Quelles sont les conséquences environnementales de la conquête spatiale ?

Par Anaïs Hollard , le 24 janvier 2024 — Protection de l’environnement - 6 minutes de lecture
Falcon 9 de SpaceX

© UPI/Newscom/SIPA

Alors que l’Europe cherche à concurrencer l’Américain SpaceX, sur tous les fronts, la course à la conquête spatiale semble encore avoir de beaux jours devant elle, et les innovations en la matière ne cessent de fleurir. Toutefois, cette quête de l’espace ne va pas sans un lourd tribut écologique. Alors, aller vers l’infini et au-delà, qu’est-ce que ça coûte à l’environnement ?

À la conquête du marché de l’espace

Ce mardi 23 janvier 2024, la Commission européenne et l’Agence spatiale européenne (ESA) ont annoncé avoir sélectionné cinq opérateurs de lancement spatiaux, parmi lesquels le Français Arianespace, pour mettre en orbite de petits satellites européens. L’objectif : concurrencer l’américain SpaceX, l’entreprise fondée par le célèbre Elon Musk et spécialisée dans le domaine de l’astronautique et du vol spatial. Il faut dire que « l’expert de l’espace » ne cache pas son hyperactivité : lancement de drones spatiaux, tourisme spatial, méga-fusée, multiplication des missions privées direction l’ISS, etc. Mais cette volonté frénétique de conquérir les cieux a inévitablement une incidence sur l’environnement. Depuis 70 ans et les prémices de l’ère spatiale (avec le lancement dans l’espace du premier satellite artificiel, Spoutnik 1), il faut avouer que le paysage a bien changé et la voûte céleste s’est peu à peu transformée en véritable marché économique, où s’affrontent notamment une poignée de milliardaires aux prises avec leurs rêves de colonisation spatiale et de voyages touristiques. Jeff Bezos et Blue Origin, Richard Branson et Virgin Orbit, Elon Musk et SpaceX : en bref, les entreprises spécialisées dans la conquête de l’espace semblent être devenues le dernier accessoire en vogue des grandes fortunes.

Tandis que les projets et innovations se multiplient, on peut donc légitimement s’interroger : l’espace est-il devenu une destination comme une autre ?

Quoi qu’il en soit, entre la fabrication des engins spatiaux ou encore leur propulsion, cette course aux étoiles est à l’origine d’une consommation de ressources considérable, tant sur le plan énergétique que sur celui des matériaux, et entraîne dans son sillage émissions de gaz à effet de serre et autres pollutions.

Émissions de CO2 et pollution : le bilan spatial inquiète

Qu’il s’agisse d’excursions suborbitales à des fins touristiques ou de vols menés par des organismes gouvernementaux, ces aventures spatiales ne sont pas sans conséquences. On estime d’ailleurs qu’un seul vol d’une dizaine de minutes environ générerait en moyenne près de 80 tonnes d’équivalents CO2, uniquement pour propulser la fusée. D’après les calculs de Jürgen Knödlseder, astrophysicien et membre de l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie, le secteur de l’astronomie serait à l’origine de pas moins de 20,3 millions de tonnes d’émissions. « Pour une année, cela représente 1,2 million de tonnes, c’est à peu près les émissions de Malte ou de l’Estonie. C’est loin d’être anodin. On l’a divisé par le nombre d’astronomes de par le monde, on arrive à 36,6 tonnes par astronome et par an. Quand on sait que la moyenne par Français tourne autour de 10 tonnes et qu’en 2030 il faut avoir divisé par deux et être à 5 tonnes, on voit qu’il y a un problème » précise l’astrophysicien. Si ce chiffre demeure une estimation et ne prend pas uniquement en compte les vols spatiaux, il reste néanmoins particulièrement alarmant.

Du côté du tourisme spatial, les calculs ne sont guère plus encourageants. D’après le rapport d’évaluation environnementale de la Falcon 9 (un lanceur spatial développé par SpaceX), un vol touristique complet émettrait en moyenne 1 150 tonnes de CO2. Autrement dit, l’équivalent de 638 ans d’émission d’une voiture moyenne parcourant 15 000 km par an.

Et tout cela, c’est sans compter la pollution spatiale ! D’après les spécialistes, on dénombrerait pas moins de 36 000 objets de plus de 10 centimètres vagabondant dans l’univers. Parmi ceux-ci « seulement » 8100 satellites actifs. Ils estiment également qu’il y aurait environ 1 million d’objets de plus d’un centimètre, et 150 millions de plus d’un millimètre. Depuis près de 70 ans, les voyageurs spatiaux et astronomes auraient ainsi accumulé une quantité faramineuse de déchets en orbite.

Selon une estimation réalisée par The Satellite Encyclopedia, environ 36 % de ces déchets seraient de la responsabilité des Russes, 33 % pour les États-Unis, 24 % pour la Chine. La France ne serait quant à elle responsable que de 3,3 % du total des débris qui gravitent autour de la Terre.

Cette pollution ne s’arrête d’ailleurs pas aux confins de l’univers puisque, comme le rappelle Jürgen Knödlseder, « [des] particules de suie et d’aluminium sont émises par une fusée dans toutes les couches dont la stratosphère. Il se produit une perturbation du cycle de l’eau sur terre et un réchauffement qui détruit la couche d’ozone. Avec l’ampleur du déploiement prévu, cela va devenir une préoccupation ».

Conquête de l’espace : y a-t-il de l’espoir ?

La conquête spatiale a de quoi inquiéter. Toutefois, comme dans la plupart des secteurs, certains acteurs prétendent limiter leurs impacts environnementaux. En la matière, l’Europe semble être plutôt bonne élève comparée à ses voisins. L’ESA, l’agence spatiale européenne, s’est par exemple fixé l’objectif de réduire d’au moins 43 % son empreinte carbone d’ici 2030. À titre de comparaison, en 2022, cinq lancements ont eu lieu en Europe contre 75 pour les Etats-Unis et 64 pour la Chine.

Du côté des acteurs privés, certains communiquent sur leurs efforts de RSE : en 2018 et pour la première fois, SpaceX « recyclait » une fusée et une capsule déjà utilisées dans le passé. La fusée Falcon 9, avec à son sommet la capsule non habitée Dragon ont en effet fait l’objet d’un atterrissage contrôlé ayant permis leur réutilisation pour des vols ultérieurs. Une démarche qui a donné des idées à d’autres acteurs du secteur. Difficile toutefois, face à ces minces initiatives, de ne pas tirer la sonnette d’alarme et s’insurger contre les vols touristiques climaticides organisés par ces nouveaux acteurs, et le bilan environnemental actuel catastrophique de la conquête spatiale 🚀.

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Anaïs Hollard

Captivée par les sujets liés à l’énergie, Anaïs a longtemps collaboré avec de grands acteurs du secteur, avant de choisir la voie de l’indépendance, en tant que journaliste web. Aujourd’hui, elle continue de délivrer son expertise en matière d’énergie et de transition écologique. Ses passions : la lecture, l’écriture (forcément) et les DIY créatifs !

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