Connaissez-vous Eunice Newton Foote, la scientifique oubliée qui a découvert l’effet de serre avant tout le monde ?

Par Charlotte Combret , le 8 mars 2024 - 6 minutes de lecture
Emma Willard School, premier établissement d'enseignement supérieur pour femmes aux États-Unis dans lequel Eunice Newton Foote a étudié

Emma Willard School, 1er établissement d’enseignement supérieur pour femmes aux USA qui vit passer Eunice Newton Foote. Crédit : Artokoloro / Quint Lox / Aurimages / AFP

Eunice Newton Foote : ce nom ne vous dit probablement rien, et pourtant, cette scientifique américaine est la première à avoir mis en évidence le rôle du dioxyde de carbone (CO₂) dans le réchauffement de l’atmosphère. Passées sous silence pendant plusieurs décennies, ses découvertes ont posé les fondements de notre compréhension du climat terrestre. Chercheuse, climatologue, mais aussi militante pour le droit des femmes aux États-Unis du 19e siècle, voici l’histoire de cette pionnière de l’effet de serre, en avance sur la science de son époque. 

En 1859, le physicien irlandais John Tyndall est reconnu pour ses travaux précurseurs sur le phénomène que l’on nomme aujourd’hui « l’effet de serre ». Étrangement, à peine trois ans auparavant, une jeune chercheuse dont le nom est resté dans l’ombre pendant près de 150 ans, était arrivée à des conclusions similaires. Cette scientifique, c’est Eunice Newton Foote, une américaine de 37 ans à l’époque, dont le bagage académique a priori avancé, demeure encore un mystère.

Et l’effet de serre fût…

À partir des années 1850, Eunice Newton Foote commence à étudier l’effet du soleil sur l’air. Comme toutes les femmes de son époque, la scientifique doit mener ses recherches en amateur. Avec les moyens dont elle dispose, elle réalise une expérience artisanale, mais non moins efficace. À l’aide de quatre thermomètres et d’une pompe à air, elle isole les gaz qui composent l’atmosphère dans deux cylindres en verre et les expose aux rayons du soleil. Les yeux rivés sur le mercure, la chercheuse constate que la température augmente davantage dans les cylindres contenant de l’air humide et du CO₂ ; et qu’ils mettent, de surcroît, plus de temps à refroidir. 

Ses conclusions, Eunice Newton Foote les partage dans un article intitulé « Circonstances affectant la chaleur des rayons du soleil », publié en novembre 1856 dans l’American Journal of Science and Arts. « Une atmosphère de ce gaz (du CO₂, ndlr) donnerait à notre Terre une température élevée » conclut-elle. « Et si, comme certains le supposent, à une époque de son histoire, l’air s’y était mélangé dans une plus grande proportion qu’aujourd’hui », alors une augmentation de la température « a nécessairement dû en résulter ». En écrivant ces lignes, la chercheuse ne le sait pas, mais elle vient de théoriser pour la première fois, le réchauffement de l’atmosphère sous l’impact du CO₂. L’effet de serre.

L’article « Circumstances Affecting the Heat of the Sun's Rays » de Eunice Newton Foote dans l’American Journal of Science and Arts
L’article « Circumstances Affecting the Heat of the Sun’s Rays » de Eunice Newton Foote dans l’American Journal of Science and Arts

Des droits bafoués, une étude enterrée

Problème, nous sommes à la moitié du 19e siècle et à cette époque-là aux États-Unis et ailleurs, les droits des femmes sont loin d’être reconnus. Eunice Newton Foote l’avait bien compris. Militante pour le droit des femmes, elle est dès 1848, l’une des signataires de la Convention de Seneca Falls, la première assemblée à demander l’égalité entre les genres sur le sol américain.

Mais comme attendu, son travail est snobé par ses confrères masculins. Eunice Newton Foote n’est pas autorisée à présenter les résultats de ses recherches à la huitième réunion annuelle de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS), le grand rendez-vous scientifique de l’époque. C’est un homme, le professeur Joseph Henry, qui s’en charge. Malgré tout, ni l’article de la chercheuse, ni la présentation de son porte-parole ne furent mentionnés dans les comptes rendus de la conférence. C’est ainsi que l’étude d’Eunice Newton Foote tomba dans l’oubli pendant près d’un siècle et demi.

Plagiat ou pas plagiat ?

Il faudra attendre l’an 2011 pour que ses travaux soient reconnus par la communauté scientifique. C’est un géologue américain à la retraite, Ray Sorenson, qui remet la main dessus et décide de les partager à ses pairs. Eunice Newton Foote est alors identifiée comme pionnière dans la mise en évidence de l’effet de serre. Ses contributions ont ouvert la voie à la compréhension du changement climatique, étudié plus en profondeur par les scientifiques qui lui ont succédé. 

Une question demeure cependant. John Tyndall – ce chercheur irlandais crédité de cette découverte à l’issue de recherches plus sophistiquées – avait-il eu vent de l’étude d’Eunice Newton Foote ? On ne le saura probablement jamais. Pour certains, comme l’historien Roland Jackson, la communication entre les États-Unis et l’Europe au 19e siècle était trop hasardeuse pour assurer une réelle circulation des résultats. Pour d’autres, comme le chercheur John Perlin, le doute est largement permis dans la mesure où John Tyndall avait été l’éditeur du British Philosophical Magazine. La revue avait réédité un article d’Elisha Foote – le mari d’Eunice Newton Foote – initialement paru dans l’American Journal of Science and Arts aux côtés du fameux papier de la chercheuse. Mais ce dernier n’avait pas été imprimé dans le magazine britannique…

Dans l’histoire de la science du climat 

Ceci étant, en 2020, l’AAAS reconnaît publiquement les recherches d’Eunice Newton Foote. Évincée des livres et des mémoires, la scientifique continue de se frayer difficilement une place posthume dans l’histoire de la science du climat. Son épopée malheureuse nous raconte qu’en 1856 sonnaient déjà les premières alertes du dérèglement climatique, et qu’elles étaient lancées par une femme.

Sans remettre en question les travaux avancés de ses successeurs, l’invisibilisation dont a fait les frais Eunice Newton Foote – et d’autres chercheuses avant et après elle – trouve des résonances dans le monde scientifique, encore aujourd’hui. 150 ans plus tard, son nom commence à sortir de l’ombre quand deux centres de recherche, un astéroïde, une montagne du Nevada et un cratère d’impact sur Mars portent depuis longtemps le nom de John Tyndall.

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Charlotte Combret

Issue d’une grande école de commerce, Charlotte délaisse rapidement les open spaces parisiens pour s’engager dans la voie de l’indépendance. Son désir de lier pédagogie et poésie la conduit à devenir journaliste rédactrice, dans les Landes, pour des entreprises et médias engagés. Ses passions : le cinéma animalier, les voyages en train, les lectures féministes et les jeux de mots en tout genre.

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