Julien Vidal : l’écologie, une quête « heureuse, épanouissante, libératrice, solidaire, collective »
L’utopie d’aujourd’hui est la réalité de demain. Alors dans un monde en proie à une crise écologique et climatique, mais aussi une crise de sens, Julien Vidal a décidé d’en reprendre le pouvoir. Après avoir lancé le mouvement « Ça commence par moi » proposant une série d’actions éco-citoyennes individuelles, c’est à une échelle plus collective que le créateur des « 2030 Glorieuses » nous propose de nous engager. Au travers notamment d’un atelier collaboratif pour visualiser un avenir plus souhaitable et d’un podcast pour entendre la voix des acteurs du monde de demain, ce conteur de nouveaux récits nous transporte dans un voyage temporel, introspectif et utopiste. Entretien.
Avec votre premier projet « Ça commence par moi », vous proposiez 365 gestes éco-citoyens à adopter, est-ce que changer ou réinventer son métier fait partie de ces actions qui ont le plus d’impact ?
Quand j’ai lancé le projet à l’époque, en 2017, l’objectif était de montrer que l’on pouvait lier questions écologiques avec questions de solidarité et questions de bonheur. Ce que l’on voit de plus en plus comme évident maintenant – on dit que l’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage – l’était moins avant. Le temps étant cyclique et chaque jour étant l’occasion de progresser, de changer, de se bouger, de diminuer, de réduire et de participer à de nouvelles abondances, je voulais montrer qu’on n’avait pas besoin : d’une, de se sur-responsabiliser ; de deux, d’avoir le sentiment qu’il fallait absolument tout le temps penser à l’impact ; et de trois, que c’était aussi quelque chose de libérateur plutôt que de culpabilisant.
Effectivement, au gré de cette transformation, je me suis rendu compte qu’il y avait une schizophrénie dans l’action éco-citoyenne qui était souvent cantonnée au registre individuel, et pas du tout aux questions professionnelles. Je voyais autour de moi des gens qui étaient hyper engagés dans la transformation de leur alimentation ou de leur relation au voyage par exemple, et qui derrière, retournaient travailler pour une grande boîte.
Je me suis rendu compte à quel point les 60 000 heures que l’on passe en moyenne dans nos métiers sont, en général, sources de grande destruction. Mais elles peuvent aussi être l’occasion de reprendre notre pouvoir laborieux pour le mettre à contribution, non pas d’une entreprise qui ferait moins mal, mais d’un projet qui ferait carrément beaucoup mieux. C’est pour cela qu’avec le podcast, j’ai déjà mis en avant une centaine de métiers. Par nos métiers, on reprend le pouvoir des mains. On reprend le pouvoir de faire et de laisser une trace positive. Une trace qui, pour le dire un peu simplement, fait qu’on laisse la planète dans un meilleur état que celui dans lequel on l’a trouvée. La planète, mais aussi les relations humaines, les relations à soi.
Dans votre podcast « 2030 Glorieuses », vous allez à la rencontre des acteurs du monde d’après. Lobbyiste pour une mode éthique, créateur de nouveaux récits, professeure en nature, agricultrice urbaine… Les métiers de demain ne sont-ils pas finalement les métiers d’hier ?
On parle souvent du « monde d’après », mais la question est plutôt de regarder tout ce qui existe déjà aujourd’hui. De ne pas voir le « monde d’après », justement, comme quelque chose à innover, à faire sortir de terre de zéro, mais bien comme tout un tas d’expérimentations, de modes de vie alternatifs, qu’il faut changer d’échelle et largement reterritorialiser, et copier-coller quand ils sont inventés ou déployés à l’autre bout de la France, de l’Europe ou du monde. Effectivement, cela passe parfois par le fait de regarder dans nos héritages pour voir qu’il y a des choses dont on est fiers de maintenir la tradition, le savoir, l’expérimentation, tout en modernisant, complexifiant, nuançant certaines pratiques. Mais c’est sûr que l’idée de réinventer la roue est assez éloignée des métiers que je mets en avant dans les « 2030 Glorieuses ».
Pouvez-vous nous parler de l’une de ces personnes qui vous a particulièrement marqué, qui exerce un métier à première vue étonnant mais en réalité tout à fait inspirant ?
J’ai tellement de profils qui me viennent en tête. Ce qui est sûr, c’est qu’à chaque fois, je parle à des gens qui sont heureux d’être là, qui sont épanouis. Ils ne sont pas dans la posture que l’on voit parfois dans le monde militant actuel, un peu sacrificielle ou héroïque qui, je pense, fait du mal à tout le monde. Parce que le grand public regarde cela en se disant : « Waouh, incroyable, cette personne qui fait ça, mais moi, je n’y arriverai jamais » ou alors se sur-responsabilise. C’est-à-dire qu’on a l’impression qu’on va réussir à être celui ou celle qui va tout faire changer. Puis quand cela ne marche pas, on est déçu et on peut vite se fatiguer.
Alors que les personnes des « 2030 Glorieuses », auxquelles je donne la parole, montrent qu’elles sont au bon endroit, bien dans leur vie, bien dans leurs vibrations profondes. Elles se hâtent lentement, si je peux me permettre l’expression. Elles ont décidé que ça serait heureux, un peu foutraque, un peu joyeux, un peu décalé. Il y a de la responsabilisation, il y a de l’envie de bien faire, mais il y a aussi, d’une certaine manière, l’envie de se lâcher les basques. Il y a une certaine légèreté. Une profondeur et une légèreté en même temps qui fait du bien.
Pensez-vous que tout changement vers une société plus juste et plus écologique commence non seulement par « nous-même » mais aussi par une utopie ?
Je dirais déjà qu’il continue ce changement. Je parlais de l’héritage tout à l’heure. On hérite de la société dans laquelle on vit avec ses catastrophes, mais aussi ses clairvoyances. Pour la petite histoire, il n’y a pas longtemps, on m’a partagé le discours de Donella Meadows, qui est avec son mari et quelques autres experts, à l’origine du rapport des limites de la croissance de 1972 qui alertait déjà sur le fait que notre modèle allait droit dans le mur. Très vite, Donella Meadows a dit qu’au-delà d’alerter, il fallait surtout imaginer, rêver et se poser la question de ce qui nous attendait plus tard pour ensuite le faire évoluer. Elle déplorait que malheureusement, dans tous les sommets, les réunions, les conférences auxquelles elle participait, se posait toujours la question de l’argent, de la technique, de l’information, mais jamais de la direction.
Oui, l’utopie, c’est une boussole, c’est quelque chose qui nous met en mouvement. Cela permet de toujours se dire que l’on peut faire mieux et de ne pas accepter les compromis mous du présent. Si on l’utilise non pas comme celle d’une seule personne qui viendrait s’imposer au reste du monde, mais qu’au contraire, on entraîne les gens à faire advenir leur propre utopie, à jouer avec celle-ci, alors on a une capacité à reterritorialiser nos rêves, à créer des discussions fertiles.
Je vois plein de vertus à ce que l’on considère plus l’utopie comme l’occasion de se rassembler, d’imaginer, de faire que l’intelligence collective retrouve toute sa place et sa puissance. Ensuite, une fois que l’on a rêvé, on se rend compte que la seule personne sur laquelle on a du pouvoir : c’est nous-mêmes. Donc oui, ça commence par nous d’être le bonheur qu’on a envie de voir chez les autres. Ça commence par nous de l’incarner, d’aller vers sa vibration profonde qui nourrira celle des autres. Il n’y a pas d’autre choix que de se bouger soi, parce que convaincre les autres, ça ne marche pas. En général, on les brusque, on les frustre. C’est parce que nous sommes joyeux, parce que nous sommes légers, parce que nous sommes convaincus, que derrière, l’effet miroir joue en notre faveur et que les autres ont envie de s’y mettre.
Dans le collectif, c’est une question de récits, d’imaginaires. Ces imaginaires doivent être reterritorialisés et portés par les gens. C’est de la politique du quotidien, presque. De quartier. À taille humaine. Derrière, dans la mise en mouvement, on est chacun dans nos étincelles propres. On est chacun les responsables de la porte qui s’entrouvre devant nous tous les jours. Cette responsabilité-là doit aussi faire partie d’une libération.
Quand j’entends les gens qui lient la question écologique à une frustration, un poids ou une lourdeur, je regrette qu’on n’ait pas compris que c’était au contraire une occasion de vraiment se poser la question de qui on était sur cette planète. De comment on pouvait aller pleinement vers notre vibration profonde et faire en sorte d’avoir une quête qui soit heureuse, épanouissante, libératrice, solidaire, collective. Que ça fasse du bien à la planète ou pas, on s’en fiche un peu d’une certaine manière. En fait, on devrait tous agir parce qu’on se rend compte que ça nous fait profondément du bien à nous. C’est une sorte d’égoïsme bien placé, en réalité.
Que répondez-vous à ceux qui brandissent le drapeau du pragmatisme pour discréditer les utopistes, et notamment les défenseurs du climat, du vivant et de la justice sociale ?
Ce sont les pragmatiques qui nous ont mis dans cette situation. Cela vaudrait déjà le coup d’arrêter d’écouter les personnes qui sont à la source des maux dans lesquels nous sommes en train de nous prendre les pieds. Quand on regarde historiquement les grandes ruptures civilisationnelles, elles viennent toujours de personnes qui ont décidé de regarder en dehors du cadre, de faire confiance à leurs utopies. On a pris cela pour acquis le jour où c’était largement déployé.
Et puis, encore une fois, ce n’est pas du pragmatisme, c’est du conservatisme. Ce sont des gens qui ont le regard dans le rétroviseur, qui s’emprisonnent eux-mêmes et nous emprisonnent aussi dans une vision étriquée, biaisée du passé, qui n’a jamais existé et n’existera jamais. À l’évocation de la croissance, du plein d’emploi ou encore du ruissellement par exemple, en général, ils commencent toujours leur phrase par : « je crois », « je suis persuadé ». C’est presque une sorte de religion, de croyance pour l’économie, le marché, le néolibéralisme… C’est assez saisissant de voir que c’est en fait qu’une question de foi.
À l’heure ou l’écoanxiété gagne de plus en plus de personnes, vous dites qu’il est nécessaire de recréer un lien de désirabilité avec l’avenir, comment fait-on ? Et comment faites-vous vous avec « 2030 Glorieuses » ?
Déjà, je me lâche un peu la grappe. Je me rends compte que ce n’est pas moi qui vais changer tout le tracas dans lequel nous vivons avec mes petits bras. Cela fait du bien de se déresponsabiliser, ou en tout cas, de ne pas se sur-responsabiliser. Et puis, cela fait du bien aussi de faire exister de nouveaux indicateurs dans notre vie, de nouvelles sources de réussite pour pouvoir se dire qu’on n’a pas que des défaites qui nous attendent. On a plein de victoires. On a plein de nouvelles abondances.
À partir du moment où l’on arrête de mesurer sa vie à la quantité de choses que l’on a dans notre étagère, la taille de notre maison ou celle de notre voiture, ou encore l’augmentation croissante et régulière de nos responsabilités ou de nos postes, on se rend compte qu’il y a plein d’autres sources de victoires, plein d’autres sources de bonheur et plein de choses qui vont pouvoir continuer à croître dans nos vies sans continuer à détraquer le climat, à attaquer la biodiversité. Les moments passés avec sa famille, les moments passés en nature, les liens renforcés dans notre quartier, les actions associatives, les romans et les BD… : tout un tas de choses qui font qu’on a cette possibilité que demain soit au moins aussi bien parce qu’il y a plein de choses géniales qui nous attendent.
Avec « 2030 Glorieuses », vous développez également un atelier collaboratif et des outils pour reprendre collectivement le pouvoir des imaginaires…
Oui, ce sont des conversations qui sont géniales et qui donnent beaucoup d’énergie. On dit tout le temps que les Français sont pessimistes, qu’on a perdu d’avance et que c’est une catastrophe. Mais depuis que j’anime cet atelier « 2030 Glorieuses » et que j’ai des conversations utopistes avec tous les Français de tous les territoires, de tous les milieux, de tous les âges, je me rends compte à quel point on est beaucoup moins catastrophistes et pessimistes que ce qu’on veut bien le dire.
En plus, quand on nous donne l’opportunité d’avoir une vision un peu positive, tout de suite, on la saisit et ça fait un bien fou. C’est fou l’énergie que ça me donne de faire vivre ces utopies. C’est hyper puissant comme exercice. Ça aussi, forcément, ça me donne un peu plus confiance en l’avenir : dès qu’on s’organise, dès qu’on crée l’opportunité, en général, les gens réussissent à la remplir positivement.
2030 n’est désormais plus très loin, qu’est-ce qui aura changé d’ici là selon vous ? Et vous, où serez-vous ?
C’est ça qui est génial, c’est que je n’en sais rien. Toutes les personnes qui vous disent exactement ce qui va se passer dans les années à venir, accordent beaucoup trop d’importance à leur vision. On est tellement irrationnel, nous l’humanité, qu’on peut continuer à creuser le trou béant dans lequel on se trouve, ou complètement surprendre et changer radicalement de mode de vie en l’espace de quelques années. Franchement, je n’en sais rien. Je ne sais pas ce que ça va donner. Quant à moi, où je serai : soit encore dans cette énergie d’avoir l’impression que les gens sont en souffrance de vivre en pilote automatique et d’oser créer des espaces de libération pour qu’on ait un sursaut, soit dans celle de donner plus de temps à ce qui m’anime vraiment : lire, réparer mon vélo et faire des choses plus à taille de mon quartier.
🔎 Pour participer à un prochain voyage en « 2030 Glorieuses », retrouvez plus d’infos sur : www.2030glorieuses.org
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