Objectif climatique 2040 de l’UE : quels sont les enjeux ?
La Commission européenne a dévoilé mardi 6 février ses recommandations pour l’objectif climatique 2040 de l’UE, feuille de route pour la poursuite du « Pacte vert ». En voici les principaux enjeux.
Alors que des documents de travail révélaient l’ambition de la Commission Européenne pour 2040, ses directives se précisent. À quatre mois des élections européennes, Bruxelles vient de publier sa feuille de route climatique pour 2040, esquissant une transition « juste » et « garantissant la compétitivité » industrielle, sur fond de résistances croissantes aux normes environnementales.
Trajectoire : une baisse de 90% des émissions de CO2
Les Vingt-Sept s’étaient déjà fixés comme objectif de réduire de 55% leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990 (en 2020, la baisse atteignait 31%), visant la neutralité carbone en 2050. Comme cible intermédiaire, la Commission recommande pour 2040 une baisse nette de 90% par rapport à 1990 et, donc, de maintenir le même rythme de réduction que sur la décennie 2020-2030.
C’est en deçà de la baisse « de 90-95% » préconisée par le Conseil scientifique consultatif européen sur le climat. La prochaine Commission, constituée à l’automne après les élections européennes, devra soumettre une proposition législative formelle aux États et eurodéputés, pour en débattre avant la COP30 de 2025.
Vers un second « Pacte vert » ?
Transports, renouvelables, marché du carbone… L’application des mesures déjà adoptées devrait permettre de s’approcher de l’objectif -90%, assure l’exécutif européen. Mais un certain nombre de législations se donnent 2030 pour horizon et devront être révisées. Et nombre d’ONG jugent insuffisants les mécanismes en place.
Seule certitude, plus le verdissement avancera, plus il sera douloureux en s’attaquant aux industries polluantes et aux modes de vie des ménages. D’où la nécessité selon Bruxelles d’un « Pacte vert industriel » garantissant des conditions adéquates aux entreprises, et d’un renforcement des « politiques sociales ».
Verdir sans désindustrialiser
« L’objectif -90% est la première brique d’un plan de réindustrialisation qui complète le ‘Green Deal’, avec le potentiel de ramener investissements, usines et emplois » et « mener la course dans l’industrie verte », estime Neil Makaroff, du think-tank Strategic Perspectives. Un règlement « industrie à zéro émission » actuellement négocié prévoit des assouplissements réglementaires.
Au-delà, Bruxelles évoque de futurs « instruments de transition » pour « soutenir les industries avant qu’elles ne deviennent commercialement viables » : fiscalité, coûts énergétiques, barrières réglementaires, harmonisation des standards, marchés publics… Tout en renforçant les chaînes de production et l’accès à des énergies vertes abordables.
« La décarbonation de l’industrie sidérurgique européenne nécessitera l’équivalent de la consommation actuelle d’électricité de l’Allemagne », prévient Adolfo Aiello, de la fédération de l’acier Eurofer, en s’alarmant du risque de moindre compétitivité sur le marché mondial. L’UE « doit déployer une diplomatie sur la tarification du CO2 », de concert avec sa taxe carbone aux frontières, reconnaît Bruxelles.
Énergies fossiles x Énergies renouvelables
La Commission prévoit une chute d’environ 80% des combustibles fossiles brûlés à des fins énergétiques en 2040 par rapport à 2021. Seule la sortie du charbon est programmée.
La production d’électricité devrait, elle, « être quasi-décarbonée dans la seconde moitié des années 2030 », grâce à l’essor des renouvelables, de l’hydrogène et du nucléaire, avec « une alliance industrielle » pour les petits réacteurs modulaires. Un soutien affiché à l’atome civil qui marque un changement de paradigme.
Huit ONG (WWF, Greenpeace…) avaient appelé à fixer « des dates claires » de sortie des fossiles. Sinon, « les plans de réduction d’émissions ne sont pas crédibles, c’est un vélo sans pédales », s’insurge Dominic Eagleton, de Global Witness.
Captage du CO2, un « écran de fumée » ?
Selon Bruxelles, une baisse nette de 90% reposerait sur le captage annuel en 2040 d’environ 280 millions de tonnes de CO2 dans l’industrie ou la biomasse brûlée, dont les deux tiers seraient ensuite séquestrés en sous-sol.
La Commission a présenté mardi une « stratégie de gestion du carbone », censée accompagner le verdissement dans l’énergie et l’industrie. « On ne peut aller jusqu’au ‘dernier kilomètre’ avec les renouvelables et l’hydrogène. Il s’agit d’aider les secteurs durs à décarboner : ciment, sidérurgie… Ces technologies – coûteuses – seront un outil disponible », explique Joop Hazenberg, directeur UE de CCSA, fédération du secteur du carbone. « Cette ‘stratégie’ devrait catalyser des actions et financements coordonnés », afin de « surmonter les obstacles techniques, réglementaires et économiques » pour construire un réseau européen de transport de CO2, abonde Toby Lockwood, du think-tank CleanAirTaskForce.
« Real Zero Europe », campagne réunissant quelque 140 ONG, dénonce au contraire « un écran de fumée pour poursuivre l’utilisation des fossiles » et appelle à fixer des cibles « brutes » de réduction d’émissions. « Ce n’est pas une solution miracle », avertit Camille Maury, du WWF.
Des bonnes pratiques pour l’agriculture, mais pas d’objectifs
L’agriculture représente 11% des émissions européennes (pour moitié du méthane généré par les ruminants, auquel s’ajoute le lisier des animaux et les engrais azotés). La Commission mentionne des « bonnes pratiques » pour l’absorption du CO2 dans les sols, mais sans reprendre le potentiel de baisse de 30% des émissions agricoles évoqué dans un document de travail précédent, appelant plutôt à cibler l’ensemble de la chaîne agro-alimentaire.
1 530 milliards d’euros de financements
Bruxelles évoque des besoins totaux d’investissement avoisinant 1 530 milliards d’euros annuels sur la période 2031-2050 (660 dans l’énergie, 870 dans les transports), mêlant investissements publics et fonds privés. Un montant colossal, mais à comparer avec le « coût de l’inaction » : dommages économiques dus au changement climatique et facture des importations de carburants.
(Avec AFP)
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