Avec « Cetasea », Frédérique veut créer le premier réseau Européen de refuges pour les mammifères marins
Alors que de plus en plus de cétacés s’échouent sur les plages du littoral français et que la loi interdit leur reproduction et exploitation en captivité à partir de 2026, aucune structure n’est à ce jour capable de les accueillir, les soigner et les réhabiliter. Frédérique Gilbert, fondatrice de l’association Cetasea, compte bien y remédier. Entourée d’une équipe de scientifiques, de vétérinaires et de soigneurs, cette spécialiste du monde marin, riche de quinze années d’expérience sur le terrain, se bat pour la création du premier refuge européens destinés aux mammifères marins. Elle nous raconte.
Comment est née votre association Cetasea ?
J’ai travaillé près de 20 ans avec les mammifères marins. Un jour, on m’a contactée pour voir si je connaissais un refuge pour mammifères marins en Europe, parce qu’il y avait un dauphin qui s’était échoué au Portugal. C’est une association qui l’avait récupéré, mais ils n’avaient pas d’installation pour l’accueillir, c’était une petite femelle de sept mois. Ils ne pouvaient pas la remettre en mer, parce qu’elle était trop jeune, et ne voulaient pas non plus la mettre dans un delphinarium. Donc ils l’ont mis dans une piscine d’humains. C’est pire que tout parce qu’elle était toute seule entre quatre murs. Et quand ils m’ont téléphonée pour voir si je connaissais un refuge pour les mammifères marins, elle avait huit ans. C’était vraiment horrible. Et voilà, moi, comme je voulais avancer pour le bien-être des mammifères marins, je me suis dis : c’est un signe.
Dans le cadre de la loi du 30 novembre 2021, sauf exception, la détention des cétacés et leur reproduction seront interdites à partir de 2026, que deviendront les animaux qui vivent actuellement dans des structures en captivité ?
Pour les structures qui sont actuellement en France, le Parc Astérix a été fermé. Les animaux ont été distribués dans d’autres delphinarium, donc ça a vraiment déplacé le problème. C’est encore pire parce qu’il y a de la surpopulation. C’est une catastrophe parce que ce genre de structures, quand elles décident de fermer et d’arrêter avec les animaux marins, le déménagement se fait vite et les endroits choisis ne conviennent pas spécifiquement aux animaux. Il n’y a pas de temps de réflexion pour évaluer au cas par cas quel animal va dans quel endroit et avec quel groupe, etc. C’est très stressant pour les animaux. Vous savez ce que c’est qui stresse le plus l’humain ? Le déménagement. C’est Véronique Servais, une chercheuse, anthropologue, professeure à l’université de Liège et aussi notre ambassadrice, qui avait fait des recherches là-dessus. Imaginez pour des animaux qui changent complètement d’environnement.
Vous allez me dire : « mais s’ils vont dans le refuge, eux aussi, ils vont devoir déménager ». C’est pour ça que l’on veut créer un réseau européen pour qu’on puisse choisir le meilleur refuge pour l’animal. Et un refuge, ce n’est pas fait pour que l’animal y reste jusqu’à la fin de sa vie. Si c’est un animal qui peut retrouver la liberté, tant mieux. Si c’est un animal qui peut aller en semi-liberté, aussi. Si c’est un animal qui ne peut pas retourner en milieu naturel parce qu’il est né en captivité, que c’est compliqué, on peut toujours trouver le meilleur endroit et le meilleur groupe pour l’animal, etc. C’est vraiment un temps d’adaptation. À côté de cela, évidemment, on va faire un centre de soin pour que les animaux puissent être soignés en cas d’échouage et pour les animaux du refuge.
Est-ce que vous pouvez nous expliquer quelle est la différence entre des refuges, des sanctuaires et des parcs zoologiques ?
Les parcs zoologiques, en général, travaillent pour la conservation. Ils vont faire de la reproduction pour perpétuer l’espèce. C’est une vraie mission pour eux. Ça, ce n’est pas toujours le cas, mais normalement, ça l’est. C’est le cas, par exemple, des programmes avec les pandas géants. C’est la Chine qui prête ses pandas géants à des parcs zoologiques. Ils font se reproduire ces animaux, qu’ils renvoient après à la Chine, qui elle-même les réhabilite dans leur milieu naturel. Mais en amont de ça, le pays a d’abord investi pour reconstituer ses forêts. Parce que réhabiliter, c’est-à-dire remettre un animal dans un milieu naturel, dans une forêt qui est dévastée, ça ne sert à rien. C’est comme mettre des animaux marins dans une eau polluée, saccagée, pleine de plastique. C’est pour ça que l’on s’appelle « Cetasea ». C’est pour sensibiliser les gens à la protection de l’environnement marin, puisque c’est l’habitat naturel des mammifères marins.
Les sanctuaires sont des endroits protégés dans le milieu naturel. Par exemple, il y a le sanctuaire Pelagos en Méditerranée qui fait 72 000 kilomètres carrés. Et les refuges, les plus communs sont, par exemple, ceux qui recueillent les chats, les chiens, les animaux qui ne savent pas où aller. Ils peuvent également accueillir les animaux sauvages issus des parcs qui ferment, les interdictions de cirque (pour les otaries par exemple), des animaux échoués qu’on ne peut plus remettre dans leur environnement (comme le cas de la petite femelle dauphin au Portugal), etc. Un refuge, c’est un endroit où l’animal va pouvoir « souffler » un peu en attendant que l’équipe trouve le moyen de les mettre dans un meilleur endroit par la suite : dans un sanctuaire, un parc zoologique éthique ou un milieu naturel.
Votre premier refuge européen sera situé sur la Costa Brava en Espagne ?
Oui, mais comme c’est un réseau européen, on est en train de travailler sur la France et sur l’Espagne. On aimerait qu’il y en ait un dans tous les pays côtiers de l’Europe.
Concrètement, ça ressemble à quoi ? Est-ce que ce sont des espaces délimités dans l’océan ?
Non, parce que sinon, ça serait plutôt un sanctuaire, mais là, c’est un refuge. Un animal qui a passé toute sa vie dans un delphinarium a vécu dans un endroit aseptisé. Le poisson qu’on lui a donné a été congelé, l’eau a été traitée, désinfectée, chlorée. Donc plus de bactéries, plus de virus. Et il a été nourri par l’homme. Vraiment, si un animal qui a vécu toute sa vie en captivité est immergé directement dans une eau naturelle de la mer ou de l’océan, il va mourir en une semaine. Il n’est pas adapté à la salinité. Rien n’est pareil. Donc avant de remettre un animal en milieu naturel, il est nécessaire d’avoir des bassins intermédiaires et puis de lui réapprendre les codes du milieu sauvage. Parce que pour toute espèce, il faut travailler des programmes de réadaptation. Parfois, ils peuvent durer des décennies. En général, ce n’est pas l’animal qui a vécu toute sa vie en captivité qui rejoint son milieu naturel, mais plutôt sa descendance.
Vous menez également des projets de recherches et de conservation entourée de scientifiques ?
Oui, des projets de recherche, de partenariats qui s’occupent de nettoyer les mers, les plages, etc. Pour essayer d’avancer sur ce projet parce qu’il y a tellement de choses à faire. Une équipe toute seule ne pourrait jamais changer les choses. C’est un peu comme dans le film « L’océan vu du coeur » de Iolande Cadrin-Rossignol et Marie-Dominique Michaud. Chacun met sa petite graine, chacun fait quelque chose. Tout est lié, finalement. Tous les projets peuvent s’aligner et c’est comme ça que l’on avance. Nous, notre spécificité c’est de créer des refuges, mais il faut également faire des sanctuaires. C’est important. Multiplier les sanctuaires. Je parlais avec Iolande, la réalisatrice du film, elle me disait qu’au Canada, il y avait beaucoup de sanctuaires dans la mer, mais que toutes les parties sanctuarisées étaient toutes les zones où dès le départ, les bateaux n’avaient pas besoin d’aller… Il y a encore beaucoup de travail !
Quels animaux pourront être accueillis au sein des refuges Cetasea ?
C’est un peu compliqué parce qu’évidemment, un refuge ne peut pas être aussi grand que l’océan. Ça se limiterait aux phoques, otaries et dauphins. Selon les refuges, il y en a qui pourraient seulement prendre des otaries et des phoques. On essaie de trouver des endroits adaptés pour les dauphins, parce qu’il faut un minimum de grandeur, de profondeur pour qu’ils puissent évoluer sereinement. S’ils doivent rester une vie là, parce qu’on ne trouve pas d’autre place, il faut qu’ils soient bien. En France, on est en train de travailler sur un endroit, mais ça va être compliqué de prendre des dauphins. Donc, ce sera plutôt phoques et otaries. Ce qui est déjà pas mal quand je vois que des otaries viennent d’être envoyées en Chine, dans des nouveaux delphinariums…
Serez-vous également en mesure de soigner et réhabiliter les dauphins sauvages qui sont de plus en plus nombreux à s’échouer le long de nos plages ?
Oui, ce sera un endroit où l’on peut les soulager pendant quelques heures et les remettre en liberté ensuite. Parce que si un dauphin s’échoue, c’est qu’il y a un problème. Il ne s’échoue pas spontanément comme ça, il ne se repose pas sur la plage. Ce n’est pas comme les phoques. Ce que les gens font maintenant, c’est qu’ils les repoussent directement dans le fond de l’océan où il va peut-être y mourir. Ce n’est pas le prendre en charge. Le mieux, c’est vraiment de le secourir, même s’il y a peut-être 1 % des animaux échoués qu’on peut soigner. Même si ce n’est que 1 %, c’est important.
Que recommandez-vous si l’on se retrouve face à un dauphin échoué sur une plage ?
De ne surtout pas le toucher, parce que la majorité des dauphins ont la brucellose et cela s’attrape, ce sont des zoonoses et c’est hyper dangereux pour l’homme également. Donc vraiment, ne même pas aller à côté du dauphin parce que s’il respire, les postillons peuvent vous contaminer. Et prévenir les associations locales.
En parallèle, vous menez des actions de sensibilisation ? Et vous organisez un festival l’année prochaine ?
Oui, ce sera au casino de Capbreton en mars prochain. L’idée c’est de sensibiliser les gens sur les questions : « Pourquoi créer des refuges pour les mammifères marins ? », « Comment peut-on agir pour la conservation des animaux sauvages ? » Parce qu’il y a des gens qui ne comprennent pas vraiment, comme c’est le cas avec les pandas géants. Il y a beaucoup de personnes qui pensent que c’est juste commercial. Moi, la première, il y a 20 ans de ça, je le pensais, mais ils ont réussi à remettre en milieu naturel des pandas géants. Ils ont mis du temps parce que rien ne se fait d’un coup de baguette magique, il faut du temps, de la patience, de l’énergie, de l’engagement. L’ambassadeur des pandas géants de Chengdu va venir parler de tout ça. Il y aura également Jean-Marc Barr et Thierry Jauniaux, vétérinaire spécialisé dans les échouages, donc ça va être super intéressant. Il va y avoir plein de gens qui vont donner des informations différentes, mais en tout cas, toujours dans le même esprit d’engagement pour la préservation et la conservation des animaux !
Est-ce qu’il y aurait une action que l’on pourrait faire en tant que citoyen pour aider les mammifères marins ?
Des nettoyages de plages et surtout, ne pas les déranger. Ils sont déjà assez sollicités dans le milieu naturel. Si on voit un phoque qui est sur la plage ou dans un port, surtout ne pas l’approcher. Les phoques sont des animaux très stressés, très peureux. C’est pour ça qu’on n’en voit pas beaucoup, parce qu’ils fuient l’homme. Avant que les côtes ne soient remplies de touristes, il y avait beaucoup de phoques en France, comme en Angleterre. Et puis, avec le tourisme, ils se sont cachés, ils sont partis. S’il y en a un qui s’approche, comme dans le port de Capbreton récemment, c’est qu’il s’agit probablement d’un phoque qui a été récupéré, soigné et relâché.
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