Derrière le greenwashing des organisateurs, les JO peuvent-ils être réellement soutenables ?

Par William Buzy , le 20 décembre 2023 - 6 minutes de lecture
Mascottes des JO Paris 2024. Crédit DIMITAR DILKOFF / AFP

Mascottes des JO Paris 2024. Crédit DIMITAR DILKOFF / AFP

Alors que les polémiques sociales se multiplient (sans-papiers sur les chantiers, transfert des sans-abris, logements étudiants réquisitionnés…), l’impact environnemental désastreux des Jeux Olympiques prend corps dans certains projets emblématiques, comme la tour du jury de l’épreuve de surf, à Tahiti. Pourtant, les spécialistes proposent de nombreux leviers pour des événements plus soutenables.

C’est une tour qui a fait beaucoup de vagues. Pas étonnant au cœur de l’un des spots mythiques du surf mondial, Teahupo’o, à Tahiti. Là où l’épreuve de surf des JO 2024 doit avoir lieu. Une tour démontable en bois y accueille habituellement le jury lors des compétitions internationales. Mais, pour répondre au cahier des charges très exigeant du Comité international olympique, une nouvelle structure était indispensable. Bizarrement, l’idée d’une nouvelle tour en aluminium, reposant sur 12 plots contenant chacun 3 à 6 micropieux métalliques, et reliée à la terre par une canalisation en fonte de 800 mètres pour acheminer l’eau, l’énergie, la fibre et évacuer les eaux usées, n’a pas fait rêver la population locale, inquiète de la dégradation des fonds marins et des nuisances pour la biodiversité du site.

La controverse a gonflé jusqu’à forcer les organisateurs à faire marche arrière, alors que le président de la Polynésie, Moetai Brotherson, envisageait de déplacer les épreuves vers un autre site. Dans le communiqué officiel, Paris2024 a finalement annoncé que « le projet d’une nouvelle tour plus sobre, fortement revue et réduite en taille et en poids a été jugé comme le meilleur scenario », tout en promettant « la poursuite du dialogue avec les associations, les habitants et l’ensemble des parties prenantes par le biais de réunions publiques régulières d’ici aux Jeux Olympiques ». Du dialogue et des compromis. « À un moment donné, il faut prendre une décision. C’est ça aussi être responsable », a déclaré Moetai Brotherson, tout en reconnaissant que la décision ne pouvait « évidemment pas plaire à tout le monde ».

Une promesse, peu d’éléments pour vérifier

Car tout ça n’est pas neutre, bien sûr, mais personne n’attendait des JO une neutralité impossible par essence. Les organisateurs veulent réduire « de moitié » les émissions de CO2 par rapport aux JO d’été précédents, et c’est déjà une belle promesse – qui n’engage que ceux qui y croient. Certains observateurs l’ont saluée, d’autres font remarquer que les détails ne se bousculent pas au portillon pour permettre une vérification indépendante.

Paris2024 prévoit l’émission de 1,58 million de tonnes équivalent CO2. De quoi se targuer de rester à bonne distance des 3,5 millions de tonnes rapportées en moyenne par Londres (2012) et Rio (2016), sans parler des 5 à 7 tonnes de la Coupe du monde de football au Qatar. Un bel effort ? La Coupe du monde de rugby, en France également, a émis deux fois moins et duré trois fois plus longtemps.

Difficile de ne pas trouver un peu légères les initiatives du comité (qui parle d’avoir recours à de l’électricité d’origine renouvelable ou de servir aux spectateurs des plats avec moins de viande…), quand on sait que les deux tiers des émissions d’un tel événement reposent en réalité sur les déplacements et les constructions.

Des solutions loin de faire l’unanimité

Mais peut-on réellement organiser de tels événements de manière soutenable ? Oui, pour Alexis Lepage du cabinet Sami, qui a notamment beaucoup étudié l’impact carbone de la Coupe du monde de rugby en France. À condition de mettre en place « des actions ambitieuses pour réduire les émissions ». « Il ne faut pas changer des choses à la marge, comme proposer des véhicules électriques pour se déplacer du stade à l’hôtel, mais repenser complètement l’événement. » Jusqu’à interdire les déplacements de supporters trop éloignés ? « Peut-être qu’il faut remettre ça en question. Déplacer des gens d’aussi loin, pour une période aussi courte, ce n’est pas soutenable. On a tendance à considérer que la vie que l’on mène actuellement est normale, alors que l’on dépasse nos limites planétaires. » À ceux qui clament que ce type d’événements doit être ouvert à tous, le consultant carbone oppose le coût d’un tel voyage. « Ce n’est pas un événement ouvert à tout le monde, contrairement à ce qu’on veut nous faire croire. Entre le prix du séjour et celui des places, ce sont généralement les plus riches qui se déplacent. »

Côté solutions, Alexis Lepage évoque une limitation à 1% des supporters provenant de pays lointains, un renforcement de la communication pour la vente des places aux pays limitrophes, voire des quotas. « Pour les Jeux Olympiques, on a mis en place des quotas de places pour favoriser certaines fédérations plutôt que d’autres, parce qu’on sait que les Américains, par exemple, dépensent beaucoup d’argent, donc on a plus intérêt à les faire venir. Peut-être qu’on pourrait repenser ces quotas par rapport à l’impact climatique et favoriser les gens qui sont proches de l’événement. »

Autre initiative possible : créer des Fan Zone décentralisées pour permettre à des supporters de se rassembler sans quitter leur pays. « Ce serait aussi un moyen de remettre un peu de justice sociale. Au lieu d’avoir 1 000 fans qui dépensent 10 000 euros pour assister à l’événement en France, on pourrait imaginer 100 000 supporters qui vivent l’événement ensemble sans prendre l’avion. » Un outil qui pourrait également permettre de répartir les recettes générées jusqu’à des dizaines de milliers de kilomètres de l’événement.

D’autres voix parlent de réduire la taille des Jeux, ou de faire tourner l’organisation entre des villes permanentes afin d’éviter les nouvelles constructions. « La neutralité carbone n’existe pas à l’échelle d’un événement, rappelle Alexis Lepage. On remarque d’ailleurs que pour les JO, l’expression, qui était présente au début, a complètement disparu des communications. » Paris2024 a en effet modifié son discours, qui parlait des JO « positifs » pour l’environnement, et tente désormais de valoriser ses actions pour limiter l’impact des Jeux, tout en promettant que « toutes les émissions qui n’auront pu être évitées seront compensées ». Mais comme toujours en pareil cas, ces mécanismes sont peu vérifiables et, là non plus, les organisateurs n’ont à ce jour pas donné beaucoup plus de précisions.

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William Buzy

Écrivain et journaliste, William Buzy a fondé le média Impact(s), spécialisé dans la journalisme de solutions, et fait partie d’un collectif adepte du journalisme littéraire et du documentaire. Auteur de plusieurs romans, il a également publié des récits et des essais sur le journalisme.

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