We Spot Turtles ! : l’application créée par Nicolas pour sauver les tortues marines

Par Charlotte Combret , le 15 novembre 2023 - 11 minutes de lecture
Une tortue verte

Une tortue verte. Crédit : Sipany / SIPA

Avec l’application mobile « We Spot Turtles ! », Nicolas Guillot s’est donné pour mission de protéger les tortues grâce à la technologie. Son projet de participation citoyenne propose à chacun de contribuer à la collecte de données scientifiques et de participer aux efforts de conservation de ces espèces marines. Il nous raconte comment il s’est jeté à l’eau.

Comment est né le projet ? 

Le projet est né dans ma tête en décembre 2009. Je suis parti avec une association qui s’appelle « Planète Urgence » qui permet aux employés de partir en congé solidaire pendant deux semaines pour des associations partout dans le monde, soit pour le côté éco volontariat soit pour aider des personnes à mettre en place des projets grâce à leurs compétences. Je suis allé en Polynésie française sur un atoll au nord de Tahiti qui s’appelle Tetiaroa. Là-bas, j’ai fait une mission de 15 jours sur le suivi des sites de ponte des tortues marines. Je travaillais avec l’association polynésienne « Te Mana O Te Moana ». Forcément, cette expérience m’a marqué. Puis quand je suis revenu, étant développeur, j’avais toujours dans un coin de ma tête d’un jour réussir à faire quelque chose pour les aider. Les années ont passé et j’ai changé d’entreprise, je me suis tourné vers le développement d’applications mobiles et je me suis dit « Peut-être que je peux faire une application mobile qui permettrait de faire le suivi des tortues ».

Nicolas Guillot, co-fondateur de We Spot Turtles !
Nicolas Guillot, co-fondateur de We Spot Turtles ! Crédit : Nicolas Guillot

En 2017, j’ai recontacté l’association « Te Mana O Te Moana » pour leur en parler. J’ai travaillé dessus en parallèle de mon travail pro et en 2022, j’ai créé mon entreprise pour faire des applications mobiles. Grâce à l’aide à la création d’entreprise de Pôle emploi, je pouvais consacrer du temps à la réalisation de ce projet pour l’offrir à l’association. C’est ce que j’ai fait et ça s’est créé comme ça. En parallèle de ça, j’ai un copain un jour qui m’envoie un imprimé écran d’une personne en Australie, Caitlin, qui était en train de faire une levée de fonds pour créer une application pour la reconnaissance des tortues marines en Australie. Je l’ai contacté en lui disant que la mienne était quasiment terminée et qu’on pouvait peut-être faire quelque chose ensemble. Voilà comment je me suis associé !

Comment se portent les tortues marines dans le monde ?

Dans l’appli, lorsque l’on clique sur chaque tortue pour avoir plus d’informations, on voit le statut de conservation. Il y a des espèces qui sont en « danger critique », « vulnérable » ou en « préoccupation mineure ». Mais parfois, c’est juste qu’il n’y a pas assez de données sur les tortues. C’est par exemple le cas de la tortue olivâtre qui est en préoccupation mineure parce qu’il n’y a pas assez de données. Quand on va sur des sites comme la Redlist qui s’occupe justement de donner des statuts de conservation à toutes les espèces du monde entier, c’est écrit. L’appli est également là pour permettre de récolter des d’informations sur certaines tortues à certains endroits du monde.

Dans quelle mesure We Spot Turtles ! contribue à renforcer les efforts de conservation des tortues ?

L’objectif, c’est de récolter des données sur les mouvements et sur les populations. Comme je le disais, il y a un gros manque de données sur certaines espèces de tortues et on peut le combler grâce à des applis qui font appel à la participation citoyenne pour en collecter davantage. C’est comme cela que ça peut aider. Notre objectif, c’est aussi d’éduquer les utilisateurs de l’appli à approcher correctement une tortue et de les sensibiliser à leur protection. C’est-à-dire à tout ce qu’il faut faire ou ne pas faire par rapport à l’activité humaine et la vie de la tortue, que ce soit en mer ou sur les plages. Avec « Te Mana », on est en contact avec le ministère de l’environnement polynésien, parce que selon les pays, il y a des règles d’approche. Par exemple, en Nouvelle-Calédonie, on n’a pas le droit d’approcher une tortue à moins de dix mètres. En Polynésie, il n’est pas autorisé de prendre des photos des tortues pour les mettre sur les réseaux sociaux. On a le droit d’en prendre à but scientifique, mais pas pour les réseaux sociaux. À chaque fois qu’il y a une prise de photo via l’application, il y a une charte qui apparaît. Pour les observations, c’est pareil. Il y a des informations pour apprendre aux gens, dans une démarche scientifique, à reconnaître mâle, femelle, etc. Le but, c’est que ça aide les espèces de tortues.

Avez-vous déjà eu des premiers retours en termes d’utilisation ou d’impact de la part des scientifiques ?

Sur l’impact, pas encore, parce qu’on n’en est pas là. J’attendais déjà des validations de leur part pour qu’ils me disent « Oui, vas- y, continue. Le projet est à sa place. On peut en avoir besoin en tant qu’outil. ». Ce qui a été le cas. Et surtout, ce qui leur a plu, c’était la forme. Parce qu’en fait, il y a déjà des applications qui existent. Elles ne sont pas exactement comme la mienne. Elles ne font pas tout du début à la fin, mais souvent, ce sont des applications qui ont été faites rapidement pour pas cher parce que les assos n’avaient pas forcément le budget. Souvent, il manque toute la partie ergonomie, expérience utilisateur. Moi, comme c’est mon métier à la base, j’ai fait attention à tout ça. C’est vrai que l’application leur paraît cohérente pour pouvoir faire des suivis. Eux, ils appellent ça des « carnets numériques de terrain » qui viendraient remplacer les carnets papier qu’ils ont actuellement. Pour l’instant, ils n’avaient pas trouvé d’outil qui leur permettait de gagner du temps là-dessus. Ils en perdaient parce que ce n’était pas ergonomique, c’était compliqué de saisir des données. Quand ils ont vu mon appli, ils se sont dit qu’elle était jolie et que ça pouvait être très pratique pour eux !

Concrètement comment ça se passe lorsque l’on veut faire une observation sur l’application ?

C’est tout simple pour saisir une observation. Il y a une liste déroulante avec le choix de l’espèce et un formulaire. Si vous ne savez pas de quelle espèce il s’agit, vous pouvez cliquer sur les photos de tortue pour avoir plus d’informations sur son nom scientifique, des informations pour identifier un petit peu sur le poids, la couleur de la carapace, ce que peut manger la tortue et son statut de conservation. Une fois que vous l’avez repérée – ou non, parce que vous pouvez aussi dire que vous avez vu une tortue dont l’espèce est inconnue, pour ne pas fausser les données – vous avez la possibilité de la nommer. Pour les photos, une nouvelle fonctionnalité va arriver : la reconnaissance de la carapace de la tortue pour reconnaître l’espèce et aussi l’individu directement depuis le téléphone. Ensuite, vous pouvez changer les coordonnées. Si jamais vous avez un petit peu plus de temps, vous pouvez par exemple indiquer le genre de la tortue (mâle, femelle), le type de lieu où vous l’avez observé (dans l’eau, sur la plage, dans un océan…), une estimation de la taille de la carapace, quelle activité elle faisait, si elle était baguée, si elle avait un transpondeur, si elle était blessée… Vous pouvez modifier la date et l’heure de l’observation et puis saisir des petits commentaires sur le lieu de l’observation et ajouter des notes.

Peut-on imaginer d’autres évolutions sur We Spot Turtles !?

Ça, c’est la version 1 de l’appli où l’on peut faire le suivi des tortues. Il y a une version 2 que je suis en train de développer en ce moment-même pour faire le suivi des nids. L’objectif, c’est d’avoir des traces. Quand une tortue monte pour pondre, elle laisse des traces de montées et de descentes sur la plage, ce qui indique, quand on est en train de faire un suivi sur le terrain, les emplacements des nids. Il y a tout un travail à faire pour noter les endroits où la tortue a potentiellement pu pondre. En fait, quand la tortue monte, elle ne va pas forcément pondre tout de suite à l’endroit où elle a commencé à creuser, parce qu’au bout d’un moment, elle se rend compte que c’est trop dur, il y a trop de corail, etc. Elle va changer de place et parfois pondre au bout de la cinquième fois. Il faut noter tous les emplacements potentiels parce qu’on ne peut pas aller vérifier qu’elle n’a pas pondu à un endroit. 

Un oeuf de tortue marine
Un oeuf de tortue marine. Crédit : Nicolas Guillot

Le suivi scientifique qui est fait actuellement, l’idée c’est aussi de pouvoir le faire avec l’appli pour les nids, les traces et d’ajouter une fonctionnalité pour notifier les émergences. Les émergences, c’est quand les bébés tortues sortent du nid et partent à la mer ou à l’océan. C’est toujours intéressant de savoir quand est-ce qu’il y a une émergence pour essayer de protéger les tortues au maximum pour que le plus grand nombre possible arrive dans l’eau. Une tortue sur 1 000 arrive à survivre jusqu’à l’âge adulte. Enfin, une autre mission sera d’intégrer la reconnaissance de tortues grâce au machine learning de l’espèce. À la place de la tortue inconnue, on aura un petit appareil photo pour justement aider à identifier l’espèce.

Nous avions mis en lumière une application lancée par l’INRAE qui propose aux citoyens de prendre en photo les rivières asséchées pour aider à les cartographier, est-ce que vous pensez que le côté « ludique » et « collaboratif » est un moyen efficace de sensibiliser les publics aux questions environnementales ?

Oui, je pense que ça passe par là. D’ailleurs, dans une ancienne version de l’appli, j’avais introduit un système de récompenses (je l’ai enlevé pour le moment parce qu’elle n’était pas optimisée), un petit peu comme dans Waze. L’idée, c’est d’offrir des récompenses virtuelles dans un profil utilisateur par rapport à « une première observation d’une tortue verte », « une première photo ». Après, j’ai conscience qu’il peut y avoir des dérives, mais je prends le côté positif des gens. Je me dis que s’il y a une « ludification » de l’appli, cela motive les gens à vraiment participer aux projets scientifiques. J’ai également remarqué que plusieurs associations allaient sur les réseaux sociaux pour télécharger toutes les images qu’elles trouvaient des tortues dans le but de compléter leur base de données scientifiques. Je me dis que si les gens sont prêts à prendre des photos et à les mettre sur leur compte Instagram, pourquoi ne passeraient-ils pas par l’appli pour en plus contribuer à un projet scientifique ? C’est un pari, mais pour moi, ça marche.

Vous qui êtes développeur, pensez-vous que la tech, si elle ne va pas nous « sauver » peut être dans une certaine mesure un outil au service de la lutte écologique et en particulier de la biodiversité ?

C’est compliqué dans le sens où il y a des choses qui ont été faites pendant longtemps sans faire attention. Moi, j’ai commencé en 2006 à développer professionnellement et c’était le cas. Maintenant, il y a des prises de conscience sur ça, notamment sur la façon de développer. Ce sont forcément des outils qui vont ingérer des ressources. C’est obligé. Mais selon moi, même si c’est critiqué, c’est avec nous. À nous d’en faire un outil qui respecte la planète au maximum, de ne pas en faire n’importe quoi, de ne pas faire ça n’importe comment. En tout cas, ça peut nous aider !

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Charlotte Combret

Issue d’une grande école de commerce, Charlotte délaisse rapidement les open spaces parisiens pour s’engager dans la voie de l’indépendance. Son désir de lier pédagogie et poésie la conduit à devenir journaliste rédactrice, dans les Landes, pour des entreprises et médias engagés. Ses passions : le cinéma animalier, les voyages en train, les lectures féministes et les jeux de mots en tout genre.

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