Augmentation du prix de l’électricité en France : décryptage des hausses depuis 2021

Par Anaïs Hollard , le 23 février 2024 - 9 minutes de lecture
Augmentation du prix de l'éléctricité

©SYSPEO/SIPA

Au début du mois de février 2024, comme bon nombre de consommateurs, vous avez sans doute eu la mauvaise surprise de découvrir une nouvelle augmentation du prix de l’électricité de l’ordre de 8,6 à 9,8 %. La dernière d’une longue liste, puisqu’au cours de ces deux années écoulées, les hausses successives cumulées s’élèvent en moyenne à 44 % ! Mais alors, comment expliquer ce boom des factures d’électricité ?

Le revers de la crise énergétique : back to 2021-2022

Il est fréquent d’attribuer au conflit russo-ukrainien l’entière responsabilité de la crise énergétique qui a traversé l’Europe au cours des dernières années. Dans les faits, ce n’est pas entièrement vrai.

Au sortir de la pandémie de COVID-19, l’économie reprend de façon rapide et abrupte. Après des mois de mise à l’arrêt forcé, la machine se relance, entraînant avec elle dès l’automne 2021 d’importantes tensions sur le marché de l’énergie. À cette période, le prix moyen de l’électricité pour les ménages français augmente de 2,3 %, à un rythme supérieur à l’inflation générale (+ 1,6 %). C’est d’ailleurs à la fin de l’année 2021, avant même les premiers échos venus de Russie, qu’est instauré le fameux « bouclier tarifaire » sur les prix de l’énergie. Mais nous y reviendrons !

Parce qu’un malheur n’arrive jamais seul, parallèlement à des besoins accrus, le parc nucléaire hexagonal, composé de 56 réacteurs et première source de production et de consommation d’électricité du Pays, vit des heures sombres. En décembre 2021, ce sont pas moins de 17 réacteurs qui sont à l’arrêt en raison de deux problématiques majeures. Pour commencer, COVID aidant, les visites décennales et autres opérations de maintenance prévues ont pris du retard… beaucoup de retard. Second couac, un problème de corrosion est détecté sur certains de ces dispositifs. La France, habituée à produire son pesant d’énergie nucléaire, est dans l’impasse. Le réseau électrique est même contraint de se replier sur les quelques centrales à charbon encore en activité sur le territoire.

Alors que l’Hexagone patauge, à partir de février 2022, c’est toute l’Europe qui s’apprête à entrer dans « une période de turbulences extraordinaires », comme l’a résumé l’Agence internationale de l’Énergie (AIE). La Russie entre en conflit avec l’Ukraine, entraînant avec elle un chamboulement sans précédent sur le marché mondial de l’énergie.

Sous le coup de sanctions infligées par les États européens, la Russie, principal exportateur de gaz du continent (plus de 45 % de ses importations), réduit le débit de ses gazoducs vers l’UE d’environ 80 % suite à l’invasion de l’Ukraine. Dans la précipitation, les différents gouvernements se mettent en quête d’autres sources d’approvisionnement, les prix s’affolent sur le marché : l’Europe est irrémédiablement plongée dans une profonde crise énergétique.

Le bouclier tarifaire à la rescousse

Nous l’avons évoqué un peu plus avant, mais revenons un instant sur ce mécanisme, intervenu dès l’automne 2021 pour préserver le portefeuille des clients français. 

Retour au jeudi 30 septembre 2021, sur le plateau du JT de TF1, Jean Castex, alors Premier ministre, prend la parole pour annoncer la mise en place d’un dispositif inédit : le bouclier tarifaire. Un système qui vise à geler les prix du gaz et de l’électricité à un niveau plus acceptable et éviter aux consommateurs des hausses considérables sur le montant de leurs factures. Pour mieux comprendre son fonctionnement, penchons-nous rapidement sur celui du marché du gaz et de l’électricité en France, mais aussi à l’échelle européenne. Ça peut sembler un peu compliqué au début, mais pas d’inquiétude, tout va s’éclaircir.

Le marché européen de l’énergie

Depuis les années 1990, l’UE a progressivement ouvert les marchés nationaux de l’électricité à la concurrence, afin d’harmoniser et de libéraliser le marché européen, et mieux l’interconnecter. Un marché qui s’appuie sur une place boursière européenne (EPEX Spot), sur laquelle s’échangent les mégawattheures (MWh) d’énergie, avec des cours qui varient selon les pays en fonction de l’offre et de la demande. C’est ici que se retrouvent producteurs, fournisseurs et négociants, qui achètent et vendent de l’électricité (nucléaire, renouvelable ou fossile). Mais alors qu’en 2021, c’est plutôt le gaz qui faisait défaut à l’échelle européenne, pourquoi le prix de l’électricité a-t-il tant augmenté ?

Sur ce marché de gros, le prix n’est pas fixé en fonction du coût moyen de production d’électricité en Europe, mais à partir du coût de production dit « marginal » du dernier MWh injecté sur le réseau. Or, lorsque la demande en électricité est faible, les installations nucléaires ou renouvelables suffisent à y répondre. Si cette demande est forte, les centrales thermiques – fonctionnant au gaz naturel ou au charbon – sont mises à contribution. Le coût de l’électricité est alors basé sur le cours du gaz (ou du charbon). C’est ce qui explique qu’en pleine crise du gaz et face à une demande exponentielle, les prix de l’électricité ont grimpé en flèche !

Augmentation électricité en France

Après un bref voyage hors des frontières, retour en France et à nos factures. Pour faire court, l’Hexagone présente une petite particularité : le tarif réglementé de vente de l’électricité d’EDF (TRVe). Il s’agit d’un tarif régulé par les pouvoirs publics. La Commission de régulation de l’Énergie (CRE) propose un prix, basé sur les réalités du marché, les réseaux de transport, les taxes… Puis le gouvernement valide (on pas) cette proposition. Nombreux sont d’ailleurs les fournisseurs alternatifs à indexer leurs propres offres sur le cours de cette grille tarifaire, quand d’autres fondent uniquement leurs prix sur ceux du marché. Or, ce tarif réglementé évolue traditionnellement deux fois par an, à la hausse ou à la baisse : une fois en février et une seconde fois en août. Face à un marché de l’énergie erratique en 2021 et 2022, il a bien fallu réviser ce prix dans une fourchette plus haute. Ce qui explique les différentes augmentations.
Toutefois, le bouclier tarifaire mis en place par le gouvernement a largement amorti ces remontées. En 2022, ce dispositif a par exemple permis de limiter à +4 % TTC la hausse des tarifs pour les clients éligibles aux TRVe. Un fonctionnement qui a permis à la France de rester l’un des pays où l’électricité était la moins chère, en pleine période de crise de l’énergie.

Nouveau rebondissement : pourquoi le prix de l’électricité a augmenté en février 2024 ?

Aux prémisses de cette nouvelle année, le marché de l’énergie a retrouvé une relative stabilité, la consommation finale d’énergie est en berne, et le bouclier tarifaire sur les prix de l’électricité est toujours d’actualité. Nous pourrions donc nous attendre à constater quelques baisses sur le montant de nos factures. Pourtant, il n’en est rien. Alors, comment expliquer cette nouvelle augmentation de 8,6 à 9,8 % du prix de l’électricité en France ?

En réalité, la conclusion n’est pas si étonnante compte tenu du positionnement affiché par le gouvernement depuis de nombreux mois maintenant. En effet, si le bouclier tarifaire a prouvé son efficacité à de nombreuses reprises, il a également représenté une enveloppe considérable pour les fonds publics. Enveloppe qu’il est grand temps – selon Bercy – de résorber, voire, de rembourser. C’est pourquoi, face à un relatif retour à la normale des prix du gaz et de l’électricité, il est temps pour l’État de refermer les vannes. Dès juillet 2023, celui qui était alors ministre délégué aux Comptes publics, Gabriel Attal, confirmait ainsi que « dès lors qu’on doit faire des économies, il faut notamment sortir des dispositifs spécifiques qu’on a mis en place pendant la crise de l’inflation […] ça veut dire qu’on va devoir sortir progressivement du bouclier tarifaire sur les prix de l’énergie ».

Parmi les dispositifs qui ont assuré un relatif adoucissement des prix de l’électricité au cours des dernières années, on compte également un « rabotage » de certaines taxes sur l’électricité. Au 1ᵉʳ février 2022, la taxe intérieure sur l’électricité (TICFE) avait été réduite, passant ainsi de 32 €/MWh à 1 €/MWh pour les particuliers. Cette année, elle est passée de 1 à 21 € par mégawattheure. Objectif du gouvernement : repasser au niveau « d’avant-crise » d’ici 2025.

Le synopsis : retour sur l’historique des hausses du prix de l’électricité

Passons maintenant à un rapide résumé des augmentations successives du prix de l’électricité en France :

🗓️ Octobre 2021 : mise en place du bouclier tarifaire sur les prix du gaz et de l’électricité.
📈 Février 2022 : Le prix de l’électricité augmente de 4 % TTC en février 2022.
📈 Février 2023 : Le prix de l’électricité augmente de 15 % TTC en février 2023.
📈 Août 2023 : Le prix de l’électricité augmente de 10 % TTC en août 2023.
📈 Février 2024 : Le prix de l’électricité augmente de 8,6 à 9,8 % TTC en février 2024.

Un prix de l’électricité qui devrait malheureusement encore faire les frais du rattrapage du bouclier tarifaire et des différents dispositifs d’aides dans les mois à venir. Il faut donc prévoir de nouvelles hausses d’ici août 2024 et février 2025.

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Anaïs Hollard

Captivée par les sujets liés à l’énergie, Anaïs a longtemps collaboré avec de grands acteurs du secteur, avant de choisir la voie de l’indépendance, en tant que journaliste web. Aujourd’hui, elle continue de délivrer son expertise en matière d’énergie et de transition écologique. Ses passions : la lecture, l’écriture (forcément) et les DIY créatifs !

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