17 octobre à débloquer les négociations sur la réforme du marché européen de l’électricité, plombées par les divergences franco-allemandes sur le soutien au nucléaire, au coeur d’un débat sur la compétitivité de l’industrie.

« Notre engagement est de trouver un accord aujourd’hui. Aucune raison ne justifie un report supplémentaire », a insisté la ministre espagnole de l’Energie Teresa Ribera.

Les ministres européens de l’Énergie sont réunis à Luxembourg, une semaine après une rencontre entre le chancelier allemand Olaf Scholz et le président français Emmanuel Macron  – qui avait affirmé la volonté des deux pays de conclure un accord « d’ici la fin du mois ».

Depuis, la présidence espagnole de l’UE a proposé de faire complètement disparaître du texte la question controversée du dispositif de soutien aux centrales nucléaires existantes, ce qui ne satisfait ni Paris, ni Berlin.

Les autres pays sont suspendus à un compromis entre les deux premières puissances de l’UE. « La question des distorsions de concurrence est désormais au cœur des négociations, ce qui me rend optimiste quant à un accord », a assuré lundi la ministre autrichienne Leonore Gewessler.



Après l’envolée des prix de l’électricité l’an dernier, le texte entend faire baisser les factures des ménages et entreprises grâce à des contrats de long terme permettant de lisser l’impact de la volatilité des cours du gaz.  Il s’agit aussi d’assurer davantage de prévisibilité aux investisseurs : tout soutien public à de nouveaux investissements dans la production d’électricité décarbonée (renouvelables ou nucléaire) se ferait via des « contrats pour la différence » (CFD) à prix garanti par l’État.

Comprendre les CFD – Un mécanisme de soutien énergétique
 
Les « Contrats pour la Différence » (CFD) sont un mécanisme de soutien à la production d’électricité décarbonée, qu’elle soit d’origine renouvelable ou nucléaire. Voici comment fonctionnent les CFD en résumé :
 
1. Fixation du prix : L’État fixe un prix garanti pour l’électricité produite, généralement plus élevé que le cours du marché de gros de l’électricité. Cela encourage les investisseurs à s’engager dans des projets énergétiques à long terme, car ils savent qu’ils recevront un prix prévisible pour leur production.
2. Répartition des revenus : Si le cours du marché de gros dépasse le prix fixé, le producteur d’électricité doit reverser les revenus supplémentaires à l’État. Ces fonds peuvent ensuite être redistribués ou utilisés pour d’autres investissements énergétiques.
3. Compensation en cas de baisse des prix : Si le cours du marché de gros est inférieur au prix garanti, l’État compense le producteur pour la différence, garantissant ainsi un revenu stable.
4. Stimulation des investissements : Les CFD encouragent les investissements dans des sources d’énergie décarbonée, car ils offrent une sécurité financière aux producteurs, réduisant ainsi les risques associés à la volatilité des prix de l’électricité.
 
Les CFD sont au cœur des tensions franco-allemandes, car la France cherche à les étendre aux investissements dans les centrales nucléaires existantes, tandis que l’Allemagne, sortie du nucléaire, craint que cela ne crée une concurrence inéquitable sur le marché de l’électricité européen.

Le débat sur le nucléaire au cœur des désaccords franco-allemands

Bruxelles souhaitait étendre ces CFD aux investissements destinés à prolonger la vie des centrales nucléaires existantes. Le sujet est crucial pour la France, soucieuse de financer la réfection de son parc nucléaire vieillissant et de maintenir des prix bas, un atout majeur pour les industriels du pays, notamment après la fin en 2025 du mécanisme obligeant EDF à céder une partie de sa production à prix cassé. De quoi inquiéter Berlin. L’Allemagne, sortie du nucléaire, redoute la concurrence, selon elle déloyale, d’une électricité française rendue plus compétitive grâce à un soutien public massif. Plus largement, les industriels européens s’inquiètent pour leur compétitivité, entre envolée des prix de l’énergie et subventions massives des industries vertes aux États-Unis. Le groupe public EDF, lourdement endetté, « peut faire grâce aux garanties de l’État » ce que ne peuvent pas faire les acteurs de l’électricité en Allemagne, « tous privés » et soumis aux lois du marché, observait la semaine dernière le ministre allemand de l’Économie Robert Habeck, réclamant que ce point soit « clarifié » dans la réforme. Soutenu notamment par l’Autriche et le Luxembourg, Berlin exige un strict encadrement de la redistribution des recettes issues des CFD sur le nucléaire existant, notamment auprès de l’industrie.

Dans une contre-proposition présentée mardi, le ministre allemand de l’Economie Robert Habeck a défendu l’imposition de critères européens à tous les CFD appliqués à des centrales existantes, « en s’assurant que les recettes générées ne distordent pas les conditions de concurrence » quand elles sont redistribuées aux industriels, sous stricte supervision de Bruxelles.

La France entend au contraire bénéficier de ses choix énergétiques de longue date, au moment où l’Allemagne pâtit à la fois de la perte des importations de gaz russe, dont elle s’était rendue dépendante, et de l’abandon du nucléaire – qui l’ont contrainte à relancer le charbon.

La France défend le nucléaire comme « stabilisateur » énergétique en Europe   

« Il faut éviter de tomber dans les fantasmes de pays qui mettraient à disposition des industriels une énergie à coût quasi-nul, ça n’existe pas. Le nucléaire n’est ni une martingale, ni une énergie particulièrement coûteuse », assurait mi-juillet à l’AFP la ministre française de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher. Le nucléaire permet en revanche « de stabiliser en Europe l’intermittence des énergies renouvelables », met-elle en avant. Faute d’accord européen, Paris n’exclut pas d’agir seul. Emmanuel Macron a menacé fin septembre de reprendre « le contrôle du prix de l’électricité » française. La bataille franco-allemande sur le nucléaire se poursuit sur de nombreux autres textes européens en cours de négociation : règlement pour aider les industries vertes, règles sur la production d’hydrogène propre… Un projet de Berlin de subventionner le prix de l’électricité pour ses industriels pourrait ouvrir un nouveau front.

Un autre sujet fera débat mardi : les « mécanismes de capacité » qui permettent aux États de rémunérer les capacités inutilisées des centrales pour garantir leur maintien en activité et éviter des pénuries futures d’électricité. Plusieurs pays veulent être exemptés des contraintes écologiques prévues, la Pologne réclamant notamment de pouvoir utiliser l’outil pour ses centrales à charbon.

(Avec AFP)

Mise à jour du mercredi 18 octobre 2023 : 

Compromis trouvé par les ministres européen sur le financement des nouveaux investissements dans l’énergie décarbonée. 

Équilibrer les revenus des producteurs d’électricité décarbonée

Le texte approuvé doit offrir davantage de prévisibilité aux investisseurs en rendant obligatoire le recours à des « contrats pour la différence » (CFD)  à prix garanti par l’État pour tout soutien public à de de nouvelles installations de production d’électricité décarbonée (renouvelables, nucléaire).

En résumé, si le cours du marché de gros est supérieur au prix fixé, le producteur doit reverser les revenus supplémentaires engrangés à l’État, qui peut les redistribuer aux consommateurs. Si le cours est en deçà, l’État lui verse une compensation.

Sous conditions ces CFD pourront également être envisagés pour prolonger l’existence des centrales nucléaire existantes. 

L’Élysée a salué « une belle victoire française et européenne », satisfait que le texte ne distingue pas nucléaire et renouvelables.

Modérer les factures d’électricité avec des contrats de long terme

Après l’envolée des prix de l’électricité l’an dernier, la réforme entend aussi modérer les factures des ménages et entreprises grâce à des contrats de long terme qui permettent de lisser l’impact de la volatilité des cours du gaz.

Protéger les consommateurs avec le bouclier tarifaire en cas d’envolée des prix

Le texte prévoit, aussi, en cas de nouvelle envolée durable des prix, le déclenchement d’une situation de crise au niveau européen permettant aux États d’adopter des mesures de type bouclier tarifaire pour protéger ménages vulnérables et entreprises.

Enfin, un autre sujet faisait débat : les « mécanismes de capacité » qui permettent aux États de rémunérer les capacités inutilisées des centrales pour garantir leur maintien en activité et éviter des pénuries futures d’électricité. Plusieurs pays souhaitaient être exemptés des contraintes écologiques prévues (limites d’émissions de CO2), notamment la Pologne, désireuse d’appliquer cet outil à ses centrales à charbon. Finalement, l’accord prévoit de possibles dérogations, mais dans des conditions strictes et seulement jusqu’à fin 2028. 

Prochaine étape : la négociation de la mise en œuvre de ses accords avec le parlement européen dans le cadre de la réforme du marché de l’électricité ! 

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