Les actions en justice sont-elles une réponse au changement climatique ?
Face à la recrudescence d’actions juridiques intentées au nom du climat, la question de leur impact se pose. Maria-Antonia Tigre, spécialiste du sujet, a répondu aux questions de l’AFP.
De plus en plus de procédures judiciaires visent à forcer les États et entreprises à agir plus vite pour le climat. C’est le cas de l’action intentée par un groupe de jeunes portugais, qui plaident leur cause mercredi 27 septembre 2023 devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Maria-Antonia Tigre, co-autrice d’un rapport sur le contentieux climatique publié par le Sabin Center de l’Université Columbia et l’ONU Environnement, fait le point.
Les affaires directement liées au dérèglement climatique ont doublé entre 2015 et 2022 selon votre rapport. Qui sont les plaignants ?
Au départ, c’était vraiment les grandes ONG. Et désormais, cela s’est étendu. Il y a beaucoup de jeunes, des militants pour le climat, et aussi des peuples autochtones. On observe une grande diversification y compris géographique. Nous avons encore 70 % des procédures aux Etats-Unis mais désormais, on répertorie des affaires dans 60 juridictions (pays, et tribunaux régionaux ou internationaux, ndlr). Et il y en a sans doute d’autres car nous ne prenons en compte que les affaires qui évoquent de manière spécifique le climat.
Typiquement, les procédures climatiques ressemblent à l’affaire Urgenda aux Pays-Bas, c’était la première décision (de condamnation d’un État pour inaction climatique, ndlr). Urgenda, c’était la première affaire, mais on compte environ 80 dossiers similaires dans le monde aujourd’hui. Une grande partie des affaires sont centrées sur les droits humains. Une des grandes avancées de ces dernières années, c’est la clarification du lien entre changement climatique et droits humains. On peut s’appuyer sur la législation en matière de protection des droits humains pour forcer les gouvernements et les entreprises à agir davantage. Ce qui est également intéressant, c’est que ces procédures se renforcent mutuellement même si elles ne sont pas devant la même juridiction. Il y a un processus d’apprentissage,
avec beaucoup de partage d’information entre plaignants.
Que veulent les plaignants ?
Sur la typologie, il y a des affaires dont le but est de pousser les États et les entreprises à réduire leurs émissions. D’autres portent sur l’adaptation : il s’agit d’aider des communautés à s’adapter aux effets du changement climatique. Et enfin, il y a les réparations. C’est encore très nouveau. Il y a peu d’exemples. Elles concernent des communautés déjà affectées par le changement climatique qui réclament une forme de compensation. Les exemples que l’on connaît visent les compagnies productrices d’énergies fossiles et une cimentière. Il s’agit d’entreprises qui ont gagné beaucoup d’argent en continuant à émettre du CO2 et qui vont continuer, aux dépens des populations impactées. Alors on leur demande de reverser une partie de leurs profits, en se fondant sur leur contribution historique au changement climatique.
Le rapport sur les « majors du carbone » établit désormais des pourcentages de contribution aux émissions de gaz à effet de serre pour les plus grandes entreprises dans le monde. Il quantifie par exemple la contribution à hauteur de X pour cent de Chevron au changement climatique tout au long de son histoire.
Comment se terminent ces affaires et quelles sont les limites de cette stratégie ?
Selon le Grantham Institute, le taux de succès est de 50 % mais c’est une question compliquée. Comment définir le succès d’une affaire ? J’aime bien donner l’exemple de l’affaire Saachi (saisine du Comité des Nations Unies pour les droits des enfants contre l’Argentine, le Brésil, la France, l’Allemagne et la Turquie, ndlr) : l’affaire n’a pas été déclarée admissible. Techniquement, ils ont perdu. Mais après ça, le comité a fait un effort de clarification sur la question des enfants et du climat et maintenant on a un écrit sur la manière dont les États doivent interpréter la Convention sur les droits de l’enfant au regard du changement climatique.
Le contentieux climatique n’est pas la panacée. C’est l’une des solutions à la crise du climat. Au fur et à mesure que des jugements tombent, cela renforce le processus. Et ce qui est intéressant c’est que ces affaires suscitent beaucoup d’attention médiatique. Donc, même avant les décisions, ces affaires mettent la pression aux gouvernements et aux entreprises pour qu’elles progressent en
termes de réduction des émissions.
Il y a beaucoup de limites, évidemment. Cela prend beaucoup de temps, c’est cher. Et il y a de grandes disparités en termes de financement entre le Nord et le Sud. Le plus grand défi dans le Sud global, c’est la sécurité des avocats des plaignants. Nous avons par exemple été en contact avec des plaignants en Afrique et souvent ils ne veulent pas que le Sabin Center évoque leur affaire avant que le jugement ne soit rendu car ils craignent pour leur sécurité, en particulier lorsqu’ils poursuivent des entreprises. La question de la protection des défenseurs de l’environnement est un vrai problème en Amérique latine, en
Afrique et en Asie.
(Avec AFP)
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