Paysages de France : l’association qui s’attaque aux panneaux publicitaires et espère réformer le code de l’environnement
Depuis sa création, l’association Paysages de France, connue pour son « prix de la France moche », traque les atteintes visuelles au sein des communes françaises et a réussi à infliger plus d’une centaine de condamnations à l’État pour inaction. Nous avons eu le privilège d’échanger avec Jean-Marie Delalande, son vice-président. Il nous partage les motivations initiales, les succès et les défis de l’association, qui à l’aube de 2024 reste déterminée à renforcer son impact.
Quelles ont été les motivations initiales qui ont conduit à la création de l’association Paysages de France et comment a-t-elle évolué depuis sa fondation ?
L’association a été créée suite à l’observation de la dégradation des paysages français par un groupe d’amis dont certains avaient vécu à l’étranger et jugeaient la comparaison peu flatteuse pour la France.
Au début, l’association se contentait d’envoyer des lettres plutôt « gentilles» aux autorités pour exiger le respect de la loi mais, faute de résultats, elle a dû se résoudre rapidement à poursuivre les préfets devant la justice.
À ce jour, l’État a été condamné plus de cent fois pour l’inaction de ses préfets ou leur refus de faire appliquer le code de l’environnement.
Combien comptez-vous d’adhérents ?
Environ 1 200 dont une bonne partie en Isère, Grenoble étant le siège historique.
Comptez-vous des ambassadeurs parmi des personnalités publiques ?
Non, aucun.
En proposant le « prix de la Franche moche », quel impact espérez-vous avoir sur la sensibilisation du public et sur les autorités locales concernant la dégradation visuelle des paysages ?
Le « prix de la France moche » met en évidence une atteinte aux paysages dans un lieu particulier qui, à lui seul, ne peut pas être représentatif de la commune.
Ces prix ont permis au public d’ouvrir les yeux sur des lieux souvent délaissés comme les zones commerciales ; ils ont pu prendre conscience de la dégradation majeure des paysages dans ces lieux, souvent en faisant une comparaison avec ceux qu’ils fréquentent tous les jours (« Ah, oui, c’est aussi comme ça dans ma ville »).
D’autres problématiques ont pu être soulevées, comme la non-application du Code de l’environnement, permettant ainsi au grand public de prendre connaissance de certaines règles de base régissant l’affichage publicitaire et les enseignes.
Enfin, les élus, qui se voilent souvent la face devant ces cloaques publicitaires, ont dû se rendre à l’évidence : il est possible d’agir, soit en demandant au préfet d’agir (à partir du 1er janvier 2024, ce seront les maires qui prendront le relais), soit en instaurant un règlement local de publicité plus contraignant que le Code de l’environnement.
Comment l’association collabore-t-elle avec les municipalités et les autorités pour promouvoir des politiques visant à préserver et améliorer l’esthétique des paysages ?
Notre action auprès des collectivités comporte deux volets :
– la demande du respect des lois et décrets régissant l’affichage publicitaire : constitution de dossiers d’infraction de la part d’adhérents, demande à l’autorité compétente de faire disparaître ou régulariser les dispositifs en infraction, éventuellement action en justice si le refus est constitué.
– participation à la concertation relative aux projets de règlements locaux de publicité (plus de 300 règlements suivis par l’association dans les cinq dernières années).
Pouvez-vous partager des exemples de succès ou de collaborations fructueuses avec des acteurs locaux pour lutter contre la dégradation des paysages ?
Nos principaux succès sont les condamnations de l’État pour son inaction, puisqu’elles sont toujours suivies d’injonctions aux préfets pour faire cesser les infractions, ce qu’ils se résolvent à faire alors. L’un des exemples le plus marquants est sans aucun doute celui de la Haute-Corse : l’association a fait condamner l’État six fois en dix ans, et a réussi à obtenir environ 600 démontages de panneaux en infraction. Ce département était truffé de panneaux scellés au sol de 12 m², y compris hors agglomération. À ce jour, ils ont quasiment tous disparu sur le département (sauf à Bastia, seule agglomération permettant leur installation).
On parle peu de la hausse des affichages lumineux qui, en plus de nuire au paysage, sont encore plus polluants que les affichages classiques. Qu’en pensez-vous ?
Les panneaux lumineux, surtout les numériques, créent une pollution visuelle majeure, ainsi qu’un gaspillage énergétique qui n’est plus de mise actuellement. Nos demandes répétées lors de l’élaboration des RLP visent à interdire ces dispositifs, ce que certaines communes ont fait (Lons-le-Saunier, Grand Lyon, Romorantin…).
Avez-vous des actions ciblées prévues pour ce type d’affichages ?
Nous lançons, dans un collectif de dix associations, une opération « Zéro watt pour la pub » visant à faire interdire toute publicité lumineuse dans le Code de l’environnement.
Pouvez-vous détailler quelques-unes des actions concrètes entreprises par l’association en 2023 pour lutter contre la dégradation des paysages ?
Cinquante-huit communes ont vu leur « paysage publicitaire » modifié entre novembre 2022 et octobre 2023 avec le démontage de dispositifs en infraction, suite aux demandes effectuées par Paysages de France.
Parmi les démontages les plus impressionnants, une immense enseigne Carrefour et, à proximité, un grand totem McDonald’s dans les environs de Perpignan. Les deux dispositifs étaient en place depuis plus de 10 ans et il aura fallu 15 mois pour les faire disparaître.
Ajoutons à cela cinq condamnations de l’État pour 2023 :
– Dans le dossier Furiani (Haute-Corse), l’appel de la ministre pour faire annuler la condamnation du préfet a été rejeté.
– Même punition en Gironde, avec un nouveau rejet d’un appel ministériel qui souhaitait donc… la non-application du Code de l’environnement.
– Dans le Tarn-et-Garonne, concernant des infractions « constatées à Bruniquel et Nègrepelisse, l’absence d’action répressive de la préfète a permis le maintien de dispositifs de publicité qui, implantés illégalement, contribuent à la dégradation des paysages », a confirmé le jugement du tribunal administratif de Toulouse.
– Le préfet des Hautes-Alpes, quant à lui, n’a jamais répondu aux demandes de l’association, laissant prospérer une quarantaine d’enseignes et publicités dans le PNR du Queyras. Il a été sanctionné par le TA de Marseille.
– Enfin, à Biguglia (Haute-Corse), l’action bien tardive — et partielle — du préfet concernant 65 dispositifs en infraction lui a valu d’être condamné par le tribunal de Bastia.
Y-a-t’il en Europe ou ailleurs un modèle dont la France devrait s’inspirer ?
Peut-être celui de certains pays nordiques… Mais la première chose à faire pour la France, c’est de faire respecter le Code de l’environnement ou les règlements locaux de publicité. Et là, il y aura fort à faire avec le transfert systématique du pouvoir de police des préfets vers les maires au 1er janvier 2024. Le maire, de par sa proximité avec les afficheurs et annonceurs ne sera pas du tout enclin à faire appliquer la réglementation. Pour les communes les plus petites, ils seront incapables d’agir (manque de personnel formé à cette tâche), autres priorités…
Ensuite, une révision du Code de l’environnement s’impose, avec une réduction drastique de la place accordée à la publicité extérieure.
Dans le contexte des défis actuels liés à l’environnement, comment l’association envisage-t-elle de renforcer son impact en 2024 et au-delà ?
En poursuivant son plaidoyer constant pour une réforme positive du Code de l’environnement et en exerçant une pression sur les élus qui résistent à l’application des règles qu’ils ont souvent établies à travers les règlements locaux de publicité.
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