Plainte contre TotalEnergies : les associations peuvent-elles stopper les projets pétroliers de la firme ? Interview !

Par Virginie Hilssone-Levy , le 6 octobre 2023 - 7 minutes de lecture
Un manifestant prend en photo une affiche d'attac (Association pour la fiscalité des transactions financières et pour l'action citoyenne) qui montre un portrait de Patrick Pouyanne, président-directeur général de la société TOTAL. Crédit AMAURY CORNU / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP

Un manifestant prend en photo une affiche d’attac (Association pour la fiscalité des transactions financières et pour l’action citoyenne) qui montre un portrait de Patrick Pouyanne, président-directeur général de la société TOTAL. Crédit AMAURY CORNU / HANS LUCAS / HANS LUCAS VIA AFP

Une plainte au pénal contre le groupe TotalEnergies a été déposée par plusieurs associations de défense de l’environnement, qui accusent le groupe pétrolier d’homicide involontaire. Marine Calmet, présidente de l’une d’entre elles, nous explique ce que cette affaire pourrait changer. 

C’est un procès inédit qui concerne l’une des plus grosses entreprises au monde. 

Quatre associations de défense de l’environnement, Darwin Climax Coalition, Sea Shepherd France, Wild Legal, et Stop EACOP-Stop Total en Ouganda, ont déposé plainte contre TotalEnergies pour son action dans le « dérèglement climatique ». 

La plainte a été remise au tribunal judiciaire de Nanterre, vendredi 22 septembre et celle-ci vise quatre infractions : « homicide involontaire et atteintes involontaires à l’intégrité physique », « abstention de combattre un sinistre », « atteintes involontaires à l’intégrité de la personne » et « destruction, dégradation ou détérioration de bien appartenant à autrui de nature à créer un danger pour les personnes ».

Selon les associations, c’est la première fois qu’une action est menée en justice au pénal contre le géant pétrolier « pour des faits s’apparentant à un climaticide ». 

Celles-ci reprochent également au groupe de ne pas vouloir stopper ces investissements  dans les énergies fossiles. Le 27 septembre, à New-York, Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, avait en effet annoncé que son entreprise allait augmenter sa production de gaz et de pétrole de 2 à 3 % par an durant cinq ans. Ceci grâce à des projets gaziers au Qatar, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, aux États-Unis, et pétroliers au Brésil, dans le golfe du Mexique, en Irak et surtout en Ouganda et Tanzanie. 

Récemment, la firme avait en effet annoncé avoir obtenu un accord d’investissement de 10 milliards de dollars avec l’Ouganda, la Tanzanie et la compagnie chinoise CNOOC, pour la construction d’un oléoduc chauffé (EACOP) de 1 443 kilomètres reliant les gisements du lac Albert, dans l’ouest de l’Ouganda, à la côte tanzanienne sur l’océan Indien. Le groupe prévoit également le forage de près de 400 puits de pétrole dans le parc naturel des Murchison Falls, une remarquable réserve de biodiversité et plus grand parc national d’Ouganda.

Le réchauffement climatique étant causé par l’utilisation des énergies fossiles, tout nouveau projet d’investissement dans ce secteur nous éloigne de notre maintien d’une température mondiale a 1.5°C de l’Accord de Paris.

Pour l’heure, l’affaire n’en est qu’au stade de la plainte déposée. Mais les avocats des associations attendent du parquet de Paris l’ouverture d’une enquête. Est-ce que cette affaire pourrait marquer un coup d’arrêt aux projets pétroliers de la firme ?

Interview de Marine Calmet, la présidente de l’association Wild Legal

Pourquoi cette plainte est-elle inédite par sa forme ?

Nous en avions déjà déposé une en octobre 2020 pour pratique commerciale trompeuse. Une enquête avait d’ailleurs déjà été ouverte en décembre 2021 par le pôle économique et financier du parquet de Nanterre. A ce moment, nous dénoncions les éléments de langage et de communication de TotalEnergies qui masquent ces impacts en termes de bilan carbone. Elle se présente comme un leader des énergies renouvelables alors que c’est tout simplement un criminel climatique. Mais cette nouvelle plainte dénonce désormais leurs investissements en cours dans les énergies fossiles et les conséquences que cela pourrait avoir. Nous attaquons en fait sur tous les fronts. Cette fois-ci nous nous appuyons sur l’article qui mentionne “l’abstention de combattre un sinistre”. A la base, cet article n’a pas été pensé pour des sinistres s’inscrivant dans le cadre de la crise climatique. Il n’y a donc aucune jurisprudence sur cet article, c’est donc une grande première. 

Quel est votre objectif ? Cette plainte peut inciter à changer de stratégie ? 

Nous attendons une décision de justice qui sanctionne TotalEnergies. Ainsi, celle-ci pourrait par la suite faire jurisprudence et sanctionner d’autres entreprises qui auraient pour projet d’investir dans les énergies fossiles. Cela pourrait questionner leur vulnérabilité juridique et en dissuader d’autres qui verdissent leur image sans verdir leur action.

Fin 2019 déjà, Les Amis de la Terre, Survie et quatre associations ougandaises avaient assigné TotalEnergies en justice. Ils reprochaient à l’entreprise de mener son projet au mépris des droits humains et de l’environnement. Elles avaient été déboutées en février dernier par le tribunal de Paris qui reprochait aux ONG de ne pas avoir suffisamment exploré la voie du dialogue avec le géant pétrolier avant de saisir la justice. Est-ce que vous, vous avez tenté d’entrer en contact avec eux ? 

Non, car dans le cas de cette affaire, cette décision a été prise dans le cadre d’une plainte au civil dans le cadre d’une réparation et donc le juge peut demander à ce qu’il y ait un dialogue. Nous avons saisi le pénal pour que la justice les sanctionne sans nous demander de dialoguer. Nous sommes vraiment dans une démarche offensive. 

Il y a les marches, il y a les pétitions, mais il y a aussi désormais les recours en justice qui deviennent de plus en plus fréquents. Une arme de plus, mais est-ce que celle-ci peut-être une des plus efficaces selon vous ? 

C’est une arme indispensable quand elle est pensée en complémentarité avec les autres. On ne peut pas mettre sur les épaules du juge la seule responsabilité de cette décision. C’est un outil d’une puissance monumentale mais qui ne peut pas être utilisé seul.

Il est désormais devenu indispensable parce que le pouvoir exécutif ne répond plus aux attentes des citoyens et qu’il prend surtout de très mauvaises décisions. 

On le voit avec l’annulation de 15 projets de retenues d’eau par la justice administrative, qui pointent leur inadaptation aux effets du changement climatique. Mais il est important de rappeler que la justice ne peut pas faire son travail sans les citoyens, un juge ne peut pas s’auto-saisir. Tout ça repose donc sur la force et le courage des citoyens.

De son côté, TotalEnergies « n’a pas connaissance de cette plainte et ne sait pas ce qu’elle vise », affirme-t-on du côté de l’entreprise. « La Compagnie mène ses opérations en conformité avec ses standards d’opération et avec les lois et règlements. Elle répondra aux demandes des autorités le cas échéant », a-t-elle ajouté.
Espérons pour ses quatre associations, et pour nous tous, qu’à terme, cette plainte est une issue similaire à celle du groupe Shell, condamné en 2021 par la justice néerlandaise à diminuer de 45 % ses émissions de CO2 d’ici à 2030.

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Virginie Hilssone-Levy

Virginie Hilssone-Lévy est journaliste, présentatrice spécialisée en météo, climat environnement pour différents chaînes de televison ou radio comme BFM TV, Mouv et FranceInfo. Elle crée du contenu digital sur ces thématiques qui la passionne sur ses réseaux ou pour celui de différents médias dont Deklic. Ses passions : la lecture, le sport et son chien Brooklyn.

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