Perturbations des comportements des animaux sauvages : sommes-nous coupables ?
« Attaques » d’orques en Espagne, de loutres aux Etats-Unis, de tigres en Inde… Partout dans le monde, les animaux sauvages semblent affirmer leur présence auprès des êtres humains. Les changements de comportements de ce monde insaisissable interrogent et les têtes d’affiche sont rapidement inculpées. Et si c’était plutôt, de la légitime défense ?
Un monde sauvage désorienté
Avec le dérèglement climatique, la planète bleue se transforme. Des changements bien visibles se déroulent déjà sous nos yeux et modifient le paysage. Si l’on sait déjà à quel point cette crise va affecter notre façon d’habiter le monde, « nous » les êtres humains, chez les animaux sauvages, c’est un peu plus compliqué à évaluer. La communauté scientifique constate que les conséquences à grande échelle du changement climatique sur le comportement des espèces varient en fonction des caractéristiques biologiques et écologiques propres à chacune. Ce qui est sûr, c’est qu’elles affectent particulièrement la migration, la reproduction, l’alimentation et la distribution géographique.
Une étude menée par un groupe de chercheurs de l’université d’Helsinki en 2021 fait le point sur ce sujet. En s’appuyant sur la littérature existante, les scientifiques étudient cinq domaines comportementaux en lien avec des modifications de l’environnement : l’agression, l’exploration, l’activité, l’audace et la sociabilité. Si le premier est plus palpable car plus relayé, c’est un autre bouleversement qui est le plus marqué chez les 100 espèces animales analysées. « Nous avons constaté le plus gros changement au niveau de leur propension à explorer leur environnement », explique Petri Niemalä, l’un des chercheurs à l’origine de cette étude. Si la question du « pourquoi » reste encore à élucider, la corrélation entre changement climatique et changement des comportements animaux semble « très nette » pour toute l’équipe. Il pourrait en outre s’agir d’une première réponse des organismes au changement, en amont d’une adaptation génétique.
Des habitats transformés
Augmentation des températures de l’air et de l’eau, canicules, sécheresses, fontes des glaces… Un triste cocktail qui perturbe les milieux naturels et avec eux, la faune sauvage. Si bien que l’étude finlandaise nous apprend, par exemple, que l’envol du mercure est susceptible de modifier la phénologie des espèces d’oiseaux, en augmentant la concurrence et l’agression interspécifiques pendant les saisons de reproduction. Sous l’océan, les querelles semblent également s’intensifier en silence. Une augmentation de l’agressivité des poissons pourrait être associée au réchauffement et à la baisse des niveaux de l’eau causée par des épisodes de sécheresse.
Le monde sauvage voit non seulement son habitat se modifier, mais aussi se réduire. Des territoires dont il a foulé le sol depuis parfois des milliers d’années deviennent inhabitables. Le réchauffement affecte notamment les ressources en nourriture et en eau des animaux. Certaines espèces se voient contraintes de migrer en dehors de leurs cycles habituels, modifiant sur leur passage les écosystèmes avoisinants. Guidées par leur instinct de survie, et à défaut de n’avoir d’autres choix, certaines d’entre elles infiltrent des espaces occupés par leur plus grand prédateur : Homo sapiens. On connait le risque que ce genre de rencontres comporte.
Des comportements encore inexpliqués
Si l’on associe logiquement « modification des habitats naturels » et « modification du comportement » des animaux, certains phénomènes observés restent encore une énigme et laissent place à de nombreuses théories. C’est le cas des orques de la péninsule ibérique, qui auraient une dent contre les embarcations humaines. Dans la soirée du 22 mai, le voilier de Sébastien Destremau, ancien marin du Vendée Globe a par exemple été pris pour cible par un groupe de cétacés noir et blanc. Sa mésaventure n’est pas un cas isolé. 197 interactions de ce genre ont été recensées en 2021 et ce chiffre passe à 207 en 2022. Le mode opératoire est souvent identique : les épaulards encerclent le navire, le chahutent et brisent le safran.
Si les images impressionnent, attention à ne pas prêter aux animaux des intentions qu’ils n’ont pas, au risque de tomber dans de l’anthropomorphisme. Dans la nature, les animaux n’attaquent pas gratuitement pas plus qu’ils ne se vengent, mais se défendent s’ils se sentent menacés. Dans les cas des orques ibériques, dont l’étrange comportement a parfois été associé à un épisode traumatique vécu par l’une d’entre elles avec un bateau, il s’agirait non pas d’une « attaque » mais bel et bien d’un jeu. Largement relayés, ces récits participent à la diabolisation des mammifères marins et, en les exposant à des représailles humaines guidées par la peur, les mettent directement en danger. Une question peut alors se poser. Si nous nous pensons automatiquement victimes de comportements animaliers perçus comme dérangeants, ne serions-nous pas d’abord bourreaux ?