Capter et stocker le CO₂ en France : investissement incontournable ou promesse trompeuse ?
La France peut absorber plus de CO₂ qu’elle n’en rejette avant 2050 si elle se décide à capter le carbone dans l’air, assurent les partisans de ces technologies, très critiquées pour leur coût élevé, leur efficacité incertaine et le risque de détourner le pays de sa priorité : réduire ses émissions.
Sur une planète déjà réchauffée de 1,2°C par rapport à la fin du 19e siècle, le retard pris par le monde, dont la France, pour limiter ses émissions de gaz à effet de serre a relancé l’intérêt pour le captage direct du CO₂ dans l’air (DAC, en anglais), principale technique industrielle d’élimination du dioxyde de carbone (EDC).
Le CO₂ serait aspiré par des sortes de ventilateurs équipés de filtres, qui le fixent avec des procédés chimiques. Ce CO₂ ainsi capté doit ensuite être stocké de manière permanente, dans des réservoirs d’hydrocarbures épuisés ou dans des aquifères salins.
De tels sites existent en France, étudiés depuis longtemps mais encore jamais exploités. Jusqu’à la décision du gouvernement, qui a annoncé jeudi vouloir tester « quatre ou cinq projets de stockage de CO₂ » dès « début 2025 », en priorité dans d’anciens gisements pétroliers du sous-sol national.
Du CO₂ récupéré en sortie d’usine
Certes, ces premiers tests ne sont pas destinés au carbone capté dans l’air ambiant, mais à du CO₂ qui sera récupéré directement en sortie d’usine ou de cheminées avant qu’il ne pollue l’atmosphère, pour les industries les plus difficiles à décarboner, comme la cimenterie ou l’aciérie. Mais cette nouveauté rend moins irréaliste l’hypothèse de voir éclore en France ces grands aspirateurs de CO₂.
L’élimination du carbone par des puits naturels, comme les arbres, ou technologiques pourrait selon le Carbon Gap, un groupe d’influence partisan de ces solutions, permettre à la France d’atteindre ses objectifs de neutralité carbone, voire de devenir « nette négative », c’est-à-dire d’absorber plus que ce qu’elle n’émet.
Cela nécessite toutefois une décision politique d’investissement massive, nécessaire selon eux car les forêts et les sols français absorbent naturellement moins de CO₂ qu’espéré depuis plusieurs années.
En 2022, la séquestration naturelle n’a été que de 16,9 millions de tonnes de CO₂ équivalent (MtCO₂e), bien peu par rapport aux 41 millions prévus par la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), la feuille de route officielle. D’où l’intérêt d’ajouter des machines pour capter encore plus de CO₂.
L’étude de Carbon Gap
Pour défendre le développement de toutes les formes d’EDC en France, entravé selon eux par « des positions de méfiance et des amalgames », Carbon Gap a diligenté une étude auprès du centre de réflexion américain Rocky Mountain Institute et du cabinet E-Cube pour estimer le potentiel de l’Hexagone.
Dans un premier scénario, qualifié de « status quo », avec une meilleure gestion des écosystèmes et le stockage du CO₂ issu de la combustion de biomasse (bois…), les puits de carbone naturels et technologiques permettraient d’éliminer près de 24 MtCO₂e par an. Insuffisant pour atteindre la neutralité carbone.
Dans une deuxième hypothèse, dite de « référence », la France développerait des pratiques agricoles « plus stockantes » et se lancerait à grande échelle dans le captage direct dans l’air, atteignant « environ 76 MtCO₂e/an » d’émissions négatives.
Enfin, un scénario « ambition », « avec un investissement massif dans toutes les technologies d’EDC, est estimé à un potentiel de 146 MtCO₂e tous les ans à l’horizon 2050 », soit plus d’un tiers des émissions territoriales en 2023.
Une excuse pour lever le pied ?
Une telle quantité permettrait à la France d’éponger sa dette historique en absorbant un peu du carbone accumulé depuis des décennies de combustion du charbon, du pétrole et du gaz.
À moins qu’elle ne serve « d’excuse pour lever le pied sur la réduction des émissions », craint Anne Bringault, directrice des programmes au Réseau Action Climat.
« L’EDC ne doit pas servir à éponger les efforts qu’on n’aura pas fait pour la décarbonation », assure Sylvain Delerce, directeur de recherche associé chez Carbon Gap.
Mais si les puits de carbones naturels sont insuffisants, « il vaut mieux réduire encore plus que de compter sur ces technologies pas totalement matures », met en garde Anne Bringault.
« Il y a beaucoup de choses qu’on sait déjà faire, qui marchent et qui coûtent moins cher : isoler les logements, développer les véhicules électriques, réduire la consommation de viande, etc », souligne-t-elle.
(Avec AFP)
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