Le nucléaire en avant, un silence assourdissant sur les renouvelables : le projet de la nouvelle loi française pour l’énergie déçoit !

Par Anne-Lise Lecointre-Baladi , le 9 janvier 2024 - 5 minutes de lecture
Assemblée Nationale, Palais Bourbon. Crédit MASTAR/SIPA

Assemblée Nationale, Palais Bourbon. Crédit MASTAR/SIPA


Ouch ! Cela suscite des réactions mitigées. Le récent projet de loi énergétique en France met en avant le développement du nucléaire tout en évitant de fixer des objectifs chiffrés pour l’énergie solaire et éolienne. Ce choix est critiqué comme une régression juridique et démocratique par plusieurs experts et acteurs du secteur.

Ce projet « relatif à la souveraineté énergétique » du pays doit arriver en Conseil des ministres fin janvier-début février, avant de partir au Parlement.

Le texte « conforte le choix durable du recours à l’énergie nucléaire », « vise à maintenir une puissance installée d’au moins 63 gigawatts (GW) » et la construction de « réacteurs, avec l’objectif d’au moins 9,9 GW » engagés d’ici à 2026 et 13 GW supplémentaires au-delà.
Rien de chiffré en revanche sur les renouvelables électriques, éolien et solaire notamment, sauf dans les Outre-Mer.

Ces objectifs feront l’objet d’un décret d’ici l’été, répond le ministère de la Transition énergétique : « Il est faux de dire qu’il n’y a pas d’objectif de renouvelables ».

Mais jusqu’ici, les cibles chiffrées pour chaque énergie dans la consommation finale figuraient dans le Code de l’énergie. Or le nouveau projet, dans son article 1, supprime cette inscription.  

« C’est une terrible régression », estime Arnaud Gossement, avocat spécialiste du droit de l’environnement, rappelant que, dans une loi de 2019, le Parlement avait exprimé sa volonté de débattre du chiffrage des ambitions par type d’énergie.
« Si vous chiffrez seulement le nucléaire, vous ne connaissez pas la part des ENR (énergies renouvelables, ndlr). Résultat, c’est priorité au nucléaire et, en fonction des besoins restant à couvrir, les ENR feront l’objet de décrets flottants. Ce n’est plus un mix ! », commente le juriste.

Atteindre la neutralité carbone

Si la France veut atteindre en 2050 la neutralité carbone face au réchauffement climatique, il lui faudra déployer massivement les renouvelables, ont montré de nombreux rapports, notamment du gestionnaire du réseau RTE. Aujourd’hui, l’atome fournit environ 70 % de l’électricité en France, mais les besoins sont appelés à croître pour remplacer en partie les énergies fossiles.

Après des années d’hésitations, le Parlement a voté en 2023 deux lois pour accélérer dans le nucléaire et les renouvelables.

Le gouvernement a, en novembre, avancé de premiers chiffres : 18 GW d’éolien marin en 2035 (soit une trentaine de parcs), doublement du rythme annuel de déploiement du photovoltaïque (75 GW en 2035), maintien du rythme pour l’éolien terrestre pour un doublement des capacités en 2035 (40 GW).

Mais aujourd’hui, Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables, se dit « sidéré ». « Cela fait des mois qu’on travaille ensemble et là on découvre un texte de loi contraire à l’esprit de la stratégie écrite jusqu’ici, qui nous explique que l’avenir énergétique de la France, c’est le nucléaire. Les objectifs ENR ont disparu, plus rien ! » Selon lui, sur fond de majorité relative à l’Assemblée, « le gouvernement a peut-être considéré qu’il fallait écrire un texte ‘pouvant être voté’ (…), faire adopter un texte prime sur son contenu ».Mais la décision est lourde de conséquences, alerte-t-il.

« Il faut un débat national », plaide M. Nyssen. « Un décret, pas validé par le Parlement, ça n’a pas la même force ! C’est un signal désastreux à l’égard des porteurs de projets européens de gigafactories de panneaux solaires ou de turbines éoliennes… »

Mauvais signal

Ce projet « mobilise un seul levier », regrette aussi Michel Gioria, de France Renouvelables. Il appelle le gouvernement à « le rééquilibrer, avec un message clair à l’égard des parlementaires qui est : sortez de vos postures et organisez la mobilisation de toutes les filières pour sortir des énergies fossiles. »
Dans ce projet, il n’y a pas « la méthode permettant de délivrer ces moyens de production décarbonés », nucléaire ou renouvelable, observe le député LR Raphaël Schellenberger, résolument pro-nucléaire mais pas opposé aux renouvelables.

Derrière ce sujet, pointe aussi un enjeu européen. L’UE a fixé à au moins 42,5 % la part d’énergies renouvelables à atteindre dans la consommation énergétique de l’Union d’ici 2030, ce que la France devrait à un moment donné transposer dans ses textes. On peut imaginer que la France, qui vante son mix électrique décarboné avec le nucléaire, souhaite renégocier sa contribution après les élections européennes de juin, suggère M. Gossement pour expliquer cet « oubli » législatif.
Interrogé, le ministère n’a pas répondu dans l’immédiat sur ce point.

(Avec AFP)

A lire aussi :

Énergies renouvelables ou nucléaire : quels investissements privilégier pour sauver le climat, selon Greenpeace ?

Greenpeace pointe le manque d’ambition de la France en matière d’énergies renouvelables

Anne-Lise Lecointre-Baladi

Rédactrice en chef Deklic

Voir les publications de l'auteur