La France est-elle autonome en électricité ?

Par Anaïs Hollard , le 23 octobre 2024 - 9 minutes de lecture

Vous souvenez-vous de l’année 2022 et les craintes de blackout électrique ? Non ? Eh bien, une question brûlait alors les lèvres de bon nombre de Français·ses : est-ce que la France est autonome en électricité ? Une interrogation fondamentale, quand on sait que les consommateur·ice·s hexagonaux absorbent en moyenne 445,7 TWh par an. Ça en fait, du jus ! Alors, doit-on se faire du souci quant à l’indépendance énergétique du Pays ? On fait le point !

Le mix énergétique français

Le nucléaire en France : petit point historique

En Europe, la France fait figure d’OVNI dans le paysage énergétique. Eh oui, le drapeau tricolore n’est autre que le plus gros producteur d’électricité nucléaire de l’UE. Une « giga-production » qui trouve son origine au cœur des seventies. Si la décennie a vu émerger l’avènement de Led Zeppelin, de la lampe Nesso et des bouchées à la reine, elle a aussi (et c’est bien moins enthousiasmant) été le terrain de la guerre du Kippour. Là, vous vous demandez où en veut en venir ? Ce conflit a en réalité marqué les prémisses d’une crise pétrolière majeure. 

Grosso modo, c’est dans ce contexte que les pays de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) diminuent leur production, en représailles à l’occupation des territoires par Israël depuis 1967. Coup dur pour l’Hexagone, qui est de son côté confronté à un problème de taille : le Pays ne dispose pas de ressources suffisantes pour garantir son fonctionnement. Sa dépendance aux hydrocarbures a raison de la facture de ses concitoyen·ne·s, qui quadruple entre 1972 et 1974. 

C’est ainsi que le 6 mars 1974, Pierre Messmer (pas l’hypnotiseur, le Premier ministre), décrète le fameux « Plan Messmer », avec pour objectif de redonner son indépendance énergétique à la France, en passant par la construction de plus de 13 centrales nucléaires, de 1 000 MW chacune.

Est-ce que vous avez la réf’ ?
Vous avez peut-être déjà entendu la fameuse citation de Valéry Giscard D’Estaing : « En France on n’a pas de pétrole, mais on a des idées ! ». Une déclaration qui fait directement référence à ce projet. 

En quelques années seulement, la part du nucléaire dans la production d’électricité passe alors de 37 % en 1981 à 55 % en 1984. Tandis que le reste du monde met le pied au frein en matière de nucléaire, côté français, l’heure est à la surreprésentation. Et ce, jusqu’à la fin des années 90, avec la sortie de terre du réacteur Civaux 2. Pari réussi, puisqu’à cette époque, la France a (presque) gagné son autonomie en matière d’électricité. 

Les différentes sources d’énergie en France

En France, donc, on consomme essentiellement de l’électricité… Beaucoup d’électricité. Le bouquet énergétique primaire réel de la France se compose de :

  • 40 % de nucléaire ;
  • 28 % de pétrole ;
  • 16 % de gaz naturel ;
  • 14 % d’énergies renouvelables et déchets ;
  • 2 % de charbon2.

Si on résume, avec un parc nucléaire à 100 % de ses capacités, la France dispose de toutes les capacités pour être entièrement autonome en électricité. Seulement, peut-on véritablement compter uniquement sur le nucléaire ? 

La France, première exportatrice d’électricité de l’UE ?

Exportations d’électricité : le bug de 2022

En France, on a donc le chic pour produire de l’électricité. Mais attention : essentiellement via le nucléaire ! C’est toutefois cette production qui permet au Pays depuis de nombreuses années de rafler le titre de « premier exportateur d’électricité de l’Union européenne ». 

Au premier semestre 2024, la France a battu son record d’exportations nettes, avec 42 TWh nets vers les pays voisins. En gros, c’est à peu près la consommation annuelle d’un pays comme le Portugal. Ça vous donne un ordre d’idée. Sur cette même période, l’Hexagone a été exportateur net, y compris durant l’hiver ! Pas mal, non ? 

Mais il y a toujours un « mais », alors abordons maintenant ce que l’on désignera comme le scénario catastrophe « 2022, ou le couac électrique hexagonal ». Problèmes de corrosion sur le parc nucléaire et retards maintenance aidant, l’année 2022 a en effet été ce que l’on pourrait qualifier d’annus horribilis au Pays des Lumières. Sur cette période, EDF a arrêté ses réacteurs nucléaires pendant un total de 8 515 jours, soit une augmentation de 46,5 % par rapport à 20213. Cinq réacteurs – Chooz 1 et 2, Civaux 1 et 2 et Penly 1 – ont été arrêtés pendant 16 à 22 mois entre août 2021 et juillet 2023, tandis qu’EDF a maintenu 11 autres réacteurs à l’arrêt durant plus de 200 jours. Au moins 20 réacteurs ont été arrêtés simultanément sur environ 273 jours3. Ça en fait des jours off. 

Résultat, avec une production nucléaire historiquement basse de 278,9 TWh en 2022, la France avait été importatrice nette d’électricité sur presque l’ensemble de l’année (excepté février, mai et à partir de fin décembre). Une première depuis… 42 ans ! Signe qu’avec le nucléaire… Il faut peut-être y aller mollo ?

Côté renouvelable : ça dit quoi ?

La « cata 2022 » a donc démontré sans conteste que les réacteurs nucléaires, qui ont fait jusqu’à présent le succès énergétique de la France, présentaient des limites certaines. Pour résumer : plus de nucléaire = plus d’autonomie énergétique. Parce que oui, au contraire de certains de ses voisins, le Pays est un peu à la traîne du côté du renouvelable.

En 2023, l’Hexagone a atteint 22,2 % de renouvelable dans sa consommation finale d’énergie brute, alors que l’objectif est fixé à moins 44 % d’ici à 20304. Alors, à moins d’être très douée en grand écart, la Gueuse semble encore très loin du compte. 

Pour répondre à l’urgence du renouvelable, le gouvernement a pourtant annoncé plusieurs mesures depuis 2022, pour accélérer le développement des renouvelables (l’annonce du calendrier pour l’éolien en mer à horizon 2035 et 2050, l’accélération des procédures administratives…). Toutefois, il n’a pas lâché l’affaire en ce qui concerne l’atome, en revendiquant au passage la participation de son parc nucléaire à l’effort européen pour réduire les émissions de CO2. Décidément, une grande histoire d’amour !

En ce sens, la France s’est refusée à inscrire tout objectif « renouvelable » dans son plan national énergie – climat, remis à la Commission européenne, bien que l’exécutif européen ait recommandé au Pays de revoir sa copie, en inscrivant noir sur blanc un objectif « renouvelable », plutôt que « bas-carbone ».

Résumons : pour garantir son autonomie énergétique, la France compte indéfectiblement sur l’énergie nucléaire. Pourtant, l’histoire a démontré qu’il s’agissait là d’une alliée capricieuse.

Les défis pour l’autonomie énergétique

Le 16 février 2022, RTE a publié ses analyses approfondies des principaux résultats des Futurs énergétiques 2050. Une étude visant à permettre d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Deux ans de travail et 40 réunions de concertation avec 120 organisations plus tard, le bilan est sans appel : atteindre la neutralité carbone est impossible sans un développement significatif des énergies renouvelables. De même que se passer de nouveaux réacteurs nucléaires implique des rythmes de développement des énergies renouvelables plus rapides que ceux des pays européens les plus dynamiques.

Si, d’après l’étude, la consommation d’énergie va baisser, celle d’électricité va quant à elle augmenter pour se substituer aux énergies fossiles. Aussi, pour garantir l’autonomie énergétique du Pays, il convient de mettre le pied sur l’accélérateur en matière de production électrique. Pour résumer, cela implique d’accélérer le renouvelable, tout en baissant la part de nucléaire. 

L’autonomie électrique de la France avec un passage à 100 % d’énergies renouvelables est un objectif ambitieux, mais on ne peut plus ardu à atteindre en l’état. Le Pays dispose pourtant d’un potentiel considérable en énergies renouvelables, notamment grâce à son vaste territoire et à ses ressources naturelles. Le solaire, l’éolien (terrestre et offshore), et l’hydroélectricité sont les principales sources d’énergie renouvelable. Seulement, les technologies de stockage d’énergie à grande échelle, comme les batteries ou l’hydrogène vert, manquent. De même que l’investissement dans des réseaux électriques intelligents et interconnectés avec d’autres pays européens.

Actuellement, la France dépend donc encore largement de l’énergie nucléaire, qui produit environ 70 % de l’électricité nationale. La transition vers les énergies renouvelables implique donc aussi des décisions politiques et industrielles concernant la fermeture progressive des centrales nucléaires. Un projet loin d’être au programme du gouvernement.

En résumé, la France pourrait techniquement atteindre une autonomie électrique avec 100 % d’énergies renouvelables, mais cela nécessiterait des investissements colossaux, des innovations en matière de stockage d’énergie, et une planification rigoureuse pour surmonter les défis de l’intermittence.

La France, autonome en électricité : oui, avec un parc nucléaire 100 % fonctionnel (qui a cependant montré ses limites au cours des dernières années). La France, autonome en électricité renouvelable : ce n’est pas pour demain !

1https://analysesetdonnees.rte-france.com/bilan-electrique-2023/consommation#Consommationcorrigee 
2https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie-2021/6-bilan-energetique-de-la-france 
3https://www.worldnuclearreport.org/Les-arrets-de-reacteurs-en-France-s-envolent-en-2022-rapport 
4https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/bilan-et-chiffres-cles-de-lenergie-0?rubrique=19 

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Anaïs Hollard

Captivée par les sujets liés à l’énergie, Anaïs a longtemps collaboré avec de grands acteurs du secteur, avant de choisir la voie de l’indépendance, en tant que journaliste web. Aujourd’hui, elle continue de délivrer son expertise en matière d’énergie et de transition écologique. Ses passions : la lecture, l’écriture (forcément) et les DIY créatifs !

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