Polynésie française : l’alerte d’un surfeur face à l’ombre des JO 2024

Par Charlotte Combret , le 20 octobre 2023 - 5 minutes de lecture
Matahi Drollet surfe une vague à Teahupo'o à Tahiti en août 2023

Matahi Drollet surfe une vague à Teahupo’o à Tahiti en août 2023. Crédit : Martin bureau / AFP

Quel est le coût économique et écologique prêt à être payé pour que vive un événement sportif d’une si grande envergure que les Jeux olympiques de Paris 2024 ? La question se pose du côté de la Polynésie française alors que le lagon de Teahupo’o, riche d’une grande biodiversité marine, est menacé par la construction d’une nouvelle infrastructure. Matahi Drollet, surfeur professionnel originaire de l’île de Tahiti, lance un appel à l’aide.

« Je fais cette vidéo parce que j’ai besoin de votre aide » commence le champion de surf local, Matahi Drollet, dans une vidéo publiée le 18 octobre sur son compte Instagram. Dimanche dernier, il a manifesté aux côtés de plus de 500 Polynésiens, planche de surf sous le bras, avant de prendre la parole en ligne. Cette bouteille à la mer, il la lance pour dénoncer la construction d’une nouvelle tour d’arbitrage sur le récif, sur laquelle seront perchés les juges des prochaines épreuves olympiques de surf. En 2019, la reine du pacifique et sa vague mythique de Teahupo’o avait été choisie parmi d’autres spots métropolitains pour accueillir les JO de Paris 2024. Mais pour de nombreux locaux, cette annonce a vite pris des allures de malédiction.

Capture d'écran de la vidéo partagée par Matahi Drollet le 18 octobre sur son compte Instagram
Capture d’écran de la vidéo partagée par Matahi Drollet le 18 octobre sur son compte Instagram. Crédit : Matahi Drollet

Une tour à 4,4 millions d’euros

Chaque été au mois d’août, démarre sur ce même spot la « Tahiti Pro », une étape cruciale du championnat du monde de surf. Pour organiser la compétition, la World Surf League installe temporairement une tour en bois dans le lagon, avant de la démonter une fois les épreuves terminées. Pour Paris 2024 en revanche, ce ne sera pas suffisant. Le comité d’organisation des Jeux olympiques (COJO), qui a pour dessein d’accueillir un public nombreux dans de « bonnes conditions », souhaite construire une tour en aluminium plus grande et plus moderne, dotée de nouvelles fondations en béton et d’un système de canalisation sous-marine passant dans le lagon sur près de 800 mètres. Coût estimé de l’opération selon Paris : 4,4 millions d’euros. Coût écologique selon Teahupo’o : catastrophique. « Juste parce qu’ils veulent de la climatisation, des toilettes, cette nouvelle construction va détruire une grande partie du récif » regrette Matahi Drollet.

Destruction du récif pour 72 heures de liesse

C’est bien cela qui inquiète les communautés locales. Pour l’amoureux de la vague joyau de Tahiti, « les risques sont simples et désastreux : destruction du récif et impact très néfaste sur l’écosystème marin qui pourrait stresser toute la vie marine et propager ce qu’on appelle la ciguatera […], une maladie qui empoisonne tous les poissons. Teahupo’o est un village de pêcheurs, qui mangent leurs poissons et vivent de leur vente ». Une inquiétude partagée par le collectif local Mata Ara Ia Teahupo’o qui déplore l‘absence d’études préalables pour évaluer les risques écologiques, le manque de préconisation aux entreprises devant effectuer les travaux sous-marins ainsi que l’absence d’obligation de surveillance des impacts environnementaux.

D’autant que la disparition de la biodiversité lagunaire pourrait s’accompagner de « l’effondrement à court ou moyen terme de la faille à l’origine de la formation de la vague de Havae (Teahupo’o) ». Soutenu par plusieurs représentants de la communauté surf, Matahi Drollet alerte : « Cela pourrait modifier ou changer notre vague et dans le pire des cas, la faire disparaître d’ici quelques années ». Pour les Tahitiens, c’est tout ce qui fait la beauté de leur paradis qu’ils verraient sacrifié pour trois jours de compétition. Car le 30 juillet 2024, une fois les épreuves terminées, la tour pesant quelques millions d’euros sera désossée, laissant en héritage un poteau disgracieux et des écosystèmes abîmés. 

Des alternatives défendues par les locaux

« Les Jeux olympiques s’adapteront à Teahupo’o et pas l’inverse » : c’est la promesse qui avait été faite il y a plus de deux ans, lors de la visite d’une délégation de Paris 2024 à Tahiti. Force est de constater qu’elle s’apprête à ne pas être tenue. Après ces belles paroles, les habitants réclament des actes. Particulièrement engagée sur le dossier, l’association Mata Ara Ia Teahupo’o propose au COJO des solutions alternatives, plus adaptées à la réalité du terrain qu’elle connaît bien. Une pétition a par ailleurs été lancée pour demander « au gouvernement du pays de renoncer à la nouvelle tour d’arbitrage, aux forages du platier, aux canalisations sous-marines » et « d’utiliser la tour en bois habituelle pour la compétition de surf des JO 2024 ». Relayée par de nombreux surfeurs professionnels, comme Gabriel Medina, Koa Smith, Shane Dorian, Kelia Moniz ou encore Justine Dupont, elle a réuni presque 50 000 signatures en quelques jours. 

Alors que le comité avait vanté ses valeurs en expliquant qu’il avait fait « de la responsabilité environnementale un axe clé de sa candidature et de son organisation », Matahi Drollet conclut : « ce message s’adresse à Paris 2024, j’ai consulté votre site Internet et vous faites la promotion de vos engagements environnementaux. Allez-vous les respecter ? »

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Charlotte Combret

Issue d’une grande école de commerce, Charlotte délaisse rapidement les open spaces parisiens pour s’engager dans la voie de l’indépendance. Son désir de lier pédagogie et poésie la conduit à devenir journaliste rédactrice, dans les Landes, pour des entreprises et médias engagés. Ses passions : le cinéma animalier, les voyages en train, les lectures féministes et les jeux de mots en tout genre.

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