Plan Ecophyto : agriculteurs bio et scientifiques dénoncent sa « mise en pause »
À l’appel de la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab), près de 200 agriculteurs bio ont manifesté près de l’Assemblée nationale, mercredi 7 février, contre « la régression environnementale » du gouvernement. Au même moment, des chercheurs s’inquiètent, dans une tribune publiée dans « Le Monde », de la mise en pause du plan Ecophyto annoncée le 1er février par le Premier ministre Gabriel Attal.
« Bio et local, c’est l’idéal » et pourtant « la bio abandonnée ». Après la mobilisation massive de la France agricole, à laquelle ils ont participé pour réclamer un revenu décent et défendre une production locale de qualité, ces agriculteurs sont venus dire leur « mal-être » et une « colère » intacte face au gouvernement, a constaté une journaliste de l’AFP. Adrien Tanneau, producteur de lait bio dans le Finistère, estime que son mode de production sort « grand perdant » de la crise qui a éclaté en janvier, avec aucune annonce d’envergure pour la filière bio.
Pire, les manifestants dénoncent une « marche arrière » sur les normes environnementales, pour eux totalement contradictoire avec l’ambition pourtant affichée par l’Etat d’une transition agro-écologique. Au premier rang de leurs inquiétudes, la « mise en pause » du plan Ecophyto, qui vise à réduire de moitié l’usage des pesticides d’ici 2030 par rapport à la période 2015-2017.
« La régression environnementale, pour nous, ça va être l’invisibilisation de l’agriculture biologique, parce que jusqu’à présent, c’était ça la vraie alternative », a déclaré Philippe Camburet, président de la Fnab. Faute de soutien, il redoute la « déconversion » de fermes bio qui « vont repartir en agriculture conventionnelle, réutiliser des pesticides et des engrais de synthèse ».
Déconsidération des services écosystémiques rendus
La fédération est indignée par l’annonce d’une enveloppe d’aide de 50 millions d’euros : une somme « totalement dérisoire » qui ne « correspond qu’à quelques euros par ferme », estime Alan Testard, maraîcher en Ille-et-Vilaine. Les organisations agricoles ont chiffré à « 271 millions d’euros » le montant nécessaire « pour compenser les pertes du secteur de l’agriculture biologique en 2024 », selon un communiqué distribué lors de la manifestation.
La Fnab réclame également une aide de 145 euros par hectare et par an pour valoriser l’impact positif des agriculteurs bio sur l’environnement. « Ce serait une bonne valorisation des services écosystémiques que l’on rend, parce que ce qu’on fait en cultivant en bio, c’est préserver notre capital nourricier dans notre sol, notamment en luttant contre l’érosion » et en préservant la biodiversité, avance Noémie Calais, éleveuse de porcs noirs dans le Gers.
« L’environnement, c’est comme tout, ça devrait se payer. On entretient notre territoire de façon plus propre, tout ça, ça a des coûts. Si l’on veut être concurrentiel, il va falloir qu’un jour, le service public nous aide » conclut Adrien Tanneau.
« Nous, chercheurs et chercheuses, dénonçons une mise au placard des connaissances scientifiques »
Des inquiétudes grandissantes, partagées par de nombreux représentants de la communauté scientifique. Dans les colonnes du « Monde » le même jour, des chercheurs et chercheuses dénoncent eux aussi la mise en pause du plan Ecophyto, « symptomatique du traitement disjoint des enjeux agricoles et environnementaux ». « Nos expertises scientifiques collectives ont démontré l’ampleur des impacts des pesticides sur la santé humaine et l’environnement, et mis en évidence des alternatives agroécologiques capables de répondre aux enjeux environnementaux tout en préservant la production agricole » soulignent-ils.
La contamination des milieux (sols, eau, air) même éloignés des zones d’application, le développement de maladies et troubles chez les personnes exposées, l’effondrement de la biodiversité (des insectes et des oiseaux, notamment) sont autant de conséquences dramatiques imputées à l’utilisation des pesticides. En parallèle, « des solutions existent pour protéger les cultures autrement » rappellent-ils. « Semer des mélanges variétaux, cultiver plusieurs espèces dans un même champ, allonger les rotations ou encore pratiquer l’agroforesterie ». Mais leur mise en place nécessite celle « d’une politique multisectorielle d’envergure et de long terme, en faveur d’une agriculture économiquement viable et respectueuse de la santé et de l’environnement ».
Alors qu’agriculture et écologie sont souvent mises en opposition, d’après les scientifiques, l’objectif de réduction de l’usage de pesticides est atteignable sans alimenter ce clivage. « Sans nier les imperfections du plan Ecophyto, nous estimons que sa mise en pause est un signal à l’encontre de cet objectif. Le moment n’est-il pas opportun pour construire des politiques publiques audacieuses appuyées sur les connaissances scientifiques ? » concluent-ils. Avis aux décideurs.
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