Avec Les Drêcheurs urbains, Benoit crée un « nouvel ingrédient produit durablement en ville » à partir de résidus de bière
À 30 ans, Benoit Cicilien se définit comme un transformateur de drêches en farine alimentaire. Une mission peu commune qu’il mène au sein de l’entreprise qu’il a créée : Les Drêcheurs urbains. À vélo, le jeune entrepreneur collecte les restes de céréales des brasseries d’Île-de-France pour les transformer en un ingrédient riche en protéines et en fibres. Il nous explique les contours de son projet, entre alimentation durable et circuits-courts.
Comment vous est venue l’idée de valoriser des drêches, ces résidus de céréales ayant servi à la fabrication de la bière ?
Je suis Benoit Cicilien, j’ai 30 ans et j’ai fait des études d’ingénieur agronome. Au cours de mon parcours, j’ai travaillé avec des brasseries dans le cadre de stages. J’ai été sensibilisé à cette question autour des drêches et sur comment avoir une production plus responsable en brasserie. À la fin de mes études, j’ai fait un service civique avec une association qui s’appelle Zone-Ah!. On a fait une étude sur le gisement de drêches qu’il pouvait y avoir sur Paris et la Petite Couronne. Et là, on s’est rendu compte qu’il y avait une cinquantaine de brasseries qui jetaient chaque année 4 000 tonnes de drêches. C’était une ressource qui n’était pas assez valorisée et dans la pyramide des déchets de l’ADEME, l’intérêt c’était de pouvoir les transformer en voie alimentaire. J’ai eu l’idée de les transformer en farine pour pouvoir mieux les valoriser et proposer un nouvel ingrédient produit durablement en ville.
Comment on transforme de la drêche, en farine ?
Les étapes du processus sont assez simples. On a une première étape de séchage qui va permettre de stabiliser la matière et ensuite, on va avoir une étape de broyage. Nous, on a fait le choix d’une technologie d’un moulin à meules de pierre parce qu’il va préserver toutes les qualités nutritives de la farine. Et puis, on va séparer l’écorce du grain qui est très chargée en fibres de la partie amande, le cœur du grain. C’est ce qui nous intéresse le plus dans notre process.
Vous faites tout dans la brasserie la Drêcherie urbaine, en Île-de-France ?
On partage nos locaux actuellement avec une brasserie, effectivement. On a deux activités indépendantes. Je m’approvisionne principalement auprès de la brasserie et j’ai également d’autres partenaires brasseurs toujours à proximité. On est basé dans le 93 à Romainville et on est sur un projet de changement de locaux, d’ici la fin de l’année, pour pouvoir un peu agrandir notre espace de production et augmenter nos capacités de production.
Que devient ensuite la farine que vous produisez ? Faites-vous aussi des produits finis ?
L’idée première, c’est de revendre la farine auprès des professionnels. Ensuite, on a une cible « particuliers » que l’on arrive maintenant à capter. Il faut sans cesse expliquer comment on peut cuisiner avec cette farine et ce que l’on peut en faire. Et donc l’un des moyens qu’on a trouvé, c’est de proposer des biscuits qui sont faits en partenariat avec un Ésat, un établissement de travailleurs handicapés, basé en région parisienne. L’idée, c’est de développer d’autres produits dans la gamme. Récemment, on a développé des fonds de tartelettes pour des traiteurs. On a plusieurs clients professionnels qui rentrent. On travaille également avec des designers qui, eux, font des biomatériaux.
Qu’est-ce que cette farine a de si particulier au niveau nutritif ?
La Pintine, c’est le nom de la marque de la farine. C’est la contraction de pinte et de farine, donc on reste dans l’univers de la bière ! C’est une farine qui est hyper intéressante parce que d’une part, elle est anti-gaspi, vu qu’on évite de jeter une ressource que les brasseurs produisent. Ensuite, elle est nutritive, elle est riche en protéines, riche en fibres et avec très peu de gluten. La fibre, c’est pour une meilleure digestion. Les protéines, ça peut être une alternative à des protéines d’origine animale. Et le gluten crée un allergène très important qui peut irriter le côlon, donc ça peut aussi jouer sur le bien-être global.
Et en termes d’impact sur la planète, quelles seraient les différences entre la farine de drêche et la farine industrielle classique ?
Il ne faut pas se comparer avec de la farine industrielle classique parce qu’on est pas du tout sur le même type de produit. Il faut plutôt se comparer à des farines spéciales type seigle, sarrasin, châtaignes, etc. L’impact sur la planète se situe notamment au moment de la production. C’est-à-dire que pour faire notre farine, on n’a pas besoin de surface agricole. On vient récupérer le coproduit du brassage, puisqu’à la base l’orge est produite pour faire de la bière, directement chez les brasseurs. De ce fait, on réduit l’impact environnemental de notre activité. Par ailleurs, sur notre process en lui-même, on va transformer la drêche en farine localement, qu’on va redistribuer localement aussi. On va limiter les gaz à effet de serre sur le transport de la matière. Parce que l’autre alternative qu’ont les brasseurs, s’ils ne passent pas par notre solution, c’est de se faire collecter les drêches par des collectes de biodéchets spécialisées, pour ensuite partir en méthanisation/compostage. Facilement, sur une tournée, on peut faire 100, 150 kilomètres avec des camions remplis. Cela va donc émettre du CO2 et avoir un impact négatif. Alors que nous, on travaille sur notre partie collecte à moins de cinq kilomètres de nos brasseurs et on est en direct !
Est-ce que vous pouvez nous partager une recette à réaliser facilement avec de la farine de drêche ?
Il y a plein de recettes à faire ! On peut par exemple travailler sur des recettes de cookies. Sur le cookie, on a à la fois un côté moelleux et croquant qui peut ressortir. Notre farine vient toujours en mélange avec d’autres farines. On recommande de mettre un tiers de farine de drêche et deux tiers d’autres farines. Ça nous permet d’avoir une pâte qui va se colorer dans des tons de brun. Elle sera un peu plus foncée. C’est un goût aussi particulier puisqu’on va avoir un goût autour de céréales toastées, de caramel qui peut ressortir et qui est très intéressant en bouche.
En proposant des ateliers découverte, vous êtes aussi dans une logique de transmission, de pédagogie, de partage ?
Tout à fait, oui. On avait mis en place des ateliers à peu près mensuels pour faire découvrir notre atelier auprès du grand public. Cela permet aux gens de découvrir notre moulin, qui est un moulin en bois à meules de pierre, de découvrir la farine et de leur donner envie, par la suite, de cuisiner avec. On est vraiment sur la curiosité et la transmission. En ce moment, on est en train de développer une offre auprès des entreprises pour faire de la sensibilisation au gaspillage alimentaire et à tout ce qu’on peut faire avec les drêches. Ce qui nous permet d’atteindre plus de monde, plus facilement.
Est-ce que vous sentez un engouement plus marqué pour l’anti-gaspillage, la revalorisation des déchets, le local ?
Alors, oui, ça crée une curiosité chez les gens. Après, la difficulté des produits anti-gaspi de manière générale, ce n’est pas propre qu’à la farine de drêche, c’est qu’on est sur des modèles économiques avec des produits qui sont plutôt haut de gamme. Donc on n’est pas sur de l’accessibilité totale. Ça, c’est un frein. Ça crée de la curiosité, ça crée une attente et les gens sont aujourd’hui beaucoup plus attentifs sur le côté local/proximité, plutôt que sur l’argument anti-gaspi. L’argument anti-gaspi, il est bien sur la première approche de découverte du public. Et ensuite, quand on est sur le côté aliment, on est vraiment sur le côté local. Nous, c’est tout ce qu’on cherche à faire, à avoir un produit local. Aujourd’hui, notre zone de chalandise, c’est l’Île-de-France. On ne veut pas aller plus loin pour le moment et ça fait également partie de nos valeurs !
Est-ce qu’à titre personnel vous avez d’autres conseils ou astuces qui permettent de valoriser un biodéchet généré chez soi ou sur son lieu de travail ?
On peut faire du lombricompostage, par exemple, au bureau. Cela consiste à avoir des petits vers de terre qui viennent manger les restes de pommes à la fin du repas ou d’autres choses comme ça. C’est le premier geste à faire sur la gestion des déchets à son échelle individuelle.
Vous avez récemment partagé sur vos réseaux sociaux les difficultés que vous rencontrez dans un contexte de crise énergétique, de crise de la biodiversité et de crise inflationniste, est-ce que vous pensez que c’est possible pour une entreprise qui essaie de faire les choses bien, d’être perenne ?
Aujourd’hui, on est une génération d’entrepreneurs qui cherche à avoir un impact, que ce soit économique, sociétal ou environnemental. Il faut être motivé aujourd’hui à développer ce genre d’entreprise à impact, parce qu’à un moment donné, on est quand même rattrapé par des enjeux financiers. Malgré tout, on est soumis à des lois de croissance. Ce n’est pas de la croissance infinie, c’est de la croissance pour atteindre un seuil de viabilité économique et de juste rémunération de l’ensemble des acteurs sur la chaîne de valeur. Aujourd’hui, on a besoin de soutien et d’accompagnement dans notre développement, parce qu’on est souvent sur des modèles économiques qui sont disruptifs par rapport à ce qui pouvait se faire avant. Moi, j’ai été mentoré par des personnes qui avaient une expérience liée à leur modèle économique. Ils avaient du mal à comprendre que leurs conseils ne s’appliquaient pas forcément dans le cadre du mien. Il y avait aussi une question de génération en même temps. C’est parfois difficile de porter son message, mais je pense que les choses sont en train de changer. Il y a de plus en plus de dispositifs d’accompagnement qui sont spécialisés sur ces questions et également des financements ou des fonds d’investissement qui sont orientés sur l’impact. Je pense que ce n’est que le début d’une nouvelle ère de développement économique !
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