Paye Ton Influence alerte les influenceurs sur les enjeux écologiques

Par Gaëlle Coudert , le 24 juillet 2023 — engagement écologique, influenceur.se, interview - 8 minutes de lecture
Amélie Deloche, cofondatrice du collectif Paye Ton Influence

Amélie Deloche, cofondatrice du collectif Paye Ton Influence, Crédit Paye Ton Influence

Amélie Deloche, 28 ans, est l’une des cofondatrices du collectif Paye Ton Influence, créé en 2021, qui vise à sensibiliser le monde de l’influence sur le poids écologique de ses actions. Entre autres, voyages en jet privés, consommation à outrance ou organisation de jeux concours pour faire gagner aux followers des séjours à l’autre bout du monde sont dans le viseur. La jeune cofondatrice nous raconte la genèse du collectif.

Comment l’idée de créer le collectif Paye Ton Influence vous est venue ?

On a créé le collectif officiellement en décembre 2021. On a sorti le compte Instagram, qui est un peu notre vitrine aujourd’hui. Nous sommes quatre fondatrices. Sur les quatre, on n’est plus que deux à être encore engagées (Carla et Amélie, auxquelles Léa et Mathis se sont rajoutées depuis – ndlr). On faisait toutes partie du collectif Pour un réveil écologique (crée par des étudiant.e.s et jeunes diplômé.e.s – ndlr). Au sein de ce collectif, il y avait pas mal de réflexions sur comment toucher les personnes à l’extérieur de nos cercles. Le sujet des influenceurs est venu assez rapidement. Pendant plusieurs mois, on s’est demandé comment on pourrait soit utiliser des influenceurs pour porter nos messages, soit apporter une régulation sur le secteur de l’influence. Finalement, on a décidé de montrer l’impact écologique de ce secteur et d’essayer de lancer une dynamique de transition.

Comment procédez-vous pour interpeller les influenceurs ?

On fait plusieurs choses. On crée du contenu sur notre compte Instagram pour faire de la sensibilisation sur les questions écologiques en lien avec le monde de l’influence et mettre en avant des réflexions sur comment le milieu de l’influence pourrait arriver à plus de responsabilité écologique. Ensuite, on essaie aussi d’aller réveiller les influenceurs. On met parfois des commentaires sous certains posts avec un objectif toujours pédagogique, par exemple pour expliquer qu’un concours pour gagner un billet d’avion n’est peut-être plus pertinent. On essaie aussi d’engager le dialogue avec les créateurs de contenu. L’idée c’est vraiment de comprendre aussi leurs fins, comprendre pourquoi ils ne s’engagent pas. Au-delà d’Instagram, on a aussi fait des actions avec d’autres associations comme The Shift Project ou Ma petite planète sur les questions d’influence. Nous avons aussi eu l’opportunité de porter notre plaidoyer au niveau institutionnel. On a travaillé notamment avec le ministère de l’Économie et les députés sur les questions d’influence responsable au moment de la proposition de loi (voir la loi du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux – ndlr). Nous voulons être un lanceur d’alerte mais aussi proposer des réponses et solutions.

Ces solutions, quelles sont-elles ?

Ce qui nous semble absolument indispensable aujourd’hui, c’est la sensibilisation. La formation des influenceurs aux enjeux écologiques, c’est une base pour leur faire comprendre qu’il est nécessaire de s’engager sur ces questions-là. On espère aussi faire comprendre aux influenceurs, aux marques ou aux agences qu’ils ont une responsabilité ; que l’influence est aujourd’hui un secteur en croissance exponentielle et qui a un impact absolument délétère sur l’environnement. C’est un secteur qui parle à des millions de gens au quotidien et qui pousse certains imaginaires de consommation et de mode de vie. On a rédigé une charte éthique de l’influence à destination des influenceurs. Cette charte éthique leur permet d’accéder à une série de choses qu’ils peuvent mettre en place en fonction de leur ambition, par exemple arrêter de faire des voyages presse qui nécessitent de prendre l’avion ou travailler avec plus de marques éthiques. Le gouvernement a aussi lancé un guide de bonnes pratiques, disponible sur le site du ministère de l’Économie. On y apparait, on y a intégré de bonnes pratiques à destination des influenceurs.

Qui sont les divers acteurs du milieu de l’influence ?

Le secteur de l’influence inclut principalement les créateurs de contenu, les marques, les agences d’influenceurs, les agences de communication qui font du marketing d’influence ou encore les plateformes de réseaux sociaux qui hébergent le marketing d’influence. Il y a un autre acteur auquel on s’adresse beaucoup, c’est l’audience, qui a besoin d’avoir aussi une forme de sensibilisation et de prise de recul par rapport à ce qu’elle voit sur les réseaux. Il est aussi important de faire en sorte que le public puisse être beaucoup plus alerte sur ce qui est promu sur les réseaux sociaux.

Est-ce que vous sentez que les comportements évoluent ?

Depuis un an et demi, beaucoup de choses ont changé. On met une certaine pression sur les influenceurs. La création de Paye ton Influence a permis à certains de se poser des questions sur le modèle d’influence qu’ils mettaient en avant, sur l’impact concret de leur métier. Au début, on était beaucoup ignorées par les influenceurs. Aujourd’hui, il y a plus un enjeu de justification. Ils vont se justifier de prendre l’avion, de choisir telle ou telle marque alors qu’avant ils se sentaient un peu plus en impunité par rapport à leur mode de vie. C’est ça qui a changé. Il y a aussi une réalité climatique qui fait qu’une partie des influenceurs a pris conscience de certaines choses. Mais ça reste une prise de conscience à la marge, qui ne touche qu’une partie du secteur. En ce moment, comme dans la société actuelle, il existe deux mouvements principaux : une influence qui veut évoluer vers plus d’éthique et de responsabilité écologique, et en parallèle une influence qui reste du business as usual très agressive au niveau du marketing, qui se développe principalement sur Tiktok.

Selon vous, qu’est ce qui fait que le monde de l’influence a du mal à changer ses habitudes ?

La première raison, c’est que la plupart des gens ne sont pas sensibilisés ou formés et quand ils le sont, ils ne le sont pas assez. Il y a un manque de compréhension du lien entre leur activité et les enjeux écologiques. Il y a aussi concrètement un enjeu de business model, car une influence plus responsable implique de se couper de certaines mannes financières comme les grosses industries, qui vont payer le plus, notamment celle de la fast fashion. Un autre enjeu est de remettre en question son confort. Les influenceurs, en tout cas ceux qui sont suivis aujourd’hui, ont un très gros pouvoir d’achat, la capacité de beaucoup voyager et de beaucoup consommer. Ils le font aussi au travers de leur influence. Devenir un peu plus responsable c’est se couper aussi de ce niveau de vie-là, ou alors décider d’en sacrifier une partie pour des questions écologiques. Le dernier enjeu est celui de l’audience. On se rend compte qu’une partie de l’audience attend de plus en plus des influenceurs qu’ils s’engagent sur des questions écologiques, mais la majorité n’a pas cette attente-là. Ce que l’on sait, c’est qu’on a un discours entendu et compris par les influenceurs. Mais le problème est : comment trouver un équilibre financier entre influence responsable et influence classique ?

Avez-vous bon espoir que cela évolue positivement ?

Oui, je pense que pas mal de choses sont en train de bouger. Puis, une certaine forme de réalité se rappelle à nous chaque année avec les pics de chaleur et de manière générale, tout ce qui se passe en termes de répercussions liées au dérèglement climatique. Indéniablement, ça va évoluer. Le problème, c’est le temps de retard par rapport à l’urgence d’agir. En réalité, le secteur de l’influence est à l’image de tous les secteurs économiques. Il répond toujours quelques années trop tard, il faut des faits choquants pour faire bouger les choses.

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Gaëlle Coudert

Ancienne avocate parisienne reconvertie en journaliste basée dans les Pyrénées-Atlantiques, Gaëlle s’est spécialisée sur les sujets liés à l'écologie. Elle a cofondé le magazine basque Horizon(s), a été rédactrice en chef d'ID, l’Info Durable et rédige aujourd’hui des articles pour divers médias engagés dont Deklic. Ses passions : le sport (surf, yoga, randonnée) et la musique (guitariste et chanteuse du groupe Txango)

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