Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ?

Par William Buzy , le 10 novembre 2023 - 7 minutes de lecture
Globe terrestre dans une salle d'école primaire, Crédit Stephane Ferrer Yulianti / Hans Lucas. Stephane FERRER / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Globe terrestre dans une salle d’école primaire, Crédit Stephane Ferrer Yulianti / Hans Lucas. Stephane FERRER / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

À la faveur d’une sortie médiatique anecdotique de Vincent Dedienne, la question de la responsabilité de la natalité dans la crise climatique s’est de nouveau posée. Les éléments de réponses sont pourtant sur la table depuis longtemps : notre impact sur la planète est déterminé bien plus par nos comportements que par notre nombre.

Remettez une pièce dans le jukebox et la chanson recommencera. Cette fois-ci, c’est une double intervention du comédien Vincent Dedienne, qui a servi de petite monnaie. D’abord sur RTL, début octobre, lorsqu’il a affirmé que ne pas faire d’enfants était « l’acte le plus écologique qui soit ». « Faire des enfants c’est hyper égoïste, ça contribue à tuer la planète. » Puis dans le podcast Un bon moment, de Kyan Khojandi et Navo, au détour d’une conversation sur l’adoption. « On est trop nombreux sur cette planète. Ça ne marche plus. Il faut arrêter de faire des enfants. Il y a bien un moment où on va aller à un point de non-retour. Je comprends l’envie de faire des enfants, je comprends l’envie de se reproduire et d’avoir un mini-soi, je comprends toutes les bonnes raisons, et les mauvaises. Mais à un moment donné, dans notre pays, je ne sais pas comment dire, je privilégierais l’adoption à la reproduction. »

Et voilà de nouveau le message qui se diffuse et qui, bien malgré son auteur, est repris, commenté, mêlé à des chiffres au mieux hasardeux, parfois complètement faux, pour répandre l’idée que moins de monde permet moins de pollution. Au bout de la chaîne, poncifs racistes et fausses informations se diffusent. Car s’il faut le rappeler une fois encore, faisons-le : le dérèglement climatique n’est pas la conséquence du nombre d’habitants sur Terre, mais bien de leur mode de vie, et en l’occurrence du mode de vie des pays développés. Mickaël Correia, journaliste climat chez Médiapart, a par exemple très vite rappelé sur X que « 50% des rejets de gaz à effet de serre mondiaux sont émis chaque année par à peine 10% de la population mondiale la plus riche », que les « 1% les plus riches au monde émettent deux fois plus que les 50% les plus pauvres »,  et que « si l’ensemble de l’humanité vivait comme un Français, il nous faudrait l’équivalent de 2,7 planètes ». D’ailleurs, un tiers des Français de plus de 18 ans font partie de ces fameux 10%.

Dans le journal suisse Le Temps, la démographe Jennifer D. Sciubba, chercheuse en résidence au Wilson Center, à Washington, va dans le même sens. « Si la croissance démographique amplifie l’impact environnemental du développement économique, […] les pays où la consommation de ressources matérielles et les émissions de gaz à effet de serre par habitant sont les plus élevées sont généralement ceux où le revenu par habitant est le plus élevé, et non ceux où la population augmente rapidement. […] Notre impact sur la planète est déterminé bien plus par nos comportements que par notre nombre. »

Une planète viable à 20 milliards ?

Selon les prévisions et les statistiques démographiques des Nations Unies, nous serons 8,5 milliards en 2030, 9,7 en 2050 et 10,4 en 2100. Soutenable pour notre planète ? « La Terre n’a pas atteint la cote d’alerte, explique Philippe Wanner, professeur de démographie à l’Université de Genève questionné par Le Quotidien Jurassien. Elle a la capacité d’héberger plus que les huit milliards d’êtres humains du moment. » Beaucoup plus ? « Il n’existe pas d’optimum démographique. Une planète de 20 milliards d’habitants qui se comportent très bien en termes de sobriété peut être plus viable qu’une planète avec 5 milliards d’habitants qui dépensent le niveau de ressources des Occidentaux. » En clair, une fois encore, il s’agit d’un « problème de consommation plutôt que de surpopulation ».

Ne plus faire d’enfant n’aurait alors aucun impact ? Pas exactement. Mais un impact très relatif, assurément. Les chiffres qui circulent manquent souvent de contexte. Par exemple, en 2017, une étude très médiatisée avançait ce constat implacable : avec 60 tonnes de CO2 évitées par an, renoncer à avoir un enfant serait de loin l’action écologique la plus efficace. Un calcul qui, depuis, a été très contesté par les scientifiques, car il incluait toutes les émissions futures de toute descendance, en se basant par ailleurs sur des hypothèses particulièrement pessimistes. Plusieurs analyses alternatives ont été avancées, dont celle de l’ingénieur Emmanuel Pont, auteur d’un livre sur le sujet, a par exemple proposé un contre calcul de ce que serait le bilan carbone d’un enfant dans une famille qui respecterait la baisse demandée dans le cadre des Accords de Paris. Résultat : une tonne par an. L’équivalent, pour un Français, de l’impact de sa consommation de viande.

Moins d’enfants : un impact faible et long à se dessiner

Outre qu’ils soient extrêmement faibles, les effets d’une politique de réduction démographique sont longs à percevoir. D’abord, l’impact carbone d’un être humain atteint son pic entre 40 et 80 ans. Réduire le nombre d’enfants aura donc un effet assez faible sur les émissions à moyen terme. De plus, la transformation de la baisse de la natalité en baisse de la population n’est pas immédiate : c’est ce que l’on appelle l’inertie démographique. En clair, si tous les Français se limitaient à un enfant dès demain, on observerait une diminution des émissions de CO2 de seulement 2% en 2050 et 6% en 2070. À titre de comparaison, la rénovation de l’ensemble des logements anciens ferait chuter les émissions françaises de 8% par an. Bien loin des 80% nécessaires pour atteindre la neutralité carbone à laquelle le pays s’est engagé.

À l’échelle mondiale, l’écart s’accentue, avec une réduction des émissions annuelles de l’ordre de 4% sur les 30 prochaines années en cas de politique d’enfant unique. En 2100, les émissions de la planète seraient de retour au même niveau qu’en 2010. Loin du compte. L’explication est simple : les pays dans lesquels une telle baisse de la natalité serait significative ne sont pas ceux qui polluent le plus.

En effet, selon les chiffres de l’ONU, la moitié de la croissance de la population d’ici 2050 viendra de seulement huit pays, dont cinq situés en Afrique (République démocratique du Congo, Égypte, Éthiopie, Nigeria et Tanzanie) et trois en Asie (Inde, Pakistan, Philippines). Le continent africain abriterait également les trois villes les plus peuplées du monde (Lagos au Nigeria, Kinshasa en RD Congo et Dar es Salam en Tanzanie) avant la fin du siècle. Correia encore : « Il y a souvent un a priori raciste :  celui du continent africain qui serait une bombe démographique. Or l’Afrique, qui abrite 20% de la population mondiale, ne représente que 3,5% des émissions globales de CO2 ». Plus largement, les données des Nations unies montrent que les pays à forte natalité (plus de trois enfants par femme), représentent un cinquième de la population mondiale, mais seulement 3 % des émissions de CO2. À l’inverse, ceux avec un taux de fécondité bas, qui sont souvent parmi les plus développés, émettent 78 % du CO2 alors qu’ils ne représentent que la moitié de l’humanité.

Pour sauver la planète, arrêter de faire des enfants n’est donc pas le levier idéal. Nommer les maux réels et diminuer fortement l’empreinte carbone individuelle des pays les plus émetteurs, si.

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William Buzy

Écrivain et journaliste, William Buzy a fondé le média Impact(s), spécialisé dans la journalisme de solutions, et fait partie d’un collectif adepte du journalisme littéraire et du documentaire. Auteur de plusieurs romans, il a également publié des récits et des essais sur le journalisme.

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