Chalutage de fond : la « déforestation sous-marine » libère des tonnes de CO₂ dans l’atmosphère

Par Charlotte Combret , le 19 janvier 2024 - 5 minutes de lecture
Des pêcheurs trient les prises de la pêche au chalut

Des pêcheurs trient les prises de la pêche au chalut. Crédit : Davide Pischettola / NurPhoto / AFP

Une étude publiée le jeudi 18 janvier 2024 révèle que cette technique de pêche controversée libère chaque année dans l’atmosphère des millions de tonnes de CO₂ enfouis, aggravant le réchauffement climatique. Le chalutage de fond augmenterait ainsi de plus de 200 % l’empreinte carbone de l’industrie mondiale de la pêche.

Le chalutage de fond fait des ravages, mais pas qu’en mer, alerte une équipe de scientifiques américains et australiens. Cette technique de pêche industrielle, qui consiste à racler le plancher océanique à l’aide d’immenses filets tractés par de lourds engins, est depuis longtemps dénoncée par les défenseurs de l’environnement. Non sélective et énergivore, elle est considérée comme l’une des pratiques de pêche les plus destructrices pour la biodiversité marine. Cette récente étude, publiée dans la revue Frontiers in Marine Science, met en avant une autre conséquence – moins visible – du chalutage de fond sur l’environnement : la pollution atmosphérique.

370 millions de tonnes de dioxyde de carbone seraient libérées dans l’atmosphère chaque année à cause du chalutage de fond, selon les experts du climat et des océans. C’est le « double de l’estimation des émissions annuelles dues à la combustion de carburant pour l’ensemble de la flotte de pêche mondiale » précisent-ils dans l’étude, dirigée par Trisha Atwood du Quinney College of Natural Resources. Le chalutage en Chine orientale, dans la mer Baltique, dans la mer du Nord et dans la mer du Groenland est celui qui a l’impact le plus important sur le climat.

Réchauffement et acidification

D’après l’étude, 55 à 60 % du dioxyde de carbone soulevé lorsque les chalutiers perturbent les sédiments marins se retrouve dans l’atmosphère en l’espace de sept à neuf ans. Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs se sont appuyés sur les données de l’activité de chalutage de fond à l’échelle mondiale entre 1996 et 2020. « Le chalutage de fond libère des panaches de carbone qui, autrement, resteraient enfouis pendant des millénaires dans les fonds marins », a déclaré Mme Atwood. « Notre étude est la première à montrer que plus de la moitié du carbone libéré par le chalutage de fond finit par s’échapper dans l’atmosphère sous forme de dioxyde de carbone en l’espace d’une dizaine d’années, contribuant ainsi au réchauffement de la planète. » 

Et pour les 40 à 45 % du CO₂ également délogé suite au passage du chalut ? Il reste dans l’eau, ce qui peut entraîner une acidification localisée des océans et nuire aux écosystèmes sous-marins. « Cette acidité accrue endommage la vie végétale et animale de la zone où se déroule l’activité de pêche » préviennent les experts. En parallèle, cela contribue à réduire la capacité des océans à absorber le carbone, eux qui captent près de 30 % des émissions de CO₂ libérées dans l’atmosphère.

« Une solution importante pour le climat »

« Nos résultats suggèrent que la gestion des efforts de chalutage de fond pourrait être une solution importante pour le climat » affirment les chercheurs. D’après eux, les pays ne tiennent actuellement pas compte des importantes émissions de carbone dues à cette technique de pêche dans leurs plans d’action sur le climat. « Le chalutage de fond pose d’autres problèmes que les seuls impacts du carbone – la biodiversité et la durabilité, par exemple », a déclaré Gavin A. Schmidt, directeur de l’Institut Goddard d’études spatiales de la NASA et coauteur de l’étude. « Mais cette ‘déforestation marine’ est suffisamment importante pour être notée et évaluée. Il est à espérer que cela puisse déboucher sur des efforts politiques visant à maximiser les avantages de tous les impacts », conclut-il.

En février 2023, la Commission européenne avait présenté un plan d’action visant à « verdir » le secteur de la pêche et à « éliminer progressivement » le chalutage de fond dans les aires marines protégées (AMP) d’ici à 2030. Mais suite à une levée de boucliers de la filière, le texte avait été abandonné. Plus récemment, le 18 janvier 2024, le Parlement européen a fait voter un rapport d’initiative relatif à l’avenir de l’océan et de la pêche. Tous les amendements qui permettaient d’interdire les chaluts dans les AMP ont été rejetés. « Une position climaticide » dénonce l’ONG Bloom. Contrairement à ce qu’avait affirmé le Secrétaire d’État chargé de la Mer Hervé Berville sur France 2, le chalutage de fond est ainsi toujours autorisé dans les AMP territoriales.

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Charlotte Combret

Issue d’une grande école de commerce, Charlotte délaisse rapidement les open spaces parisiens pour s’engager dans la voie de l’indépendance. Son désir de lier pédagogie et poésie la conduit à devenir journaliste rédactrice, dans les Landes, pour des entreprises et médias engagés. Ses passions : le cinéma animalier, les voyages en train, les lectures féministes et les jeux de mots en tout genre.

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