Evaneos arrête les séjours de moins de cinq jours en avion

Par Anne-Lise Lecointre-Baladi , le 21 février 2024 - 14 minutes de lecture
Crédit photo : Evaneos

Crédit photo : Evaneos

Depuis cette année 2024, dans un souci de limiter son empreinte carbone, Evaneos ne propose plus de séjours de moins de cinq jours nécessitant de prendre l’avion. Une étape symbolique pour ce pionnier du voyage écoresponsable, qui nous a poussé à vouloir les rencontrer. En interview, Marion Phillips, directrice durabilité chez Evaneos, nous explique, avec conviction et passion, les stratégies, les défis et les solutions que l’entreprise entend mettre en place pour offrir une expérience de voyage plus authentique et durable.

Pouvez-vous nous rappeler le positionnement d’Evaneos par rapport aux autres voyagistes et ses valeurs clefs ?

Evaneos est une entreprise française qui fête ses 15 ans cette année. Elle a été créée par des passionnés de voyage (ndlr : Éric La Bonnardière et Yvan Wibaux) qui ont constaté un enjeu majeur de répartition plus juste de la valeur au niveau local dans l’industrie touristique. L’idée est de favoriser le circuit court du voyage, en rendant possible la connexion directe entre les voyageurs et plus de 600 agences locales sélectionnées selon des critères exigeants et engagés. Cette approche permet de contourner les intermédiaires traditionnels du tourisme. En général, les tour-opérateurs fonctionnent en B to B to C, passant par des acteurs locaux invisibilisés pour le voyageur. Evaneos rétablit cette connexion et favorise une répartition plus équitable de la valeur, avec un modèle dans lequel plus de 85 % de la valeur du voyage revient réellement à l’économie locale.

C’est important de replacer ce contexte, car il arrive souvent que l’on associe le voyage responsable à la proximité, sans nécessairement prendre en compte le comportement éthique des acteurs locaux. Des questions telles que le respect des droits humains et des conditions animales sont cruciales dans la réflexion sur le tourisme durable. Bien entendu, le transport international représente 75 % de l’empreinte carbone des voyages Evaneos, mais il reste un quart de l’impact qui se produit à destination. Il est donc crucial de veiller à la protection de l’environnement dans les lieux visités, de promouvoir un tourisme plus vertueux et de soutenir la préservation de la biodiversité et de la culture locales.

Ces temps-ci, on parle beaucoup du prisme climatique et carbone, et heureusement parce qu’il faut absolument l’adresser, mais cela peut être dangereux de tomber dans un travers où l’on ne regarde plus que ça et on ne regarde pas les aspects sociaux et la protection de la biodiversité.

Les partenaires avec lesquels vous travaillez en local signent donc une charte qui respecte des critères déterminés ?

Tout à fait. Nous avons un code de conduite pour les agences qui rejoignent notre réseau. À partir du moment où elles rejoignent le réseau, elles acceptent de suivre des standards minimums, et ensuite nous avons une démarche de progression continue. Nous voulons vraiment maximiser les impacts positifs et minimiser les impacts négatifs.

Vous avez fait ce choix fort de supprimer l’avion pour les offres de court séjour. Expliquez-nous.

Dans notre démarche, nous savons que l’empreinte environnementale liée au transport international est essentielle et nous ne pouvons pas simplement dire que nous maximisons l’impact positif dans les destinations et détourner le regard en ce qui concerne le transport. Nous avons donc réellement une démarche pour calculer notre empreinte carbone dans son ensemble, y compris dans le scope du transport, même si ce ne sont pas nos agences locales qui le vendent, car évidemment, les voyageurs utilisent un mode de transport pour se rendre dans les destinations. Nous calculons nos impacts. L’année dernière, nous avons publié notre bilan carbone dans notre premier rapport d’impact, ce qui a été une grande étape en matière de transparence. L’idée est, maintenant que nous savons cela, de se demander ce que nous devons faire pour avoir une trajectoire durable pour la suite et comment aborder ce sujet de l’empreinte carbone du voyage.

Cette décision sur les courts séjours est considérée comme une première étape en termes de cohérence et d’exemplarité. Nous ne pouvons pas parler de tourisme responsable et proposer sur notre site des courts séjours de 2 à 3 jours pour se rendre à Stockholm en avion. De plus, cela n’est pas cohérent avec notre vision du voyage, qui consiste à s’imprégner de la destination et à aller à la rencontre des personnes localement. En termes de cohérence, il est nécessaire d’aligner notre offre sur le site. Il était donc important pour nous d’accélérer sur ce point et de proposer d’autres séjours courts qui sont accessibles en train.

Crédit : Evaneos

L’année dernière, nous avons lancé notre hub avec des voyages uniquement accessibles en train. Dans notre stratégie pour cette année, nous voulons vraiment développer cela. Pour nous, c’est vraiment une étape importante mais aussi symbolique pour aller plus loin dans la suite.

Depuis quand préparez-vous cette offre ? Des destinations ont-elles été abandonnées ?

Les changements consistent surtout à avoir voulu retravailler avec nos agences les offres des séjours courts pour nous assurer de les prolonger. Cela a été une question de se dire que sur tel itinéraire (Portugal, Maroc), on pourrait peut-être ajouter quelques jours au voyage pour lui donner plus de sens, en explorant les alentours de la ville ou une seconde ville.

Aussi dans nos messages auprès de nos voyageurs et de nos voyageuses quand on inspire au voyage, on a vraiment changé notre approche. Quand nous savons que les voyageurs ne peuvent partir qu’une semaine, nous ne leur proposons pas d’aller en Australie. Nous adaptons notre manière d’inspirer et de susciter l’envie du voyage en montrant qu’il y a des activités très sympas à faire à côté aussi, qu’il y a des modes de transports qui sont différents, qui prennent un peu plus de temps mais qui sont hyper attirants pour donner une autre vision du voyage et changer l’imaginaire.

Le train pâtit d’une mauvaise image (long, inconfortable). Quels sont vos contre-arguments pour séduire les voyageurs et est-ce que votre catalogue est voué à s’intensifier avec le développement de nouveaux arrivants sur le marché tels que Midnight Trains ?

Oui, le catalogue est voué à s’intensifier. Nous suivons de près les ouvertures de lignes. Par exemple, nous avons beaucoup échangé avec Midnight Trains parce que c’est le type d’offres que nous recherchons. Leur modèle consiste à montrer que le train peut être super cool, donc l’idée est vraiment d’élargir cette offre. Il y a aussi des destinations pour lesquelles nous n’avons pas d’agences ou pas assez d’agences, donc nous allons sourcer de nouvelles agences locales dans les destinations proches. De plus, nous aidons nos agences locales à proposer des itinéraires qui débutent dans une ville où il y a une gare.

Après, pour convaincre les voyageurs et les voyageuses, il faut parler de plus en plus de slow travel, de prendre le temps et de montrer que c’est aussi une aventure de choisir un autre mode de transport. L’avantage du train, c’est la multi-destination. Concrètement, si un voyageur est prêt à aller en Norvège en train, il y a peu de chances qu’il y aille directement, donc pourquoi ne pas s’arrêter à d’autres endroits en chemin et nous, concrètement, comment pouvons-nous aider à proposer un voyage qui tire également profit de ces étapes. C’est notre objectif de nous développer là-dessus, car nous sommes spécialistes du voyage sur mesure, authentique et responsable.

Pour l’instant, ce n’est pas simple à mettre en place, car le train est compliqué à réserver, et puis les annulations peuvent mettre tout le voyage en péril. Nous devons proposer des solutions pour cela.

Pour aller plus loin, que proposez-vous aux voyageurs pour rendre le voyage plus responsable sur place ?

Ce matin, j’étais en réunion avec notre équipe qui est très impliquée dans une offre de destinations bas carbone. Au sein des destinations, nous examinons comment accroître la part de nos itinéraires qui n’impliquent pas de vols domestiques et qui privilégient plutôt le train, le trekking, le vélo, etc. Il y a de nombreuses possibilités et nous nous fixons des objectifs, comme par exemple faire en sorte qu’au moins toutes nos agences engagées aient un itinéraire bas carbone.

Sans pour autant tomber dans le piège de ne proposer que des itinéraires bas carbone, car ce que nous voulons aussi, c’est opérer un changement sur toute notre offre, même pour les itinéraires qui ne sont pas parfaits du point de vue environnemental. Par exemple, pour les itinéraires qui incluent une location de voiture, comment pouvons-nous travailler avec les agences pour réduire les distances parcourues ? Plutôt que de proposer une semaine de voyage, nous encourageons les voyageurs à opter pour 10 jours de voyage et à privilégier une région spécifique, en prenant le temps de découvrir les lieux alentours. L’hébergement est également un aspect crucial du voyage responsable sur place, donc comment pouvons-nous encourager le choix d’hébergements plus durables, ainsi que des pratiques alimentaires responsables ?

Nous travaillons depuis des années avec nos agences sur ces certifications. Elles ont pris l’habitude de mesurer leur empreinte écologique, d’identifier les activités ayant le plus d’impact, que ce soit positif ou négatif, et de trouver des solutions pour l’ajuster.

En ce qui concerne les infrastructures, nous sommes tributaires à la fois des transports internationaux et des transports locaux. De plus, le mix énergétique du pays visité peut également avoir un impact important, et c’est aussi un aspect que nous prenons en compte.

En termes de tarifs, vos fourchettes de prix évoluent-elles en raison de ces changements ?

Comme nous ne vendons pas le transport international, cela n’a pas d’impact. Nous restons sur le même ordre de prix. Pour les voyages et les itinéraires sur place, l’idée est de proposer différents types de tarifs également.

Malheureusement, sur le transport international, le train reste souvent plus cher que l’avion. En revanche, pour les activités sur place, ce n’est pas parce que c’est moins émetteur que c’est plus cher. Il y a beaucoup de possibilités.

Avec cette offre, espérez-vous convertir vos clients actuels ou attirer une nouvelle clientèle ?

Les deux. De manière générale, de plus en plus de personnes souhaitent consommer de manière plus responsable et réfléchissent donc à leur façon de voyager. Associer Evaneos à l’entreprise vers laquelle se tourner pour organiser un voyage plus durable est notre objectif. Je pense que nous sommes de plus en plus associés à ce type de voyage, ce qui nous permet également d’attirer de nouvelles personnes.

Cependant, il faut reconnaître qu’il y a aussi beaucoup de personnes qui ne se soucient pas de leur empreinte et des impacts. Neuf voyageurs sur dix déclarent vouloir avoir un impact positif pendant leur voyage. C’est un chiffre en augmentation qui a triplé par rapport à 2011, où nous avions déjà posé la question. Le déclaratif est là. Cependant, cela ne signifie pas forcément qu’ils vont opter pour des options plus coûteuses si elles leur sont proposées. Il y a aussi beaucoup de gens qui veulent simplement voyager, sans se poser trop de questions. En tant qu’entreprise responsable, certifiée B Corp et certifiée Travelife dans le tourisme responsable, c’est notre rôle d’essayer de changer les mentalités. Nous avons un travail de pédagogie à mettre en place sur les propositions de destination. Nous avons un outil de recommandation de destination où les clients saisissent leurs critères (combien de temps ils ont, ce qu’ils aiment faire) et où nous leur proposons des options proches, avec un petit texte explicatif (privilégier plutôt une destination proche, si possible accessible en train), de manière non culpabilisante. Nous essayons d’intégrer ces éléments de pédagogie dans nos communications, nos parcours, nos publicités, notre CRM, nos newsletters, car c’est très important pour nous.

Les destinations de sur-tourisme sont beaucoup décriées. Est-ce aussi un élément sur lequel vous portez une attention particulière en vous disant que vous allez peut-être petit à petit les enlever de notre catalogue, ou tout au moins veiller à la répartition du flux de touristes ?

Complètement. La réponse qu’on apporte au surtourisme c’est la répartition des flux. On sait qu’il y a certains endroits à certains moments de l’année où il faut éviter de rajouter des touristes donc on commence à se poser la question : est-ce qu’on doit nous-mêmes se poser des quotas ou des seuils maximums de voyageurs qu’on va envoyer dans certaines destinations à certaines périodes. L’avantage, c’est que comme on travaille dans un réseau de plus de 600 agences et qu’on est présent dans plus de 170 destinations, on peut aussi quand les voyageurs arrivent sur notre site, proposer différentes choses : des destinations alternatives auxquelles les gens n’ont pas forcément pensé.

Il y a aussi la question de quand : le hors-saison, mettre en avant le fait que si vous voulez partir dans les Cyclades en juillet ou en août, il va y avoir beaucoup de monde, ça ne va pas forcément être très plaisant pour vous. Et en plus, ce n’est vraiment pas bien pour la destination non plus, donc il y a les deux aspects.

Enfin, une agence spécialisée sur place va être intéressante car même si quelqu’un veut aller dans une destination où il y a beaucoup de monde, le fait de travailler avec un acteur local va lui permettre de l’orienter en lui disant que tel lieu, il vaut mieux y aller en fin de journée car les bus sont partis ou, au contraire, le matin faire l’itinéraire à l’envers car tous les tours opérateurs font comme ça, ou bien il y a tel temple Maya qui est beaucoup moins connu mais qui est hyper intéressant et où il n’y a personne. Ça c’est la connaissance de l’acteur local qui peut permettre au sein de la destination d’aller choisir des lieux alternatifs. On travaille beaucoup avec nos agences dans cette idée de proposer des activités ou des lieux alternatifs.

Comment mesurez-vous votre impact ? Vous avez un label, un acteur indépendant qui vous accompagne ?

Nous-mêmes, on est certifié B-Corp et Travel Life. Avec nos agences locales, on a d’une part un index qu’on a créé nous-mêmes qui est le Better Trip Index pour promouvoir des voyages qui sont mieux pour la planète et pour les voyageurs qu’on a lancé il y a deux ans et demi ; là, on lui donne une nouvelle vie avec l’envie d’aller plus loin. L’idée, c’est de dire à nos agences qu’il y a différents metrics pour pouvoir leur faire un retour sur l’alignement qu’elles ont, qu’on perçoit et qu’on mesure entre ce qu’elles délivrent et notre promesse de voyager mieux. Et il y a une dimension qui est vraiment liée à l’impact où l’on regarde si ces agences sont engagées dans une démarche de certification, si elles ont obtenu une certification. Il y a aussi une dimension sur la satisfaction (rapport relation client), et une partie sur la performance. En fonction, les agences vont être soit star, soit A ou B. On veut savoir où elles se situent et on leur donne les étapes d’après pour s’améliorer. Sur la partie impact, on a vraiment fait le choix de s’appuyer sur des certifications externes parce que, d’une part on ne peut pas auditer nos 600 agences, et d’autre part cela a beaucoup de valeur d’avoir une reconnaissance externe d’un organisme de certification reconnu et indépendant. Il y a toute une série de certifications qui existent qui sont très pertinent et suivent des recommandations très précises.

Que peut-on vous souhaiter pour 2024 ?

Je dirais d’être vraiment identifié comme la plateforme du voyage plus authentique et responsable dans l’ensemble.

Anne-Lise Lecointre-Baladi

Rédactrice en chef Deklic

Voir les publications de l'auteur