Qu’est-ce que le plan Ecophyto mis « en pause » par le gouvernement en réponse à la colère des agriculteurs ?

Par Anaïs Hollard , le 2 février 2024 - 6 minutes de lecture
Tracteur et champ de blé

© GILE Michel/SIPA

Si la suspension du plan Ecophyto, annoncée jeudi par le Premier ministre Gabriel Attal pour calmer la colère des agriculteurs mobilisés, a suscité un concert de critiques du côté des écologistes et des ONG environnementales, de quoi est-il exactement question ?

Une réduction de 50 % des pesticides d’ici 2025

Ce jeudi 1er février, lors d’une conférence de presse, le Premier ministre, Gabriel Attal, a annoncé une nouvelle série de mesures pour tenter de mettre un terme à la grogne des agriculteurs. Parmi celles-ci, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a notamment annoncé la « mise en pause » du plan Ecophyto.
Le plan Écophyto fait partie du projet agroécologique français et vise – entre autres – à réduire progressivement l’usage des pesticides de 50 % sur le territoire d’ici à 2025 et (en théorie) à soutenir l’arrêt du glyphosate à venir. Concrètement, selon ce plan lancé en 2009 à la suite du Grenelle de l’Environnement, le Pays doit produire mieux en réduisant la dépendance des exploitations aux produits de protection des plantes. Il a évolué à plusieurs reprises depuis sa mise en place. Une première fois en Écophyto II en 2016, les objectifs fixés n’étant pas atteints, puis en Écophyto II+ en 2018. Le plan Écophyto II+ intègre au précédent le plan de sortie du glyphosate et réaffirme l’objectif de réduction de 50 % du recours aux produits phytopharmaceutiques sous 10 ans. Conformément aux obligations européennes, ce plan doit permettre de développer une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable. Parmi les objectifs attendus on compte : 

🚜 L’accélération du retrait des substances les plus préoccupantes et un accompagnement en faveur de la sortie du glyphosate

🚜 Un soutien accru à la recherche et à l’innovation en matière solutions d’alternatives ainsi que sur les risques et les impacts des produits phytopharmaceutiques

🚜 Un accompagnement des agriculteurs dans la transition, etc.

Sous le gouvernement d’Élisabeth Borne, l’État avait par ailleurs mis pas moins de 250 millions d’euros sur la table pour 2024 et des crédits dédiés en faveur du projet. Le tout dernier plan, Écophyto 2 +, élaboré en concertation avec des représentants du monde agricole, des chercheurs et des associations, devait être présenté début 2024. C’était donc sans compter le récent moratoire instauré par Gabriel Attal.

Le plan Ecophyto : le résultat d’une politique indigente ?

Ce plan ambitieux a toutefois présenté un succès on ne peut plus mitigé depuis sa mise en place, plus de 10 ans auparavant. En 2023, une commission parlementaire, chargée de se pencher sur la politique de réduction d’usage des pesticides en France, a d’ailleurs acté l’échec d’Écophyto. Dans son rapport rendu le 17 décembre 2023, elle dresse un constat sans appel. « Globalement, nous observons que les indicateurs sont au même niveau qu’en 2009. Les seules avancées sont liées au retrait des molécules les plus dangereuses ». Plus grave encore, la Commission pointe des perspectives on ne peut plus alarmantes : « Nous savons […] que le dérèglement climatique accélérera la pression des bioagresseurs, alors même que nous observons une baisse d’efficacité des solutions chimiques ».
Non seulement, le plan mis en place n’a pas porté ses fruits, mais la situation pourrait bel et bien s’aggraver dans les années à venir. Pourtant, l’actuel gouvernement de Gabriel Attal n’hésite pas aujourd’hui à lever purement et simplement ce dernier rempart à l’usage accru des pesticides. Ce vendredi, la porte-parole du gouvernement, Prisca Thevenot, a justifié la mise « en pause » du plan Ecophyto par la volonté de sortir de l’écologie « punitive ». Parlant des critiques formulées par les différentes ONG environnementales et les écologistes, elle s’est par ailleurs « étonnée d’entendre cette petite musique », critiquant en retour les plans successifs mis en place depuis 2009 qui « ont été inefficaces » car « ils ne proposaient aucune solution pour accompagner les agriculteurs ».

Pourtant, si l’on se penche du côté des conclusions rendues l’an dernier par la Commission d’enquête, les origines de cet échec pourraient être davantage imputables à la gouvernance qu’aux mesures elles-mêmes. En effet, le rapport « pose le constat de l’échec du pilotage interministériel et de l’incapacité à articuler les 71 millions d’euros du plan Ecophyto avec les 643 millions d’euros consacrés à l’agroécologie et, plus encore, avec les 16 milliards d’euros des concours publics à l’agriculture (aides aux agriculteurs et aides fiscales) ». Rappelant au passage qu’ « entre 2019 et 2023, le Conseil d’orientation stratégique (COS) du plan Ecophyto ne s’est pas réuni une seule fois au niveau politique. [La Commission a] constaté le caractère clairement indigent du portage interministériel, en raison, d’une part, d’un manque d’investissement des différents ministres concernés et d’un manque d’impulsion de la part de Matignon ; d’autre part, du fait de l’absence de pilotage opérationnel de cette politique, faute de responsable identifié ». Pour résumer, l’appareil politique semble tout bonnement s’être délesté des questions liées à l’usage accru des pesticides et au soutien apporté aux agriculteurs face au nécessaire virage du développement durable.

Sortir de l’écologie punitive ?

D’après Prisca Thevenot, le gouvernement « travaille en ce moment sur le plan Ecophyto 2030 […] mais souhaite se poser un mois de plus pour faire en sorte qu’il soit parfaitement compris, dans le cadre d’un accompagnement et pas d’une punition », a-t-elle ajouté. « Nous devons sortir de l’écologie punitive pour être dans une écologie des solutions », a insisté la porte-parole du gouvernement, soulignant que « les premiers à vouloir en finir avec ces produits, parce qu’ils en sont les premières victimes, ce sont les agriculteurs eux-mêmes ». « Il faut pouvoir les accompagner, c’est pour ça aussi que nous investissons massivement pour trouver des solutions alternatives », a-t-elle poursuivi, affirmant que l’exécutif « continue à avoir des ambitions pour l’écologie, mais cette écologie doit être dans le concret des réalités ». Après plus d’une dizaine d’années gouvernées par une politique écologique et agricole « indigente », la réponse de l’État étonne davantage que la réaction des ONG environnementales. En effet, face à l’échec cuisant de la mise en œuvre de ses résolutions – faute de véritable investissement de la part des décisionnaires – l’État fait donc aujourd’hui le choix de la mise « en pause » desdites résolutions.

Anaïs Hollard

Captivée par les sujets liés à l’énergie, Anaïs a longtemps collaboré avec de grands acteurs du secteur, avant de choisir la voie de l’indépendance, en tant que journaliste web. Aujourd’hui, elle continue de délivrer son expertise en matière d’énergie et de transition écologique. Ses passions : la lecture, l’écriture (forcément) et les DIY créatifs !

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