Kareen Guiock-Thuram : « Nous vivons au-dessus des moyens de la Terre »
De son enfance dans un petit village paisible de Guyane accessible exclusivement en pirogue au brouhaha ambiant de la métropole, Kareen Guiock-Thuram a toujours eu cette conscience sur les enjeux environnementaux. Elle tente chaque jour d’aligner son comportement en limitant la surconsommation mais reconnaît avoir un goût pour la conservation, ennemie du recyclage.
Êtes-vous éco-anxieuse ?
Oui en effet. Impossible d’échapper aux signes d’une Terre meurtrie. Le climat a notablement changé depuis mon enfance, en région parisienne, en Guyane et en Guadeloupe, où j’ai grandi. Cela nourrit nécessairement une angoisse profonde.
Êtes-vous dans la culpabilité en tant que consommatrice ?
Bien sûr, puisque j’ai aussi une responsabilité en tant que consommatrice. Nos habitudes, notre confort, nos caprices, les envies compulsives, qu’elles soient d’ordre vestimentaire, alimentaire nous rappellent à quel point nous avons été conditionnés à consommer sans s’interroger. Une illusion d’abondance et de ressources illimitées. Parfois je suis prise de vertiges lorsque je regarde les dizaines de boutiques dans une simple rue commerçante ou les rayons des hypermarchés. Rapporté à l’ensemble des commerces du monde entier, c’est évident que nous vivons au-dessus des moyens de la Terre.
J’ai l’obligation d’être consciente des enjeux. La situation est beaucoup trop préoccupante pour ne pas prendre de recul et m’interroger sur l’impact que j’ai à mon propre niveau. Nous n’avons pas choisi d’être vivant, mais nous devons gratitude à la Nature qui nous maintient en vie. Alors comment l’honorer sans l’abîmer ?
Quels sont vos gestes simples mais efficaces en matière d’environnement ?
Limiter le plus possible le shopping compulsif ou encore le gaspillage. Combien de fois nous achetons de la nourriture en trop grandes quantités et la date de péremption arrivée, ces produits alimentaires finissent à la poubelle. Ça me désole particulièrement quand il s’agissait d’un être vivant, un animal par exemple. Je me dis, pauvre bête… Non seulement, elle a grandi dans des conditions probablement pénibles mais en plus, sa souffrance n’aura donné satisfaction à personne puisqu’elle finit à la poubelle. Réduite à être consommée, sa chair ne l’aura pourtant pas été. Elle aura vécu pour rien. Cela semble un peu perché, mais c’est profondément ce que je ressens.
Quels gestes avez-vous complètement banni de votre quotidien ?
Les achats alimentaires très en amont. Je fais les courses plusieurs fois par semaine. Ce n’est pas un plaisir, mais j’achète ce dont j’ai vraiment besoin. Je ne consomme de viande que très occasionnellement. J’évite les très longues douches ou les bains, de prendre l’avion quand je peux prendre le train. Ce sont de toutes petites choses mais je tâche d’être attentive à tout ce que je fais.
Qu’est-ce qui vous a donné le deklic green ?
J’étais très très jeune quand j’ai eu un regard critique sur notre désinvolture. Mon premier choc, de mémoire : voir quelqu’un jeter une canette de soda par la fenêtre de sa voiture. Quand j’étais enfant, les amoncellements en bord de route étaient presque la norme. Cela me semblait aussi laid qu’irrespectueux pour l’environnement. J’ai été sensibilisée à cela au collège en Guyane et au lycée, en Guadeloupe. L’éducation joue un rôle majeur.
Qu’est ce qui n’est pas écologique chez vous ?
Je suis très conservatrice. Je garde tout, les papiers de soie des emballages, les sacs, les vieux téléphones, dictaphones, des vêtements du lycée, dans lesquels je rentre encore mais qu’il n’est plus raisonnable de porter (rire)… En réalité, je devrais me séparer de beaucoup de choses pour qu’elles rejoignent le circuit du recyclage. L’affectif est le grand ennemi de l’environnement pour moi.
Comment vous déplacez-vous ?
Principalement en métro, à pied ou en taxi, selon les distances. J’ai une voiture, mais j’ai trop peur de perdre ma place de stationnement et de ne plus réussir à me garer, sans tourner pendant 72h dans mon quartier. C’est un non-sens d’avoir une voiture pour garder une place, je sais…. J’ai longtemps travaillé très tôt le matin, je l’utilisais alors quotidiennement.
C’est quoi pour vous être écolo ?
Être conscient des enjeux environnementaux et aligner son comportement. Comportement qui peut évoluer bien entendu avec sa compréhension des problématiques. J’achète moins de vêtements aujourd’hui parce que je mesure que le prix réel d’un t-shirt n’est pas celui que je paie. Et parce que j’accepte aujourd’hui de me dire qu’en réalité, je n’en ai absolument pas besoin.
Quelles sont les premières étapes pour faire bouger chaque citoyen ?
J’ai quand même le sentiment que la prise de conscience est vaste et que chacun est habité par une bonne volonté concrète. Certains font moins que d’autres mais le peu qu’ils font doit être noté. Les politiques publiques devraient, dans l’avenir, inciter les citoyens à faire davantage.
Quelles sont les remarques les plus absurdes et récurrentes que vous entendez autour de vous sur l’écologie ?
Je dois être bien entourée, parce que je n’entends plus d’aberrations sur l’écologie. Dans mon environnement, je sens l’inquiétude et l’envie de bien faire. Ou en tout cas, de faire mieux.
Comment expliquez-vous qu’encore autant d’êtres humains ne se sentent pas concernés par l’avenir de notre planète ?
L’illusion de l’abondance est tellement puissante. Nous avons cultivé dans les sociétés occidentales en particulier le sentiment que tout nous était permis et dû. Et soudain, on vous explique qu’il faut vous restreindre, vous limiter. Cela vient, chez certains, percuter un sentiment de liberté absolument biaisé, mais pourtant bien enraciné.
Se dire : je ne peux pas faire ce que je veux est antinomique, contradictoire et pour certains inaudible. Nous avons besoin d’être rééduqués. Ce sont les piliers de notre société qui sont inadaptés à la réalité.
Selon vous, où en serons-nous dans 50 ans ?
La Nature ne nous laissera pas le choix, nous devrons revoir en profondeur notre logiciel et le rapport que nous avons avec elle.
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