La faim justifie les moyens ! Planification et contractualisation sont les deux mamelles de l’action
TRIBUNE – Alors que le gouvernement français s’apprête à enraciner la souveraineté alimentaire dans la loi, cette tribune signée Stéphane Linou et Frédéric Marchand, insiste sur le rôle crucial de la planification et de la contractualisation dans la transition vers une agriculture durable et rémunératrice pour les agriculteurs, ainsi que dans la concrétisation de la souveraineté alimentaire inscrite dans la législation. De plus, elle décortique les enjeux et les défis liés à cette transition vers des systèmes alimentaires territorialisés, en mettant en lumière l’importance des Autorités Organisatrices de l’Alimentation Territoriale (AOAT) pour renforcer la souveraineté alimentaire à l’échelle locale.
Stéphane LINOU : Expert-associé au Laboratoire Sécurité Défense du CNAM, Auteur de « Résilience alimentaire et sécurité nationale »; Formateur pour élus sur la « Résilience alimentaire des territoires et la sécurité civile ».
Frédéric MARCHAND : Ancien Sénateur du Nord, auteur d’un rapport remis au gouvernement sur les Projets Alimentaires Territoriaux, rapport accompagné de préconisations.
Pas d’agriculture et de nourriture sans nature et pas d’agriculteurs sans prix rémunérateurs. La transition agroécologique, pour des raisons de sécurité, nous serons obligés de la faire, mais il va falloir payer les agriculteurs pour produire en régénérant. Écologie et agriculture ne sont pas antinomiques, l’écologie est une question de sécurité car sans les ressources naturelles qui nous permettent de boire et manger, il n’y a pas de sécurité tout court et, à ce titre, l’alimentation et tout ce qui la permet devraient entrer dans le champ régalien. Cela tombe bien, puisque nous avons désormais un ministère de la souveraineté alimentaire !
De plus, la planification écologique est nébuleuse, personne ne comprend. Nous pensons que pour y rentrer efficacement, il faut partir de la planification alimentaire.
Le gouvernement français va inscrire dans la loi le principe de souveraineté alimentaire. Voilà ce que le Premier ministre Gabriel Attal, qui a décliné une nouvelle série de mesures pour tenter de désamorcer la crise dans la filière agricole, a annoncé le 1er février dernier.
« Nous voulons être souverains. Souverains pour cultiver, souverains pour récolter, souverains pour nous alimenter. C’est le premier engagement que je prends ce matin. Nous inscrirons l’objectif de souveraineté dans la loi », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse.
Voilà une déclaration d’intention plus que louable ! Encore faut-il que le gouvernement aille au bout de cette logique à lier avec la sécurité nationale et commence par s’appuyer, pour tendre vers cet objectif, sur ce sujet étrangement absent du débat depuis ces derniers jours : la planification de la reterritorialisation de nos systèmes alimentaires.
Car il s’agit bien d’un sujet majeur, un sujet de souveraineté alimentaire, élémentaire à la nécessaire et incontournable transition écologique que nous appelons tous de nos vœux.
Le sujet de l’alimentation durable et résiliente est en effet, pour les collectivités de notre pays, une véritable priorité et démontre, si besoin était, que le penser global et l’agir local sont parfaitement compatibles. Il suffit, pour s’en convaincre, de partir à la rencontre de celles et ceux qui sont, qui font notre alimentation pour mesurer que la route est maintenant tracée.
Cette route est certes sinueuse et parsemée d’embûches. Les dogmatismes, la logique de silos et les méfiances réciproques sont parfois autant d’obstacles à faire ensemble mais chacun convient qu’il est désormais urgent de revisiter les vieux logiciels et de davantage coopérer pour tendre vers une alimentation durable et de qualité, accessible au plus grand nombre et en faire une véritable priorité politique.
Assortie de moyens dédiés à la hauteur des ambitions affichées, cette priorité doit contribuer à la reconstruction d’un contrat social à travers et autour de l’alimentation.
Nos collectivités territoriales ont montré avec la crise sanitaire, la crise énergétique, à quel point elles étaient essentielles pour la vie quotidienne de nos concitoyens. N’attendons pas pour repenser notre alimentation et partons du principe que cette crise est l’occasion d’accélérer la mise en œuvre de systèmes alimentaires territorialisés.
Le scénario probable d’une augmentation des températures de 4 degrés d’ici 2100 et la dégradation des sols sont un facteur aggravant qui oblige à davantage d’action et de planification des systèmes alimentaires !
L’annonce faite par le Premier Ministre est le moyen d’inscrire le fait alimentaire, dans toute ses dimensions ; systémique, territoriale et résiliente et de faire des Projets Alimentaires Territoriaux (plus de 430 à ce jour), de véritables outils au service de la planification alimentaire et d’une contractualisation entre tous les acteurs. Les PAT doivent ainsi muter en CAT (Contrats Alimentaires Territoriaux).
Et pour cela, le moment est venu de nous interroger sur la bascule à opérer entre une logique de projet territorial volontariste, dont la pérennité dans le temps est sujette à moultes questions (notamment financières), et une logique de contrat passé entre l’État et les territoires, les acteurs privés, ceux de la société civile ainsi que des engagements forts pour décliner une stratégie nationale en intégrant, comme l’indiquait encore récemment le Président de la République, le droit à l’expérimentation et à la différenciation.
Soyons clairs et définitifs, il ne s’agit pas ici de vouloir rajouter un dispositif supplémentaire dans un édifice législatif et réglementaire qui en compte déjà beaucoup. L’objectif est simple : que le sujet de l’alimentation durable et résiliente, qui est transversal par essence et donc parfois dilué, bénéficie d’une personnalité politique incontournable.
Cette personnalité sera d’autant plus forte que les collectivités, porteuses de cette logique d’engagement alimentaire, devront être dotées d’une compétence partagée, en faisant des Autorités Organisatrices de l’Alimentation Territoriale (AOAT). Elles leur permettront ainsi de disposer de cette personnalité juridique et politique leur donnant toute latitude, pour être les assembleurs incontournables de logiques alimentaires sur leurs territoires qu’il est naturel de lier, car elle se joue également et grandement en local, à la thématique cruciale de l’eau.
Nos territoires alimentaires doivent constituer une part du tout que doit être cette souveraineté… élémentaire.
Et oui, notre assiette est bien le « Cheval de Troie » idéal pour faire comprendre et agir sur les enjeux contemporains (capital naturel avec l’eau et le foncier, facteurs de production permettant de valoriser ce dernier, changement climatique, biodiversité, protection du foncier, agroécologie, santé, souveraineté, sécurité collective, préparation des populations, pouvoir d’achat, juste rémunération des agriculteurs, cuisine, citoyenneté, etc…). Concernant les sols, les travaux de recherche de Céline Basset rapportent notamment que la régénération du microbiote du sol est d’ailleurs un des premiers chantiers à mettre en œuvre pour répondre à nombre de ces enjeux.
Éducation, santé, développement économique, transition, précarité, aménagement du territoire sont autant de sujets qui font, c’est une évidence, système, et qui traversent les enjeux de l’alimentation sans oublier celui, majeur, de notre sécurité collective (ordre public, sécurité civile, intérieure et nationale) dans toutes ses dimensions.
Nombreuses sont les actions de formation initiées auprès d’élus locaux de plus en plus sensibilisés, sans viser l’autarcie et en hybridant les échelles, sur le fait alimentaire devant être abordé sous l’angle de la Sécurité civile à travers les Plans communaux et intercommunaux de sauvegarde. L’objectif est de retricoter ou de renforcer nos infrastructures nourricières, permettant d’assurer aux territoires un mode « dégradé » mais opérationnel pour que tout le monde puisse manger un minimum, sans désordres, même en temps de crises.
Nous pouvons mesurer chaque jour la richesse des acteurs territoriaux pour innover et développer des dispositifs qui n’ont d’autre finalité que l’intérêt général et tendre vers des modèles à suivre et à encourager.
De Nogaro dans le Gers, à Cappelle La Grande, dans le Nord, de Rennes à Nice, en passant par la Nouvelle Aquitaine ou les DROM-COM, elles sont nombreuses et belles toutes les initiatives qui tendent à démontrer que l’alimentation durable et résiliente, c’est l’affaire de toutes et tous. L’heure n’est pas à la fatalité et aux constats mais à l’action, aux contrats et à l’envie partagée de « cultiver notre (nos) jardin(s) et nos territoires » car c’est aussi une question de sécurité, tout court.
Il ne saurait y avoir de planification écologique, (qui n’est pas un gros mot) sans une part territorialisée de la planification de l’alimentation ; sans logique de contrat et, encore moins, de revenus décents pour nos agriculteurs et ceux que nous devons installer demain pour garantir leur et notre avenir.
Rassurez-vous, Brejnev ne serait pas de retour, contrairement à la visibilité demandée par les agriculteurs !
Nous avons besoin d’une « ardente planification alimentaire », planification version Général De Gaulle, durable et résiliente, inscrite dans une économie AVEC marché où (car c’est un sujet stratégique) on reprend la main sur « la main invisible du marché » quand celui-ci ne peut ou ne veut pas voir.
Nous insistons : pas de souveraineté sans planification. La grande loi agricole promise par le Premier Ministre ne saurait ignorer cette réalité, c’est le chemin que nous proposons.