Point de basculement : qu’est-ce que c’est ?

Par Wanis Cassim , le 30 septembre 2024 — éducation, pollution, réchauffement climatique - 10 minutes de lecture

Le point de bascule arrive quand une situation change. C’est un concept qui peut servir dans la vie de tous les jours comme dans un système. On peut en parler quand une tendance pousse à un changement soudain et parfois irrémédiable. Le point de basculement porte la même signification conceptuelle.

En climatologie, ce concept est utilisé pour décrire un changement important dans un écosystème, ou dans l’environnement en général.

Pourquoi parler de points de basculement concernant l’environnement ? Quels sont-ils ? Existent-ils réellement des seuils objectifs et mesurables à ne pas franchir au risque de voir le monde changer drastiquement ? 

C’est à ces questions que nous allons tenter de répondre ensemble ! Alors, enfilons nos plus belles lunettes de scientifiques pour partir à la rencontre des points de basculement climatiques ! 🧑‍🔬

Le point de basculement, c’est quoi ?

Le point de basculement représente le moment où le vase déborde. Le moment où le barrage rompt. Le moment où l’orage se met à gronder. 

C’est une évolution à un autre stade. Un stade qui, très souvent, est irréversible. On parle alors de point de non-retour. 

Prenons un exemple pour illustrer cela. 

❄️ La fonte de la calotte glaciaire du Groenland est en cours. Une fois que la calotte aura complètement disparu, personne n’ira installer des souffleurs de neige artificielle pour la reconstituer. Elle sera donc perdue pour toujours (ou jusqu’à la prochaine ère glaciaire, ce qui ne risque pas d’arriver ces 2 000 prochaines années).

Les points de basculement en climatologie sont nombreux (on en décompte 16 grâce à une étude parue dans Science). Certains peuvent même être atteints avant le fameux seuil des 1,5°C d’augmentation de la température terrestre moyenne.
🌐 Les limites planétaires illustrent le même phénomène. Le point de basculement est alors la limite à ne pas franchir.

Un effet domino dévastateur

Dans l’étude des points de basculements, il faut prendre en compte la planète comme un tout. Les différents écosystèmes sont interconnectés et le basculement d’un écosystème peut entraîner le déclin d’un autre. 

🌴 L’extinction de l’Amazonie pourrait avoir des conséquences directes sur le réchauffement de l’atmosphère terrestre. Sans le “poumon” de la terre, qui est aussi un puits de carbone formidable, ce gaz, en partie responsable du réchauffement, serait alors en plus grande quantité dans l’air, entraînant une accélération de la déforestation due à la sécheresse et d’autres conséquences néfastes.

Les points de basculements

Les points de basculement mis en évidence par l’étude parue dans Science sont au nombre de 16.

La fonte des glaces

Voilà un des effets les plus connus du réchauffement climatique car il est observable pour toutes et tous. Parmi les points de basculement concernant la fonte des glaces, on retrouve : 

  • La désintégration de la calotte glaciaire du Groenland
  • La destruction des bassins sous-glaciers d’Antarctique
  • La fonte des calottes glaciaires Antarctique Ouest
  • L’effondrement du permafrost boréal
  • La perte de glace en mer de Barents
  • Le dégel brusque du permafrost boréal
  • La fonte des glaciers en montagne
  • L’effondrement de la cryosphère arctique
  • La fonte de la calotte glaciaire de l’Antarctique oriental

Pour nous rendre compte des conséquences à prévoir en cas de survenue d’un de ces points de basculement, prenons quelques exemples.

🏺 La destruction des bassins sous-glaciers de l’Antarctique serait une catastrophe pour le climat et l’étude de la planète. En effet ces zones renferment un monde tel qu’il était il y a plusieurs millénaires et permettent de mieux comprendre notre planète.

🥶 L’effondrement du permafrost boréal arrivera éventuellement si la température atteint plus de 5°C au-dessus des moyennes préindustrielles. A ce stade, ce sont des sols extrêmement riches en matière organique qui seront menacés. Selon Sergueï Zimov, spécialiste du permafrost boréal, il y a deux fois plus de matière organique dans notre permafrost que dans toute la flore de la planète. Plus encore, le permafrost renferme une grande quantité de méthane, gaz très nocif pour l’environnement de par son effet de serre supérieur au dioxyde de carbone, et qui serait libéré à la fonte du permafrost.🏔️ La fonte des glaciers en montagne entraîne des dangers climatiques et immédiats. En effet, la fonte des glaces au sommet des montagnes engendre des éboulements de terrains et des avalanches qui peuvent toucher les habitations et les amateurs-ices de monts enneigés.

Les points de basculement maritimes

  • L’extinction des barrières de corail
  • L’arrêt de la circulation méridienne en Atlantique
  • La circulation atmosphérique en mer du Labrador

🪸 La Grande barrière de corail est la plus grande structure vivante de la planète avec ses 344 400 km² ! En plus d’être un trésor inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, c’est un véritable paradis de la biodiversité. Elle est menacée par le tourisme, les espèces invasives et le réchauffement climatique.

🌬️ L’arrêt de la circulation méridienne en Atlantique pourrait avoir de lourdes conséquences. Cet ensemble de courants marins participe en effet à la régulation de la température sur notre planète. Le climat assez doux en Europe est ainsi, en partie, la conséquence de ces courants marins. Sans eux, la météo pourrait donc bien changer !🧊 La circulation atmosphérique en mer du Labrador est réputée pour sa masse d’eau froide et riche en oxygène. Ce courant participe à réguler la température. Une déviation de celui-ci depuis plus de 20 ans engendre un réchauffement de la température et une acidification des eaux.

Les points de basculement de la flore

  • L’extinction de la forêt amazonienne
  • Le déplacement des forêts boréales du Sud
  • Le déplacement des forêts boréales du Nord
  • Le bouleversement de la végétation au Sahel et de la mousson ouest-africaine

🌲Le déplacement des forêts boréales du Sud est un problème majeur. Si le point de basculement n’est pas encore atteint, les plantes migrent d’ores et déjà pour tenter d’échapper aux changements climatiques. Ainsi, on observe un lent déplacement de la flore vers le nord. Plus encore, la fonte des glaces peut entraîner la formation de courants qui transportent les graines beaucoup plus loin et plus rapidement, changeant les écosystèmes en place.🏜️ Le bouleversement de la végétation au Sahel et de la mousson ouest-africaine est en partie dû à la politique de reforestation de la région. En effet, avec plus d’arbres, les scientifiques prédisent une augmentation des précipitations, prouvant ainsi que la végétation joue un rôle dans le climat d’une région. Ce changement pourrait avoir des conséquences sur les phénomènes climatiques comme El Nino.

Les points de bascule positifs pour lutter contre les points de bascule négatifs ?

Certains-es pensent que nos actions en faveur d’un climat équilibré peuvent contrecarrer la lente course vers un point de non-retour climatique. Si cela ne suffit pas en soi, c’est déjà un pas dans la bonne direction. 

Car, regarder patiemment tous les points de basculement tomber les uns après les autres n’est pas vraiment une solution viable. L’action doit donc être le maître-mot pour tenter de lutter contre un fatalisme qui laisserait les points de bascule à leur propre sort. Or, il ne faut pas oublier qu’on ne peut négliger l’un d’entre eux puisqu’il pourrait entraîner la chute d’autres points de basculement.

Critique du concept

Si le concept de point de basculement est assez populaire, notamment grâce à son accessibilité, il reste critiqué par certaines équipes scientifiques. C’est le cas de l’équipe internationale de la Station d’Ecologie Théorique et Expérimentale (SETE) à Moulis (CNRS-Université Paul-Sabatier), qui, en analysant plus de 4 500 expériences de terrain, n’a pas observé le seuil de point de basculement.

Pour Dr Jose M. Montoya, expert en biodiversité à la SETE, l’observation sur le terrain devrait donner des indications sur le niveau de ces seuils en question. Est-on proche du point de basculement ? Pas du tout ? On n’en sait trop rien, à vrai dire. 

Le problème est donc que les différents points de bascule sont difficiles à détecter et qu’il faudrait le trouver pour chaque écosystème existant. Un travail de fourmi qui peut ne pas aboutir.

Le seuil est donc un bon outil pour vulgariser un phénomène qui se produit de manière régulière et constante, si bien que les changements sont peu perceptibles. Toutefois, ces points de basculement ne sont pas vraiment détectables et personne n’a mis en lumière une norme précise, où un des 16 points de basculement pourrait passer “de l’autre côté”.

Pour le chercheur Montoya, ces points de basculement permettent en plus une certaine liberté tant qu’ils ne sont pas atteints, on peut ainsi croire que les petites actions n’influent pas sur le point de bascule d’un écosystème. Or, ce n’est pas tant des immenses changements que provient le danger immédiat, ce sont bien les petits qui le provoquent, et pourtant ils ne sont pas visibles a priori.

Une vision bien spectaculaire et binaire des choses. Soit, on réussit à éviter le point de basculement, soit on échoue, pas de nuance et donc, pas de travail de fond sur les petits changements qui engendrent les grands. La vision spectaculaire de la lutte contre le réchauffement climatique l’enferme dans un duel gagnant-perdant.

La recherche d’une perfection dans l’action et ses résultats dessert l’écologie, selon Anne Quénot, de la banque à l’engagement associatif local.

On peut croire que tant que le point de basculement n’est pas atteint, on peut continuer comme avant, ce qui n’est évidemment pas le cas.

L’étude se conclut par une préoccupation sur l’éventuelle négligence des scientifiques et surtout des politiques à se préoccuper des petits changements, en ne se concentrant que sur l’imminence d’un point de bascule ou pas et accélérant donc celui-ci, en voulant l’empêcher, sans voir les causes et les effets moindres qui précèdent cette conséquence spectaculaire.Les points de basculements sont donc des domaines passionnants, qui divisent encore cependant la communauté scientifique. Outil spectaculaire pour vulgariser des problèmes qui sont bien plus compliqués qu’une “limite à ne pas atteindre” ? Concepts salutaires pour comprendre les enjeux du dérèglement climatique et des relations entre les différents écosystèmes ? Le futur nous le dira sans doute !

Sources : 

https://www.science.org/doi/10.1126/science.abn7950
https://phys.org/news/2018-08-earth-hothouse-state.html
https://www.inee.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/les-points-de-basculement-sont-ils-des-concepts-appropries-pour-lelaboration-de-politiques
https://www.unesco.org/fr/articles/serguei-zimov-la-fonte-du-permafrost-menace-directement-le-climat

Wanis Cassim

Après des études de philosophie, Wanis décide de laisser la théorie afin d’agir à sa façon en faveur de l’écologie. Passionné de science-fiction, de nouvelles technologies aussi bien que de la nature, il tente d’allier ses centres d’intérêts dans son travail de rédacteur Web.

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