COP28 : un sommet pour le climat présidé par un baron du pétrole à Dubaï, une vaste fumisterie ?

Par Charlotte Combret , le 25 octobre 2023 - 8 minutes de lecture
Sultan Al Jaber, président désigné de la COP28

Sultan Al Jaber, président désigné de la COP28. Crédit : Kamran Jebreili/AP/SIPA

Dans un peu plus d’un mois démarrera la 28e conférence de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur le climat à Dubaï, en terre pétrolière. À peine masqué, l’or noir s’invite à la table des négociations et éclabousse un sommet pourtant décisif pour l’avenir de la planète. 

On pourrait croire à un article parodique du Gorafi, il n’en est rien. La 28e édition de la COP (Conférence des parties) sur les changements climatiques se déroulera du 30 novembre au 12 décembre à Dubaï, aux Emirats Arabes Unis. Un lieu de rendez-vous pour le moins déroutant quand on sait que le pays du Golfe est le septième extracteur mondial de pétrole et le cinquième plus gros émetteur de CO2 de la planète, avec un total mortifère de 20,4 tonnes enregistré en 2022. D’après le Guardian, pas moins de 30 % de son PIB est directement imputable aux combustibles fossiles et Abou Dhabi prévoit même d’augmenter sa production de barils de 25 % d’ici à 2027. « Il est clair que le pays vit « par et pour » le pétrole, et y organiser une conférence des Nations unies sur le climat est non seulement absurde, mais dangereux » dénonçait un collectif de 180 responsables d’entreprises engagées pour l’environnement dans une tribune publiée dans Le Monde, le 30 septembre 2023.

Le PDG d’un grand groupe pétrolier pour Président

Le 12 janvier dernier, une annonce suscite colère et incompréhension chez les experts et défenseurs du climat. Sultan Al Jaber, « envoyé spécial pour le changement climatique » des Emirats, mais aussi ministre de l’Industrie et PDG d’Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC), la principale compagnie pétrolière du pays, est nommé Président de la COP28. C’est la toute première fois que le patron d’une entreprise, a fortiori une entreprise pétrolière, se voit attribuer une telle responsabilité. Le magnat de l’or noir de 49 ans sera chargé de superviser les négociations internationales entre les 196 pays signataires de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques, en vue de trouver des solutions communes pour lutter contre le dérèglement en cours. 

Pour beaucoup, c’est le mythe du pompier pyromane qui devient réalité. « La crise climatique demande d’agir de manière urgente et concrète, la nomination du dirigeant du géant pétrolier d’Etat ADNOC comme président de la COP28 équivaut à nommer le PDG d’un groupe de tabac pour superviser une conférence sur les anticancéreux », déplore Zeina Khalil Hajj, responsable de campagne de l’ONG 350.org. Alors que la responsabilité des énergies fossiles dans la crise climatique n’est plus à démontrer, la communauté internationale compte sur le PDG d’un groupe qui en fait son business pour décider de s’en sevrer ? Cherchez l’erreur.  

« La nomination de Sultan Ahmed al-Jaber à la présidence de la COP 28 constitue un conflit d’intérêts scandaleux », dénonce Harjeet Singh, expert mondial des impacts climatiques et membre de l’organisation Climate Action Network International. « La menace constante des lobbyistes des combustibles fossiles lors des négociations climatiques de l’ONU a toujours affaibli les résultats de la conférence sur le climat, mais cette situation atteint un autre niveau dangereux et sans précédent » ajoute-t-il. Une position partagée par 130 élus étasuniens et européens qui ont exigé la démission du futur chef d’orchestre émirati, dans une lettre ouverte publiée en mai dernier, restée sans réponse. 

Un sommet gangrené par les lobbies pétroliers

Si le sacre de Sultan Al Jaber déroute, il n’en reste pas moins la face émergée de l’iceberg. Depuis plusieurs années, les lobbyistes des énergies carbonées infiltrent les conférences de l’ONU. En 2022 en Egypte, près de 636 représentants des hydrocarbures avaient inondé la COP27 et influencé les débats à coups d’éléments de langage couleur ébène. La stratégie s’était avérée payante puisque les lobbyistes bruns avaient réussi à renvoyer aux oubliettes toute mesure concrète.

Cette année encore, la présence grandissante des lobbies des énergies fossiles se fait sentir du côté d’Abou Dhabi. Début août, l’ONU fait une annonce pour tenter de l’endiguer : la liste des participants aux COP sera désormais intégralement rendue publique. « Cette décision de l’ONU est une première étape pour protéger les discussions climatiques les plus importantes du monde de l’influence toxique des gros pollueurs » concède Alice Harrison de l’ONG Global Witness. « Cependant nos investigations montrent que des délégués liés aux énergies fossiles vont continuer à rentrer à la COP par la grande porte effrontément » souligne-t-elle.

C’est peu de le dire. D’après une enquête du Centre for Climate Reporting révélée par Ouest-France en février 2023, les lobbyistes parasitent également le raout international de l’intérieur. Toutes deux présidées par le même homme, la COP28 serait sans surprise, sous la coupe de l’ADNOC. La compagnie pétrolière nationale a fait entrer une douzaine de ses salariés, au moins, dans la délégation en charge de l’organisation de la conférence. Deux d’entre eux agiront notamment en tant que négociateurs au nom des Émirats Arabes Unis. 

Date de sortie des énergies fossiles : inconnue

En matière de lobbying, le petit pays du Golfe n’en est pas à son coup d’essai. En novembre 2022, une enquête du Guardian nous apprenait qu’il avait embauché des agences de relations publiques pour promouvoir son rôle d’organisateur du sommet, plus d’un an avant que celui-ci ne commence. « Les Émirats Arabes Unis ont profité de leur rôle d’hôte de la prochaine conférence des Nations unies sur le climat pour blanchir leur réputation internationale » pouvait-on lire. 

Mais au-delà du nuage de fumée, que propose concrètement Abou Dhabi ? À un mois seulement de la COP28, la réponse reste toujours en suspens, en dépit de la pression grandissante pour ajouter la sortie des hydrocarbures à l’agenda. « La réduction des énergies fossiles est inévitable », a déclaré Sultan al-Jaber le 8 juin dernier, lors d’une réception à Bonn en marge de négociations. « La vitesse à laquelle cela se produira dépendra de la rapidité avec laquelle nous pourrons mettre en place progressivement des solutions de remplacement sans carbone, tout en garantissant la sécurité, l’accessibilité et le coût abordable de l’énergie », a-t-il ensuite tempéré.

Un propos vague qui ne fixe aucun horizon pour l’abandon collectif du charbon, du pétrole et du gaz. « Je n’ai pas de baguette magique, je ne veux pas inventer des dates qui ne sont pas justifiées » se défend-il. À ce jour, aucune COP n’est parvenue à adopter cet objectif et il y a visiblement peu de chances que la 28e édition déroge à la règle.

La COP la plus importante depuis 2015

« L’ère des énergies fossiles touche à sa fin. Nous n’avons pas mis fin à l’esclavage parce qu’on manquait d’esclaves. De la même façon, on doit aller vers la fin de l’ère des fossiles avant d’être à court de pétrole », a réagi Mohamed Adow, directeur de l’ONG Power Shift Africa, face à l’inertie dont fait preuve le Président controversé de la COP28.

Il faut dire que le temps presse. Dans son nouveau rapport annuel publié le 24 octobre, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) alerte, encore et encore. « Malgré la croissance impressionnante des énergies propres » telle qu’observée dans les politiques actuelles, les émissions de gaz à effet de serre resteraient « suffisamment importantes » pour faire grimper les températures moyennes mondiales d’environ 2,4° au cours de ce siècle. 

Dans ce contexte alarmant, Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations unies, considère cette COP comme la plus importante depuis celle qui a débouché sur l’accord de Paris en 2015. Elle dressera d’ailleurs un premier bilan mondial qui s’annonce loin d’être réjouissant. Il y a de cela quelques semaines, c’est lui-même qui avait annoncé que l’humanité, addict aux énergies fossiles, avait « ouvert les portes de l’enfer ». Que se passera-t-il si « le diable » s’empare de la clé ?

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Charlotte Combret

Issue d’une grande école de commerce, Charlotte délaisse rapidement les open spaces parisiens pour s’engager dans la voie de l’indépendance. Son désir de lier pédagogie et poésie la conduit à devenir journaliste rédactrice, dans les Landes, pour des entreprises et médias engagés. Ses passions : le cinéma animalier, les voyages en train, les lectures féministes et les jeux de mots en tout genre.

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