Le zéro déchet est-il « has been » ?
La tendance du zéro déchet est-elle en voie d’extinction ? Si les gestes individuels gardent leurs adeptes, la tendance à l’action collective voire « radicale » semble prendre le pas au sein de la jeunesse militante écologiste.
Comment fabriquer son éponge lavable ou « tawashi », quel coton démaquillant lavable utiliser, comment faire ses courses sans aucun emballage ? Dans les années 2010, les articles, blogs et conseils relatifs au zéro déchet et aux gestes écologiques fleurissaient sur internet, dans la lignée du bloc de Béa Johnson, Française expatriée en Californie, aficionado du zéro déchet, et autrice du livre « Zéro déchet ».
Ces dernières années, les conseils et comptes Instagram « écolo » ne semblent plus traiter autant de ces sujets, ou ont évolué pour traiter d’écologie sous un autre prisme. C’est le cas notamment du compte de Camille Chaudron, ou Girl Go Green, qui a plus de 100 000 followers sur Instagram. Des astuces zéro déchet, Camille, qui vit aujourd’hui en communauté, est passée à des actions ou publications autour de la « désobéissance civile, d’actions à impact, d’actions politiques ». « On est sorti des micro-actions individuelles et de la démarche colibri pour aller vers plus de démarches collectives », résumait-elle à propos de son compte dans une interview accordée à Deklic.
Vers une action collective
Cette évolution vers un militantisme plus collectif qu’individuel en matière d’écologie est-elle un phénomène plus général ? Il semble que oui, si on en croit ce que disent les experts de la question. Ainsi, Stéphane La Branche, sociologue du climat et chercheur évoque dans une étude menée avec Élisa Gravier la « radicalisation » de l’engagement écologique des jeunes : « ces cinq dernières années ont certes été marquées par une jeunesse engagée pour le climat non seulement à travers des changements dans les gestes quotidiens, mais aussi à travers un engagement fort sur la scène publique, réclamant des changements drastiques dans notre mode de vie et notre modèle de développement, souvent renvoyant à des arguments liés à la collapsologie », peut-on y lire.
Blocages de routes, grèves comme celles menées par l’activiste célèbre Greta Thunberg, Fridays for Future, jets de sauce tomate sur des œuvres d’art, interruptions de meetings organisés par de grandes multinationales, ou dernièrement débâchages de méga-bassines, organisés entre autres par Les Soulèvements de la Terre, le mouvement écologiste fondé en 2021 que le gouvernement a récemment tenté de dissoudre. Les actions coups de poing se multiplient.
Invitée par France Inter lors d’une émission intitulée « La radicalité écologique est-elle le meilleur moyen pour faire avancer le combat écologique ? », une porte-parole des soulèvements de la Terre, Léna Lazare, résumait ce nouvel état d’esprit : « On n’arrivera pas à une société juste et écologique uniquement par les gestes individuels. Selon moi, il n’y a pas d’autre choix que de s’engager dans une action collective ». Ce changement de perspective, Stéphane La Branche, invité de la même émission, le date aux alentours des années 2015-2016. Une évolution due notamment au constat par les activistes de l’inaction de l’État face au changement climatique.
Quand marcher ne suffit pas
Dans leur livre sorti en mars 2023, intitulé L’affrontement qui vient, Anthony Cortes et Sébastien Leurquin évoquent la période des « marches pour le climat » qu’ils situent entre 2014 et 2019, lorsque des milliers de personnes se rassemblaient dans les villes pour des marches pacifiques pour le climat et expliquent qu’en marge de ces rassemblements des mouvements « aux modes d’action plus durs » sont nés. Ils citent ainsi « Extinction Rébellion », né en 2018 ou « Dernière Rénovation », mouvement créé plus récemment, qui prônent la désobéissance civile « pour empêcher que la Terre ne devienne inhabitable », venant s’ajouter aux acteurs historiques tels que Greenpeace. Dans cet ouvrage, les deux journalistes spécialistes de la question pointent également la répression de l’État face à ce que les autorités qualifient parfois d’ « écoterrorisme ».
Pourtant c’est bien à l’État que les militants demandent aujourd’hui d’agir. « Si chacun fait des petits gestes au quotidien, ça ne règlera que 30 % du problème, posait Laurence Veyne, directrice adjointe de Greenpeace France, au micro de France Inter. Aujourd’hui, la responsabilité est clairement du côté de l’État pour contraindre les entreprises à réduire drastiquement les gaz à effet de serre. Quand on voit qu’on a encore des multinationales dont le modèle économique est basé à 90 % sur les énergies fossiles comme Total, et qu’on continue à subventionner et à investir dans ces secteurs, on comprend que c’est aux politiques d’agir. »
Selon le dernier rapport du GIEC, il sera très difficile d’atteindre l’objectif d’un réchauffement de 1,5 à 2°C visé par l’accord de Paris, si l’on continue d’investir dans les énergies fossiles. Un objectif que l’État ne semble pourtant pas si pressé d’atteindre.
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