Estelle le Touzé, grand-mère et militante écologiste : « Toutes les générations sont concernées »

Par Charlotte Combret , le 8 décembre 2023 - 11 minutes de lecture
Distribution des commandes du groupement de consommateurs

À droite, Estelle le Touzé participe à la distribution des commandes du groupement de consommateurs. Crédit : Nanterre en transition

À 78 ans, Estelle le Touzé est une grand-mère à l’engagement affirmé et l’énergie communicative. Présidente des associations « Grands-parents pour le climat France » et « Nanterre en transition », elle milite en faveur d’un monde juste, inclusif et durable. Si les générations sont souvent opposées, pour cette ancienne élue, l’écologie est l’affaire de tous. Loin de l’image des « boomers » qui leur est parfois attribuée, les aînés peuvent être de véritables alliés pour les jeunes dans la lutte environnementale. Point d’ancrage commun pour avancer main dans la main notamment : l’action locale, concrète. Elle nous explique.

Estelle le Touzé, présidente des associations « Grands-parents pour le climat » et « Nanterre en transition »
Estelle le Touzé, présidente des associations « Grands-parents pour le climat France » et « Nanterre en transition ». Crédit : Estelle le Touzé

En tant que grand-mère, mais aussi être humain, quel est votre rapport à l’écologie ?

J’ai pris conscience de la question il y a de cela un petit bout de temps, quand j’étais élue. J’étais conseillère municipale de ma ville dans une formation de gauche. Il y avait pour la première fois au Conseil municipal un petit groupe d’élus écologistes. Moi, j’étais plus sur les problématiques sociales et j’entendais, notamment deux des maires adjoints, mettre en avant un certain nombre de problèmes écologiques qui existaient déjà dans la ville et dire « il faut absolument apporter des réponses ». Un des gros sujets qui était mis en avant, c’était la place de la voiture. Quand je dis la place de la voiture, c’était dans tous ses aspects, mais il se trouvait que le président du groupe écologiste était un médecin. Il avait aussi un discours de santé qu’on appellera plus tard « santé environnementale ». Je me dis « oui, il a raison, cet homme ». Évidemment, à l’époque, en 95, on prenait plutôt le vélo. 

Au fur et à mesure, je me suis intéressée non seulement à ce que ce petit groupe racontait, mais j’ai aussi essayé de voir en quoi cela rejoignait le domaine qui était le mien, en l’occurrence l’action sociale. Puis j’ai commencé à lire et à prendre la mesure des grandes questions qui allaient se développer et être rendues visibles auprès du grand public, notamment à travers les COP, mais pas que. Ce sont des moments importants qui ont jalonné – et qui continuent de jalonner – la prise de conscience qu’en effet : un, on est sur une planète qui n’a pas des ressources infinies. Deux, c’est peut-être un peu illusoire de penser à court ou moyen terme, ou à quelques générations près, qu’on va trouver une solution sur une planète miraculeuse qui va remplacer la Terre. Trois, il faut se poser la question de comment on fait tous les uns les autres, y compris moi, dans cette affaire. À type personnel, je peux faire quoi ? C’était un peu ça le cheminement.

Un conflit intergénérationnel est souvent dépeint dans les médias et ailleurs, avec d’un côté les jeunes qui seraient engagés et responsabilisés et d’un autre les seniors qui ne seraient pas concernés et tenus pour responsables. Qu’en pensez-vous ? 

Bien sûr que ça, c’est une simplification. En réalité, toutes les générations sont concernées. Nous, en tant que vieux, nous sommes bien évidemment concernés aujourd’hui : les grandes vagues de chaleur qu’il y a eues, entre autres, et les décès qui s’en sont suivis, les problèmes respiratoires, etc. À titre personnel, les personnes de mon âge et même un peu plus jeunes se rendent compte que tout le monde est concerné. On n’est pas plus idiot ! Sur les 20 % des plus de 65 ans que nous représentons en France et d’ailleurs même en Europe – même si en Europe c’est un peu plus – un grand nombre de ces personnes, dont je fais partie, ont pleinement conscience qu’il y a une situation grave sur laquelle elles vont devoir agir elles aussi. C’est l’action que nous menons avec l’association « Grands-parents pour le climat France ». Sans se substituer aux jeunes, l’idée est de faire avec eux.

De même, sauf exception, le mode de consommation, voire d’ultra-consommation, est hélas assez bien réparti à travers les catégories d’âge, comme les modes de prise de conscience et les soucis d’économie de ressources. Tout ça, de notre point de vue, c’est un faux problème. En masse, je veux dire, et non individuellement. Individuellement, nous avons du boulot pour convaincre nos générations qui n’ont pas forcément conscience de ça et qui ont peur aussi !

Par quoi passent les actions de sensibilisation que vous menez avec « Grands-parents pour le climat » ? Quel est le message adressé aux aînés ?

C’est faire des propositions, expliquer déjà nous-mêmes en quoi notre mode de vie a bougé depuis les années 90. Qu’est-ce qu’aujourd’hui on hésite à faire, ou on ne fait plus, ou on ne fait pas, ou on fait autrement, etc. Sans que ça nous coûte, sans qu’on ait le sentiment que notre vie n’est plus intéressante à vivre. Si, elle est intéressante à vivre ! Et d’être aussi, d’une certaine manière, un exemple. On n’est pas des gens tristounets dans notre existence, même si on est vieux. La question est : comment on fait, nous, là où on est, ici et maintenant, pour donner envie aux autres : un, de prendre conscience, deux, de trouver des réponses qui sont partageables et qui ne mettent pas en péril nos vies ? Parce qu’on n’est pas que des consommateurs qui passent leur vie à dépenser des sous pour accumuler des objets ou faire appel à des services dont on peut peut-être se passer !

Vous êtes grand-mère mais aussi Nanterrienne. Votre engagement est en partie ancré sur votre territoire, vous qui présidez également l’association « Nanterre en transition ». L’action locale est-elle un levier pertinent pour unir les générations autour des enjeux écologiques ?

Absolument. Parce qu’on ne discute plus, on agit. Et on se parle tout à fait autrement. C’est ça l’intérêt. Je suis dans l’action concrète, effectivement. Il me semble que c’est le local qui est une réponse pertinente. Encore une fois, nous n’avons plus vocation à exercer un pouvoir qui rayonnerait potentiellement sur toute la planète. Donc à ce moment-là, si l’on veut être convaincant, il faut être là où l’on est, en faisant l’effort de connaître ce territoire. Parce que c’est pas aussi évident que ça, il y a des efforts à produire et de la connaissance à travailler. Mais oui, c’est ici et maintenant.

Est-ce que vous avez observé une sorte d’effervescence intergénérationnelle autour d’un projet commun comme celui de La Ferme du Bonheur, par exemple ?

Alors la Ferme du bonheur, par exemple, les plus âgés, sauf exception, ne sont pas trop présents. Ils ne sont pas trop présents parce que c’est un lieu qui est un lieu culturel, un lieu d’art aussi. Et dans les milieux d’art d’aujourd’hui, c’est assez logique que l’on retrouve plutôt des générations plus jeunes que les nôtres. Alors, on est, nous, un certain nombre à y être présents, à être même actifs pour soutenir, défendre. Mais quand il y a des manifestations, hélas, y compris physiquement, on n’est plus trop en capacité de le faire. Bien sûr, c’est un projet qui a su toucher les publics, mais ce n’était plus une affaire de génération, mais plutôt d’intérêt à la question de la place de la culture, des arts, de l’agriculture aussi, entre parenthèses, et de tout ce qui se fabriquait dans ce qui est en fait un tiers-lieu fondamental. D’ailleurs, c’est la ferme qui a servi de référence à l’époque au secrétaire d’État qui avait lancé le concept de tiers-lieu. Il s’était appuyé sur l’existence de la ferme. Le tiers-lieu, par définition, c’est un lieu où il se passe plein de choses, qui attire et qui met en mouvement toutes les générations.

Entraide, solidarité, convivialité, confiance, créativité sont autant de valeurs que vous prônez et auxquelles vous donnez corps avec le développement d’AMAP, de cafés des bricoleurs, de ciné-débats, de trocantes. Au-delà de construire collectivement un modèle de vivre ensemble plus vertueux, est-ce que ce n’est pas aussi un moyen de redonner une place aux retraités qui peuvent parfois être mis de côté et de tout simplement recréer du lien social ? 

Absolument. Ce n’est même pas de redonner une place, de « se » redonner une place. C’est beaucoup plus intéressant que d’attendre qu’une quelconque institution dise « Franchement, les vieux, vous êtes vachement utiles, venez nous voir ». C’est aussi un mouvement, on ne va pas le refuser, mais oui, absolument. Encore une fois, 20% de plus de 65 ans dans notre population, ce n’est quand même pas rien. On va peut-être mettre de côté les 5% des personnes qui, indépendamment de l’âge d’ailleurs, ne sont plus en capacité de pouvoir être acteurs avec les autres. Ça en fait du monde quand même. 20% c’est le cinquième de la population ! Il y a de la compétence disponible, il y a du désir de participer disponible, il y a de l’intérêt aux autres. Bref, il y a tout ça. Donc c’est sûr que ça vaut la peine de mobiliser ou en tout cas de créer des lieux qui font que des gens vont venir nous rejoindre.

Le café des bricoleurs
Le café des bricoleurs. Crédit : Nanterre en transition

Je vous donne un exemple. Il n’y a pas très longtemps, dans une régie de quartier qui fait partie de notre réseau, on a organisé un atelier cuisine avec un IME, un Institut Médico-Éducatif qui accueille des adolescents handicapés psychiques, qui est juste à côté. On avait dans ce lieu des gens de tous âges. Donc ces jeunes gens, des anciens, des jeunes. Évidemment, comme ça se faisait en semaine, on n’avait pas les personnes qui travaillaient dans les horaires qui sont encore classiquement des horaires de boulot. N’empêche qu’on avait une belle palette !

Si vous deviez en quelques mots décrire le monde d’après – ou à plus petite échelle la ville d’après – que vous souhaiteriez laisser à vos petits-enfants, mais aussi à tous les enfants, quel serait-il ? 

C’est presque l’objet de l’association « Grands-parents pour le climat », c’est de faire en sorte que nous laissions d’abord une terre – parce qu’il n’y a pas que la ville – mais une terre avec toute son organisation humaine et avec une place reconnue enfin à la nature dans son acception large, hommes, bêtes et plantes, etc, végétaux, qui leur permettent de vivre en étant vraiment en conscience de la beauté de ce monde, même s’il a aussi des côtés terrifiants. En ce moment, en Islande, la beauté de ce monde, le Lagon Bleu est très perturbé par la probabilité d’une éruption d’un volcan qui est quasiment en dessous. Ce monde est, de toute façon, fondamentalement dangereux.

Chaque humain est dans la finitude, on n’est pas éternel. Mais en prenant en compte toutes ces dimensions, on doit pouvoir mener une vie d’homme, de femme, la plus épanouissante qui soit. Et pour ça, il faut qu’on ait un environnement physique, entre autres, mais pas seulement. Il faut que nous aidions à faire en sorte que les humains comprennent que vivre avec l’autre, c’est essentiel. Ça touche y compris la question de l’immigration, tous les grands enjeux qu’on peut retrouver pour le coup dans la démarche des fameux 17 objectifs de développement durable qui, pour nous, d’ailleurs, sert de fil conducteur qu’on questionne régulièrement en se disant : « Où sommes-nous ? Et ce qu’on fait, comment on peut le faire encore autrement, mieux et plus avec les autres ? »

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Charlotte Combret

Issue d’une grande école de commerce, Charlotte délaisse rapidement les open spaces parisiens pour s’engager dans la voie de l’indépendance. Son désir de lier pédagogie et poésie la conduit à devenir journaliste rédactrice, dans les Landes, pour des entreprises et médias engagés. Ses passions : le cinéma animalier, les voyages en train, les lectures féministes et les jeux de mots en tout genre.

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