Les Pyrénées-Orientales historiquement asséchées, la pluie se fait attendre depuis près de deux ans
« Catastrophique », « alarmant », « historique », « inédit »… Dans les Pyrénées-Orientales, il n’y a guère que les épithètes qui pleuvent. Le département le plus au sud de la France continentale est à sec depuis près de deux ans, un record.
En cette mi-décembre, le soleil rasant de la fin d’après-midi rougit les plants de vigne, recroquevillés face aux assauts de la tramontane et ceux, plus insidieux, de l’absence chronique d’eau. Passant entre les ceps, Marc Chabanol inspecte, inquiet, les branches qui ont à peine poussé cette année, faute d’être irriguées. « Là, c’est parti, mais c’est mort, ça a séché », commente-t-il l’air sombre, en montrant une brindille à peine plus longue que sa main. Depuis deux ans, cet arboriculteur et vigneron de 26 ans se bat pour sauver de la sécheresse la vigne et les abricotiers qu’il cultive avec son père Dominique à Espira-de-l’Agly, au nord-ouest de Perpignan.
Pas de pluie en Méditerranée
Pourtant, il pleut ailleurs, et pas qu’un peu. « Depuis le milieu du mois d’octobre, la France est arrosée copieusement », décrit à l’AFP Simon Mittelberger, climatologue à Météo France. À une exception près : le pourtour méditerranéen.
Dans les Pyrénées-Orientales, la sécheresse dure depuis 2021, rappelle-t-il. Après un déficit « historique » de pluie l’an dernier, 2023 devrait être à peine mieux rincée. Deux années exceptionnellement sèches d’affilée pour ce département, c’est du jamais vu. La terre est totalement desséchée. « En plein mois de février 2023, les sols avaient un degré d’humidité comparable à celui d’un mois d’août », se souvient M. Mittelberger. Aujourd’hui, ils sont aussi arides qu’à la fin de l’été.
Restrictions, sacrifices, incertitudes
Les mesures de restriction sur l’usage de l’eau, en vigueur depuis le printemps 2022, ont encore été renforcées et prolongées jusqu’au 1er février. Contraint à la rationner, Marc Chabanol a dû faire des choix. Sur six hectares d’abricots, il n’en a arrosé que trois. Le reste n’a donné aucun fruit, et certaines parcelles ont été sacrifiées. « Sur une petite exploitation comme la nôtre, c’est une énorme perte », soupire-t-il.
Le pire, c’est l’incertitude. Les arbres restants, déjà malmenés, survivront-ils à de nouvelles privations ? « Pour l’année prochaine, ça ne présage rien de bon, parce qu’il ne pleut toujours pas », lâche l’arboriculteur aux larges épaules un peu voûtées par le souci.
Les nappes « n’en peuvent plus »
L’absence de pluie est en partie due à la géographie. Si les précipitations viennent de l’ouest, elles sont bloquées par le massif des Pyrénées. Mais le dérèglement climatique joue aussi un rôle. Sur le pourtour méditerranéen, « on s’attend à une baisse des précipitations dans le contexte du changement climatique », prévient le climatologue Simon Mittelberger.
L’hydrogéologue Henri Got, 84 ans et petites lunettes cerclées sur le nez, regarde le lac de Villeneuve-de-la-Raho, retenue destinée principalement à l’usage agricole, vidée aux deux tiers par la sécheresse. La situation des nappes phréatiques du département est « catastrophique », grimace-t-il. « Elles n’en peuvent plus. (…) Je ne sais pas comment on va attaquer l’été. »
Derrière lui, se dresse le pic du Canigou. Sommet emblématique du département, il assume un rôle de château d’eau en restituant au compte-gouttes, à l’arrivée du printemps et de l’été, l’eau de la fonte des neiges. Sa cime, hélas, n’est pour l’instant qu’à peine blanchie.
« L’ère de l’eau gratuite est terminée »
À 25 kilomètres de là, un pont de la commune de Rivesaltes enjambe la rivière Agly… ou ce qu’il en reste. Le cours d’eau est à sec depuis le printemps. Se tenant au milieu de son lit, Eric Le Balier, militant écologiste d’Alternatiba 66, énumère des solutions. Il faut s’adapter, réaliser des « économies d’eau drastiques à tous les niveaux », dit-il. « On ne peut plus se permettre de remplir sa piscine, de laver sa voiture tous les quatre matins. »
« L’ère de l’eau gratuite est terminée », abonde Henri Got, qui appelle à un changement « radical » des pratiques. Les deux hommes citent l’exemple de Barcelone, sœur catalane de Perpignan, qui multiplie les initiatives : réutilisation des eaux usées pour l’agriculture, usine de dessalement de l’eau de mer, importation d’eau douce depuis le Rhône par tanker… Autant d’idées qu’il faudra bien se résoudre à envisager de ce côté des Pyrénées.
Au crépuscule, les troncs des abricotiers tronçonnés de Marc Chabanol se dressent, hirsutes. Certains refusent de mourir : s’y accrochent des pousses vertes qui pourraient passer l’hiver si la pluie daignait tomber.
(Avec AFP)
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