Comment le boom de l’açai menace l’Amazonie
La consommation de l’açai, une baie aux nombreuses vertus provenant du Brésil, a explosé depuis quelques années. Reportage de l’AFP sur les conséquences de l’accroissement de la demande sur les modes de production.
Par une chaleur étouffante, José Diogo grimpe sur un palmier pour cueillir une grappe de baies noires qui ressemblent à de grosses myrtilles : c’est le début de la récolte de l’açai, fruit emblématique de l’Amazonie brésilienne.
Le boom de ce fruit à la mode, prisé par des stars d’Hollywood pour ses vertus énergétiques et antioxydantes, permet de faire vivre des dizaines de petits producteurs. Mais le succès est tel que la tendance à la monoculture dans certaines zones menace la biodiversité de la plus grande forêt tropicale de la planète. José Diogo, 41 ans, vit dans une communauté afro-brésilienne quilombola, nom donné aux descendants d’esclaves fugitifs, à 120 km de Belem, capitale de l’État du Para (nord), où aura lieu en 2025 la conférence de l’ONU sur le climat, la COP 30. Situé dans la commune d’Abaetetuba, son village, Igarape Sao Joao, se trouve au bord de la rivière Itacuruça, où le sol inondé une partie de l’année est un terreau propice pour le palmier pinot, sur lequel pousse l’açai.
« Quand la cueillette débute (elle a lieu d’août à janvier), notre situation s’améliore beaucoup », explique-t-il à l’AFP, tout en égrenant les grandes grappes qui pendent près de la cime pour faire tomber les baies dans un grand panier. Dans une bonne journée, il remplit 25 paniers de 14 kg. Chacun de ses paniers peut lui rapporter jusqu’à 25 réais (environ 4,75 euros), selon le cours de l’açai. Des intermédiaires achètent ainsi les baies à sa communauté et les amènent par voie fluviale à Belem, où elles sont revendues au plus vite pour éviter qu’elles ne se gâtent. Dans le marché traditionnel Ver-o-peso, fondé en 1901, des dizaines d’hommes en sueur déchargent l’açai de leurs bateaux en pleine nuit et trouvent rapidement preneurs chez des fabricants de pulpe, de jus ou autres produits extraits de la baie. Maycon de Souza, 30 ans, empile trois paniers sur sa tête et deux autres sur son épaule droite : 70 kg au total. « En une nuit, je peux gagner 300 réais (environ 57 euros) », dit-il.
Biodiversité en danger
L’État du Para concentre plus de 90 % de la production brésilienne d’açai. Ces dernières décennies, la consommation de ce « superaliment » a explosé, bien au-delà des frontières du Brésil, dans des jus ou des sorbets hautement énergétiques.La production d’açai a longtemps été présentée comme un modèle de « bio-économie », source de revenus pour les populations locales d’Amazonie sans rogner sur la forêt. Mais des études ont montré que cette expansion est nocive pour la biodiversité, quand le palmier pinot prend la place d’autres espèces natives. « À l’état naturel, il y en a 50 à 60, voire 100 par hectare. Si on dépasse les 200, on perd 60 % de la biodiversité dans ces zones inondables », explique à l’AFP le biologiste Madson Freitas, chercheur au musée Emilio Goeldi de Belem. La monoculture est également préjudiciable pour la récolte de l’açai : la disparition de certaines plantes affecte la pollinisation par des insectes comme les abeilles, les fourmis ou les guêpes, ce qui fait chuter la production.
Trouver les bases d’une production durable
Madson Freitas, lui-même originaire d’une communauté quilombola du Para, considère qu’une production durable de l’açai est possible, à condition d’établir des règles plus strictes pour éviter la monoculture. Il préconise par ailleurs un « investissement social », par le biais de subventions, par exemple, pour encourager les petits producteurs à « préserver la forêt ». Salomao Santos, leader communautaire du village d’Igarape Sao Joao, reconnaît que la monoculture de l’açai « peut devenir problématique ». « Nous survivons grâce à l’Amazonie et l’Amazonie ne survit pas avec une seule espèce », insiste-t-il, rappelant les cycles éphémères du caoutchouc ou de la canne à sucre au début du siècle dernier en Amazonie. Salomao Santos dirige l’association Malungu, qui représente les communautés
quilombolas du Para. « Nous rendons un grand service au monde en préservant la forêt. Maintenant, nous voulons que l’Etat et tous ceux qui ont tiré profit de la sueur et du sang des esclaves paient leur dette. » Selon le dernier recensement, 1,3 million de personnes vivent dans les 3500 communautés quilombolas du Brésil.
(Avec AFP)
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