Coup de com’ raté : le RN évalue mal l’incidence de l’ARENH sur la facture énergétique française et propose sa suppression

Par La rédaction de Deklic , le 13 octobre 2023 - 8 minutes de lecture
Alexandre Loubet lors de la séance hebdomadaire de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale en 2022

Alexandre Loubet lors de la séance hebdomadaire de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale en 2022. Crédit : Jacques Witt / SIPA

Alexandre Loubet, député Rassemblement National (RN), a proposé début octobre une loi visant à faire baisser la facture énergétique des Français et des entreprises sur le territoire. La cible à abattre sans plus attendre pour y parvenir : l’ARENH (Accès réglementé à l’électricité nucléaire historique). « Coup de com’ » pour certains, méconnaissance du dossier pour d’autres, ce projet semble en tout cas loin de tenir la route.

La proposition surprenante du RN

Le prix des factures d’électricité et de gaz devient « insupportable » déplore M.Loubet devant l’audience de la Commission des affaires économiques du 4 octobre 2023. Pour y remédier, le député RN dégaine une proposition de loi qui est loin de faire l’unanimité. Celle-ci défend notamment la suppression de l’ARENH, dans trois mois à peine. En remplacement immédiat, le parti d’extrême-droite veut rétablir « un système français de fixation des prix de l’électricité et du gaz naturel, administrés par l’État plutôt que par des règles européennes absurdes et un dispositif bureaucratique inefficace ». Pour protéger les particuliers et les entreprises, « le montant des factures ne doit plus être dicté par des règles dont chacun a pu constater l’inefficacité ; il doit refléter la réalité des coûts de production de l’électricité en France » avance-t-il encore. Après avoir fait l’objet de nombreuses railleries pointant du doigt son amateurisme, la proposition de loi sera examinée en séance publique ce jeudi 12 octobre, sur la niche RN. 

Un problème de calendrier

L’article 1er de la loi Rassemblement National vise à supprimer l’ARENH quasi instantanément, au 1er janvier 2024, alors même que le mécanisme expirera de lui-même d’ici un an. Une telle mesure interviendrait dans un contexte où les négociations sur l’avenir du marché européen de l’électricité sont précisément en train d’être menées. Celles-ci ont pour objet d’établir, de manière concertée, un dispositif qui succèdera à l’ARENH après 2025 pour que les consommateurs français continuent de bénéficier de la rentabilité de la production nucléaire.

Le rôle de l’ARENH 

Selon le Rassemblement National, « l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) a été créé pour contenter la Commission européenne, qui impose à la France le développement de la concurrence sur le marché de la fourniture d’électricité. EDF est donc contraint de vendre à prix bradé une partie de sa production électronucléaire à ses concurrents ». Mais d’après l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) (qui regroupe les fournisseurs alternatifs), cette définition omet une dimension clé. Au moment de sa création, l’ARENH devait surtout « permettre à l’ensemble des consommateurs, quel que soit leur fournisseur d’électricité, de bénéficier de la compétitivité du parc nucléaire historique français ». Et pour cause, l’ensemble des citoyens l’ont eux-mêmes financé par intermédiaire de leurs impôts ou leurs factures d’électricité et en subissent désormais le risque quotidien. Aussi s’avère-t-il logique que cet actif de production, déjà amorti d’après le rapport de la Cour des comptes de juillet 2022, ne soit pas réservé aux seuls clients d’EDF. 

Le prix de l’ARENH est fixé par la loi

Depuis 2011, l’ARENH permet aux fournisseurs alternatifs de faire bénéficier à leurs clients, à un prix régulé, de la compétitivité des centrales nucléaires historiques d’EDF en service à la date de promulgation de la loi NOME. Des lors, ils demandent des volumes d’ARENH en proportion de leur portefeuille client. Actuellement, les volumes d’ARENH souscrits par les fournisseurs alternatifs ne peuvent excéder 100 térawattheures (TWh) sur une année, soit environ 25 % de la production du parc nucléaire historique, pour un prix bas de 42 euros le mégawattheure (MWh). C’est la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE), autorité française indépendante, qui a proposé ce prix au gouvernement. Comme prévu par la loi, ce prix doit “assurer une juste rémunération à EDF” et doit “être représentatif des conditions économiques de production d’électricité́ par les centrales nucléaires”. 

S’il n’a pas bougé depuis 2012 au grand dam d’EDF, le prix de l’Arenh sera peut-être revu à la hausse. Dans un rapport remis au gouvernement en septembre 2023, la CRE estime désormais que le coût complet de la production nucléaire en France en incluant l’EPR (European pressurized reactor) de Flamanville se situe entre 57 à 61 euros le mégawattheure. L’ANODE, qui regroupe certains fournisseurs alternatifs, est favorable à une juste revalorisation du prix de l’ARENH pour qu’il couvre les coûts de production réels du nucléaires. S’il augmente, c’est toutefois la facture des clients finaux qui sera impactée directement.  

Un bouclier de protection pour les consommateurs

Tandis qu’Alexandre Loubet accuse l’ARENH d’accroître les factures d’énergie des Français, c’est précisément l’inverse qui se produit actuellement. L’association de consommateurs UFC-Que choisir estime que le mécanisme a fonctionné comme un bouclier tarifaire pour l’ensemble des citoyens. A contrario, c’est une suppression sèche de l’ARENH qui engendrerait une augmentation mécanique de l’addition pour les particuliers. D’abord chez ceux qui souscrivent à des offres chez des fournisseurs alternatifs, soit un tiers d’entre eux, mais aussi chez les clients d’EDF. En effet, l’ARENH avantage également les bénéficiaires des tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVE) chez le producteur français historique puisque l’ARENH est pris en compte dans le calcul du tarif règlementé. D’après l’ANODE, le dispositif contribue théoriquement à « sanctuariser » en moyenne 67 % de la consommation des clients aux TRVE au prix 42 euros/MWh, le reste de l’approvisionnement de l’énergie se faisant sur les marchés.

Et si on supprimait l’ARENH ?

Alors que se passerait-il si le texte porté par Alexandre Loubet était voté ce jour ? D’après l’ANODE, appliquée à la lettre, la suppression de l’ARENH conduirait directement à une hausse des factures d’électricité : de plus de 70 euros/MWh HT pour les consommateurs résidentiels sur le reste de l’année 2023 et de plus de 90 euros/MWh HT en 2023 et 100 euros/MWh HT en 2024 pour les professionnels. Elle remettrait également en cause l’ensemble des mécanismes où intervient l’ARENH, à commencer par les tarifs réglementés de vente d’électricité et le bouclier tarifaire associé. 

Tout porte à croire que le parti de Jordan Bardella se trompe d’armes, et même de combat. Il semblerait que l’ennemi ne soit pas l’ARENH qui protège à ce titre les consommateurs, mais bien une pénurie de la production à bas coûts qui aggravent un marché de l’énergie en crise : l’indisponibilité des moyens de production nucléaire, le retard de déploiement des énergies renouvelables.

Mise à jour du vendredi 13 octobre

Les députés de la République sauvent l’Arenh

Comme lors de l’examen du texte en commission, les députés ont voté contre la proposition de suppression de l’Arenh, portée par le Rassemblement national le 12 octobre lors de sa niche parlementaire. Il est à noter que quatre députés du Modem ont choisi de ne pas voter en faveur de l’amendement visant à supprimer l’article premier, qui était proposé par la députée Renaissance Maud Bregeon. Le groupe communiste a décidé de ne pas participer au vote, de même que la majorité des membres de La France insoumise. Lors de la séance, un seul député des Républicains était présent et a voté contre l’amendement de suppression de Maud Bregeon. Le Rassemblement national a finalement retiré son projet après l’élimination des deux premiers articles. À noter également que Jean-Luc Fugit, président du Conseil Supérieur de l’Énergie et député de la Renaissance, a quitté la séance le jeudi 12 octobre pour rejoindre le Palais Bourbon et ainsi s’opposer au projet du Rassemblement national. 

Pour aller plus loin, retrouvez ici le compte-rendu des échanges des députés.

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