Les six livres en lice pour le Prix du roman d’écologie 2024

Par Charlotte Combret , le 21 mars 2024 - 9 minutes de lecture
Livres sur l’écologie

Livres sur l’écologie. Crédit : Riccardo Milani / Hans Lucas / AFP

Chaque année, le Prix du roman d’écologie récompense un ouvrage francophone « qui place l’écologie au cœur de son intrigue ». Six ouvrages aux récits poétiques et saisissants font partie de la sélection 2024. 

L’art se saisit de ce qui fait et défait nos vies. L’écologie en fait pleinement partie. Là où la littérature regorge d’ouvrages scientifiques et philosophiques qui analysent la crise environnementale et climatique, le roman nous propose de voir le monde avec les lunettes teintées de la fiction. Une façon de comprendre et de ressentir les problématiques contemporaines, que le Prix du roman d’écologie récompense tous les ans depuis 2018. 

Une nouvelle page s’apprête à s’écrire alors que le prix revenait en 2023 à Annie Lulu pour « Peine des Faunes », son deuxième roman aux résonances écoféministes. Cette année encore, le jury composé notamment d’écrivains et de spécialistes de l’écologie – et présidé par Lucile Schmid, cofondatrice de la Fondation de l’écologie politique – aura pour mission d’élire la plume 2024 du romanesque environnemental. 

« Transcendant les plans purement psychologique ou historique, il pose la question des limites entre l’humain et le non-humain, du rapport des civilisations humaines au temps, à l’espace, à l’animal, à la démesure technicienne » partage le Prix du roman d’écologie dans son manisfeste. « Il crée une distanciation salutaire, élargit nos sens, bouscule l’anthropocentrisme en replaçant nos destins dans leurs milieux. » Il raconte des histoires, à l’heure où s’enlisent les récits collectifs.

Écofiction, dystopie, écothriller, fable rurale, roman antispéciste… Le format offre une grande liberté. « Sans devoir être militant ou engagé, un roman d’écologie peut relever de l’écologie scientifique, politique, humaine, sociale : c’est par ses qualités littéraires éminentes qu’il touche, qu’il révèle et donne de nouvelles raisons d’agir ». Le Prix de l’édition 2024 du roman d’écologie sera remis le 14 mai à Saint-Ouen à l’un des six récits sélectionnés. En voici un aperçu, proposé par l’association organisatrice.

1. « Humus », de Gaspard Koenig

Deux étudiants en agronomie, angoissés comme toute leur génération par la crise écologique, refusent le défaitisme et se mettent en tête de changer le monde. Kevin, fils d’ouvriers agricoles, lance une start-up de vermicompostage et endosse l’uniforme du parfait transfuge sur la scène du capitalisme vert. Arthur, enfant de la bourgeoisie, tente de régénérer le champ familial ruiné par les pesticides mais se heurte à la réalité de la vie rurale. Au fil de leur apprentissage, les deux amis mettent leurs idéaux à rude épreuve. 

Du bocage normand à la Silicon Valley, des cellules anarchistes aux salons ministériels, Gaspard Koenig raconte les paradoxes de notre temps – mobilité sociale et mépris de classe, promesse de progrès et insurrection écologique, amour impossible et désespoir héroïque… Une histoire de terre et d’hommes, dans la grande veine de la littérature réaliste.

2. « Et vous passerez comme des vents fous », de Clara Arnaud 

Gaspard, un berger pyrénéen, s’apprête à remonter en estive avec ses brebis, hanté par l’accident tragique survenu la saison précédente. Dans le même temps, Alma, une jeune éthologue, rejoint le Centre national pour la biodiversité, avec le projet d’étudier le comportement des ours et d’élaborer des réponses adaptées à la prédation. Sur les hauteurs, les deux trentenaires se croisent de loin en loin, totalement dévoués à leurs missions respectives. Mais bientôt les attaques d’une ourse les confrontent à leurs failles. Les audaces de la bête ravivent les peurs archaïques, révélant la crise du pastoralisme et cristallisant des visions irréconciliables de la montagne : elle devient l’ennemie à abattre. Dans cette vallée où jadis le dressage des ours était une tradition, la réintroduction du plantigrade exacerbe les tensions. 

Interrogeant notre rapport au sauvage, Clara Arnaud offre une plongée saisissante, minutieusement documentée, dans la vie pastorale moderne. Elle signe un roman sensuel, immersif et tellurique, célébrant la beauté de la montagne sans taire sa violence.

3. « Le Jour des caméléons », d’Ananda Devi

Une île : Maurice, la narratrice du roman. Quatre personnages : un oncle las de la vie, sa nièce, unique lumière pour lui, une femme qui vient de quitter son mari, un chef de bande assoiffé de vengeance. Une journée où tout va exploser : la cité, les haines, peut-être l’île. Enfin, d’étranges animaux qui attendent patiemment que les humains finissent de détruire ce qui leur reste  – leur humanité, leur foyer  – pour vivre seuls, en paix  : les caméléons. Unité de lieu, de temps, d’action. Le compte à rebours est lancé, le drame peut commencer.

Mais reprenons. Le roman s’ouvre, la ville est à feu et à sang. Zigzig, le caïd meneur, tient dans ses bras une fillette ensanglantée. Les plus pauvres viennent de s’attaquer aux plus riches dans le centre névralgique de l’île : le shopping center, désormais en ruines. Au loin, un volcan gronde. Comment en sommes-nous arrivés là ? Quelques heures plus tôt, Zigzig partait avec les siens attaquer ses rivaux tandis que Sara regardait danser une femme libérée sur une plage abandonnée. L’île rembobine et nous raconte. 

On suivra tour à tour chacun des personnages jusqu’à ce que leur destin se mêle. On remontera aussi le cours de l’Histoire pour comprendre comment les peuples, les servitudes et les logiques du monde moderne ont saccagé cette terre de merveilles et divisé ses habitants. Avec sa langue tendre et ironique, tranchante et poétique, Ananda Devi nous emporte dans un roman impossible à lâcher pour nous plonger dans le chaos des hommes. Le destin est en marche. Mais dans cette histoire-là, ceux qu’on croit les plus féroces seront peut-être les seuls héros.

4. « Feu le vieux monde », de Sophie Vandeveugle

« L’aube s’ouvrit sur un ciel de fumée. La ville, entourée de collines qui la regardaient, semblait bien frêle là-dessous, presque prise en étau, et n’avait plus pour horizon que ce ciel anthracite qui, à mesure que se levait un soleil de feu, s’orangeait. »

La petite ville de Bas-les-Monts a subi la mobilisation de ses jeunes et vit, depuis, au rythme des avions et sous la menace. L’ennemi est d’une inhabituelle envergure, la ligne de front se déplace au gré des vents : en ce nouvel été caniculaire, ce sont d’effroyables incendies que les appelés combattent. Séparés de leurs familles, Nino, Joseph, le Moineau et les autres découvrent la camaraderie de la troupe et les limites de la docilité. Sous les frondaisons de la forêt suppliciée, le règne animal paie lui aussi un lourd tribut à cette guerre moderne…

Ardente et engagée, cette fable confie à la jeunesse la capacité de lucidité, le pouvoir de l’indignation et la volonté d’inventer l’avenir.

5. « Dans la réserve », d’Hélène Zimmer

Le chantier du mur érigé par la Wild French Réserve (WFR), entre les espèces protégées et le reste du territoire, est achevé. En se confrontant à ce mur, les trois protagonistes du roman, en proie chacun à des bouleversements personnels, racontent trois expériences sensibles de la crise écologique et de la sauvagerie capitaliste.

Arnaud, marginal, s’est donné les moyens de vivre la vie qu’il désirait, une vie d’autosuffisance et de solitude. Un avis d’expulsion met brutalement fin à ses rêves. Arnaud ne revient pas en arrière. Il se fond dans le territoire et l’état sauvage. Nassim, journaliste, relate le combat de la résistance écologique, mais quand sa compagne, Solveig, lui annonce qu’elle veut faire un enfant seule alors que grandit son désir de paternité, la nouvelle est une déflagration. À la fin de son service civique, Eva-Lou décide de quitter sa coloc’ pour faire une pause chez sa mère. La tendresse du foyer la maintient dans une posture de post-adolescente avec laquelle elle rompt brutalement en s’engageant comme éco-sentinelle à la WFR. Ce contrat passé avec la société militaire privée la pousse à une émancipation vertigineuse. Elle se voit catapultée dans une mission spéciale. Une bête autrement plus sauvage que les bisons et les loups a franchi le mur.

Dans la réserve est un roman sur le capitalisme vert, la militarisation des espaces naturels et la résistance écologique. Projection fictive des conditions d’émergence de la privatisation de la nature, s’inspirant de différents modèles de gestion des réserves naturelles existants, le livre nous confronte aux questions sociales actuelles : la paternité, la propriété, le partage des ressources, la précarité salariale.

6. « Orchidéiste », de Vidya Narine 

Sylvain est orchidéiste. Chaque jour, il prend soin de ses fleurs pour une clientèle exigeante. Des orchidées, il sait tout : la symbolique, l’aventure de leur découverte et les ravages sur la nature de leur commercialisation massive. Aujourd’hui, il aimerait céder sa boutique. Mais dans sa famille, une dynastie d’industriels lorrains, on n’a pas su comment transmettre. Alors, pour mieux habiter l’avenir, Sylvain répare les racines abîmées du passé.

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Charlotte Combret

Issue d’une grande école de commerce, Charlotte délaisse rapidement les open spaces parisiens pour s’engager dans la voie de l’indépendance. Son désir de lier pédagogie et poésie la conduit à devenir journaliste rédactrice, dans les Landes, pour des entreprises et médias engagés. Ses passions : le cinéma animalier, les voyages en train, les lectures féministes et les jeux de mots en tout genre.

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