Que retenir de l’interview d’Emmanuel Macron par Hugo Décrypte du 4 septembre sur le climat ?
« Un autre sujet qui me paraît essentiel, et ce n’est pas moi en l’occurrence, c’est un consensus scientifique…» commence Hugo Décrypte alors qu’il s’apprête à interroger le Président de la République sur l’urgence climatique, ô combien liée au sujet principal de l’interview « l’avenir des jeunes ». En réponse, Emmanuel Macron assure que « la France va se doter d’un plan d’ensemble » qui sera présenté dans les prochaines semaines. Certains de ses arguments semblent toutefois à nuancer. On en reprend quatre.
1. « La France, c’est 1 % des émissions mondiales »
L’interview a commencé depuis près de 30 minutes quand le sujet du climat arrive sur la table. Après un long laïus du chef de l’État sur les moyens déployés pour résister aux conséquences du changement climatique, les canicules et feux de forêts entre autres, le youtubeur Hugo Décrypte tente de ramener le débat sur les causes de la crise que nous traversons. C’est un Emmanuel Macron plutôt confiant qui évoque alors la nécessité de « moins émettre » et « mieux préserver notre biodiversité », en rappelant le statut de bon élève de la France parmi ses camarades européens.
« Ces dernières années, on a deux fois plus réduit que durant les cinq années qui précédaient nos émissions de CO2. On est parmi les pays d’Europe qui ont le moins d’émissions de CO2 par habitant ». À l’écoute de cet argument, le jeune créateur de contenu de 26 ans reprend aussitôt le Président : « On est parmi les pays d’Europe qui ont le moins d’émissions de CO2 émis par habitant parmi les pays développés ! Sinon on est parmi les pays les plus pollueurs au monde dans l’historique ». En effet, loin de l’image qui ressort du discours d’Emmanuel Macron, la France est l’un des plus gros pollueurs historiques. Le huitième plus exactement, si l’on se base sur les émissions mondiales cumulées depuis 1750.
En fin d’interview, rebelote, le chef de l’Etat déporte la responsabilité du pays en utilisant une formule rhétorique bien connue : « La France, c’est 1 % des émissions mondiales ». Si cette donnée est juste, elle cache une réalité plus nuancée. Comme le souligne Hugo Décrypte, seules les émissions territoriales, c’est-à-dire générées sur le sol français, sont prises en compte. Or les caméras utilisées dans le cadre de l’interview ou bien le smartphone sur lequel vous l’avez regardée, ont sûrement été fabriqués en Chine. Dans un article dédié au sujet, le média Bon Pote explique par ailleurs que « Si la France représente moins de 1% des émissions mondiales, elle n’est pas le seul pays dans ce cas. D’après les données du Global Carbon Project, ils sont plus de 200 à l’être ».
2. La France « a opté pour le nucléaire pour produire son énergie »
Toujours sur le même ton optimiste, le Président de la République a poursuivi sur le pourquoi du comment : « La France, parce qu’elle a opté pour le nucléaire pour produire son énergie ( …) nous sommes avec les pays du Nord de l’Europe ceux qui produisons le moins de CO2 par habitant.(…) Notre objectif, c’est d’arriver à la neutralité carbone d’ici 2050 ».
Là encore, quelques précisions semblent être les bienvenues. Si le mix électrique français repose effectivement en grande partie sur le nucléaire, pour le mix énergétique du pays, c’est une autre histoire. D’après le ministère de la transition écologique, celui-ci dépend encore à plus de 60 % des énergies fossiles en 2019, la part de l’électricité étant de l’ordre de 25,1 %. L’occasion de rappeler que ces types de combustible, comme le charbon, le pétrole et le gaz, sont de loin les principaux facteurs contribuant au dérèglement climatique à l’échelle de la planète. Selon un rapport présenté par l’ONU, ils sont à l’origine de plus de 75 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et de près de 90 % de toutes les émissions de dioxyde de carbone.
3. « On prendra toujours des avions »
Le sujet de l’avion a ensuite aspiré une bonne partie du temps accordé au climat lors de l’interview. Si Emmanuel Macron évoque le projet de taxation des billets prévu par le gouvernement en 2024, Hugo Décrypte apostrophe le Président sur la question du kérosène, seul carburant à n’être soumis à aucune taxe en France. Bottant en touche, celui-ci explique notamment qu’« il faut décarboner l’aviation », « parce qu’on prendra toujours des avions ». Peut-être est-il de bon ton de rappeler que ce « on » n’est pas si inclusif que cela quand il s’agit de rejoindre les airs.
En effet, d’après une étude publiée dans la revue « Global Environmental Change » et relayée par The Guardian, moins de 1 % de la population mondiale prend régulièrement l’avion. Cette petite proportion de voyageurs privilégiés absorbe pourtant la moitié des émissions de carbone du transport aérien en 2018. Face à cela, 80 à 90 % des êtres humains ne sont jamais montés dans un avion.
4. Il faut « un peu réduire la consommation » et « beaucoup moderniser »
Pour décarboner le secteur de l’aviation, outre des comportements de « sobriété » très vite évoqués, le Président de la République affirme placer l’innovation au centre de sa stratégie. « On allège le poids des avions, on change la motorisation (…), on change la nature des carburants » et on passe à l’avion hydrogène et électrique, résume-t-il. Dans un article titré « Les idées reçues sur l’aviation et le climat », Carbone 4, le cabinet de conseil spécialisé sur la stratégie bas-carbone et l’adaptation au changement climatique fondé par Jean-Marc Jancovici, précise dans le cas de l’avion à hydrogène que « cela reste pour l’instant très spéculatif car beaucoup de briques technologiques ne sont pas encore là, alors que l’aviation s’est fixé des objectifs pour 2050, dans moins de 30 ans ». « Même dans le cas très optimiste d’un développement fort des leviers technologiques et d’une production de carburants alternatifs égale à la consommation de kérosène actuelle (~300 Mt), une modération de la croissance est nécessaire pour respecter le budget carbone ».
C’est le fameux mythe de l’avion vert guidé par une approche technosolutioniste censée tous nous sauver. Une nouvelle fois, Hugo Décrypte pointe du doigt ses limites et rappelle que le GIEC, le Haut Conseil pour le Climat et l’ensemble de la communauté scientifique appellent collectivement à une baisse de l’utilisation de ce mode de transport. Présenté le 28 juin, le cinquième rapport annuel du HCC, lui-même créé à l’initiative d’Emmanuel Macron, indique que l’Etat n’est, pour le moment, pas à la hauteur des enjeux. Au vu de ces annonces, si Emmanuel Macron semble serein, à l’image d’Hugo Décrypte lors de l’interview, nous le sommes beaucoup moins.