Investissements dans le nucléaire : « précieux » pour Bruno Le Maire, « hors sol » pour les ONG
« Le temps des grands projets nationaux est revenu » en matière de nucléaire, a estimé le ministre de l’Economie Bruno Le Maire jeudi à La Hague (Manche), dont les annonces ont été jugées « hors sol » et « absurdes » par des ONG environnementales.
« Une nouvelle page de l’industrie nucléaire va s’ouvrir. Le temps des grands projets nationaux est revenu », a lancé Bruno Le Maire, en annonçant notamment que la durée de vie des deux usines françaises de recyclage de combustible nucléaire, situées à La Hague (Manche) et Marcoule (Gard) sera étendue « au-delà de 2040 ».
Une décision prise par « le président de la République (qui) a décidé de poursuivre la politique de traitement et de recyclage du combustible au-delà de 2040 » lors du conseil de politique nucléaire qui s’est tenu le 26 février, a précisé Bruno Le Maire, sans toutefois chiffrer les dépenses.
Sobriété, efficacité, renouvelables, nucléaire
Bruno Le Maire, qui visitait le site d’Orano de La Hague au côté du ministre délégué chargé de l’Industrie Roland Lescure, a fait part du lancement d’études pour construire « deux nouvelles usines à La Hague, pour la fabrication de combustible recyclé MOX et le retraitement ». « Rien n’est plus précieux que l’indépendance », a insisté le ministre, en saluant « l’excellence nucléaire française » et sa maîtrise de « l’intégralité du cycle » du combustible, de la production au retraitement. Pour le ministre de l’Economie, « l’indépendance énergétique de la France » passe par trois leviers : « sobriété et efficacité, les renouvelables, et le nucléaire avec la réalisation de six nouveaux EPR ».
Le directeur général d’Orano Nicolas Maes a salué un « événement historique ». L’usine Orano de la Hague, qui emploie 5 700 personnes, a « traité » 40 000 tonnes de combustibles nucléaires usés venant du monde entier depuis 1976. La matière valorisable (96%), uranium et plutonium, est renvoyée à l’opérateur de la centrale comme nouveau combustible. Le reste, produits de fission et déchets ultimes non valorisables, sont soit vitrifiés et entreposés sur place, soit rejetés sous forme gazeuse dans l’atmosphère ou liquide dans la Manche, « sans impact sur la santé » selon la communication du groupe.
« Une fuite en avant »
Pour Yves Marignac, porte-parole de l’association négaWatt, qui prône la sobriété énergétique , ces annonces ne sont « pas une surprise » mais « n’en restent pas moins absurdes ». Il s’agit, selon lui, d’« une fuite en avant ». « Il n’existe aucune perspective sérieuse de déploiement massif de réacteurs capables d’utiliser les ‘matières valorisables’, et la prolongation des usines jusqu’en 2040 n’est absolument pas acquise techniquement aujourd’hui », a-t-il détaillé à l’AFP. Le cycle du combustible n’a conduit qu’à « une accumulation de matières sans emploi », avec des problèmes croissants de saturation des entreposages, a-t-il poursuivi.
Questionné sur ce sujet durant la visite, le directeur d’Orano Nicolas Maes a indiqué qu’il n’y avait pas de « saturation », mais « ne pas connaître par coeur » le taux d’occupation des piscines d’entreposage de déchets nucléaires à la Hague, qui servent à faire diminuer leur radioactivité avant traitement.
Jusqu’en 2040 ?
« Ce sont des annonces hors sol et purement politiques » a pour sa part estimé Yannick Rousselet, consultant chargé de la campagne nucléaire à Greenpeace France, « on perd déjà de l’argent sur le retraitement donc qui va sortir les milliards pour financer les deux nouvelles usines ? ». « 2040 est une date fixée arbitrairement par le politique et qui n’a rien à voir avec la durée de vie normale d’une usine de recyclage du combustible qui est de 30 ans », a dénoncé ce spécialiste des questions nucléaires, « l’usine de la Hague est déjà très usée, la question qu’on devrait se poser c’est plutôt est-elle en capacité d’aller en 2040 ? ».
La maire de La Hague Manuela Mahier s’est pour sa part montrée « très vigilante » sur une extension de l’activité du site, s’interrogeant sur la capacité d’accueillir plus de travailleurs du nucléaire « en zone littoral, sur un site classé avec l’objectif zéro artificialisation des sols ».
(Avec AFP)
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